Nora Back, la présidente de l’OGBL, fustige une nouvelle fois l’intention du ministre du Travail de revoir le cadre légal des conventions collectives. D’une manière plus globale, le gouvernement s’attaquerait aux droits et prérogatives du camp syndical.
Après le récent clash au Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE), le ministre Georges Mischo a annoncé avoir invité les syndicats à renouer le dialogue. Comment comptez-vous réagir à cette offre ?
Nora Back : La lettre qu’il nous a fait parvenir est une simple invitation à nous réconcilier et à renouer un dialogue respectueux. La lettre ne contient toutefois aucun contenu tangible sur le fond de notre différend. Après concertation avec le LCGB, nous avons répondu au ministre que nous acceptions une entrevue bipartite (NDLR : fixée au 4 novembre).
Le ministre s’est un peu plus avancé mardi dernier devant la Chambre des députés, où il a affirmé ne jamais avoir eu l’intention d’ »enlever aux syndicats le monopole » dans la négociation des conventions collectives. Comment jugez-vous cette intervention ?
On se retrouve dans un tel imbroglio que je ne saisis plus quelle est la volonté politique dans ce dossier. J’ai bien l’impression que le ministre a tenté de rétropédaler, sans que cela lui réussisse bien. Il n’y a pas eu d’engagement formel pour que le droit de négocier des conventions collectives reste exclusivement entre les mains des syndicats. On a d’ailleurs pu le constater au moment du vote de la motion de la députée verte Djuna Bernard, rejetée par les partis de la majorité (CSV et DP) en raison du terme « exclusif ».
Vous n’êtes donc pas forcément rassurée par les propos du ministre du Travail ?
Pas vraiment. Lors d’une interview accordée à RTL, il a en plus affirmé qu’il n’a jusqu’à présent « encore rien enlevé » aux syndicats. En même temps, le ministre a attiré l’attention sur le nombre important de délégués du personnel neutres (NDLR : 56 %) et en faisant remarquer que les syndicats ne sont plus forcément suffisamment représentatifs. Le ministre laisse donc toujours la porte ouverte à une attaque contre nos droits.
Vendredi, le Premier ministre, Luc Frieden, a confirmé ne « retirer aucun droit aux syndicats« , avec la précision toutefois que « certains détails doivent être vus au sein des entreprises, selon leurs besoins« . Comment interprétez-vous cette déclaration ?
Je trouve que le Premier ministre ne dit pas grand-chose d’autre que le ministre du Travail. Ses propos n’ont pas le don de nous rassurer davantage. La situation reste confuse. D’un côté, ils affirment que le droit de négocier les conventions reste entre les mains des syndicats. Il existe toutefois deux « mais ». Le premier est que personne ne veut employer le terme « exclusivité ». Il semble donc qu’ils comptent bien laisser la porte ouverte à une entrave de ce droit. Le deuxième « mais » concerne la volonté de sortir des éléments couverts par une convention collective, ce qui est dangereux. Que veulent-ils sortir de ce cadre? Les salaires ou le temps de travail? Nous n’allons jamais accepter que ces aspects soient négociés de manière séparée. Nous avons besoin d’un cadre légal fort, où il est clairement ancré que les syndicats représentatifs sur le plan national négocient et signent les conventions collectives. Cela ne ressort pas des propos du Premier ministre.
Le ministre a tenté de rétropédaler, sans que cela lui réussisse bien
Le ministre du Travail a encore affirmé sur RTL avoir seulement voulu évoquer des pistes pour lancer un débat afin de mieux tenir compte des délégués neutres. Il vous reproche d’avoir claqué la porte avant qu’il ait pu exposer ses idées. Êtes-vous donc complètement fermée à une telle discussion ?
Nous lui avons dit être ouverts à discuter de tout. En tant que syndicats, nous lui avons d’ailleurs soumis un plan d’action sur la manière d’augmenter, selon nous, le taux de salariés couverts par une convention collective. La condition pour discuter de ces pistes était cependant un engagement formel de maintenir notre droit exclusif de négocier des conventions, comme cela est ancré dans la législation nationale et à l’échelle de l’Organisation internationale du travail. Ce même droit est également ancré dans la directive européenne sur les conventions collectives. Le ministre n’était pas prêt à prendre cet engagement. Nous n’avions donc pas de base de discussion.
Les syndicats seraient-ils toutefois prêts à accorder un rôle plus important aux délégués neutres, à la condition de garder la main sur la négociation des conventions collectives ?
Ce que l’on doit éviter – et cela n’a rien à voir avec nos ego –, c’est que des conventions puissent être négociées par un employeur et un employé, qui se trouve, lui, dans un lien de subordination. Ce délégué dispose en toute logique d’une moins grande indépendance et de moins de poids et d’expertise qu’un syndicat. Ouvrir la porte à un tel scénario va affaiblir les conventions, ce qui aura aussi un impact négatif sur l’évolution des salaires à l’échelle nationale, qui elle se répercute sur l’ajustement du salaire minimum et des pensions. On est donc bien confronté à une attaque contre la structure salariale du pays.
Le camp patronal plaide, lui aussi, dans le sens de négociations sans l’intervention systématique des syndicats.
Pour la première fois dans l’histoire, le patronat a trouvé dans le camp du gouvernement un allié qui lui prépare le terrain pour écarter les syndicats. Il me faut néanmoins aussi rappeler que les 56 % de délégués neutres ne forment pas un bloc homogène. Les syndicats représentent un nombre bien plus important de salariés. Ils sont très fortement présents dans les entreprises de plus de 100 salariés. En pourcentage, les délégués syndiqués représentent donc un nombre plus important de gens que les délégués isolés dans les plus petites entreprises.
Quelles sont, selon vous, les pistes pour augmenter le nombre de conventions collectives ?
La plus importante est la conclusion de davantage de conventions sectorielles. Le tissu économique fait que l’on ne peut pas négocier des conventions pour chaque petite entreprise. Sur ce point, l’UEL nous donne d’ailleurs raison. À nos yeux, la négociation d’un plus grand nombre de conventions sectorielles peut être du gagnant-gagnant pour l’économie et pour les salariés, car elles protègent ces secteurs. C’est notamment le cas dans la lutte contre la concurrence déloyale. Dans le secteur d’aide et de soins et le secteur social, la convention impose, par exemple, que l’ensemble des crèches doivent payer les mêmes salaires à leurs employés. La même chose vaut pour la construction ou le nettoyage. Même des patrons sont demandeurs de telles conventions sectorielles.
Le ministre du Travail vient d’être désavoué par la Chambre des salariés (CSL) en raison de son projet de loi sur le salaire minimum, qualifié de « déplorable ». Quel est le point de discorde majeur?
La directive européenne qui doit être transposée par cette loi impose aux États membres de disposer de salaires minimaux décents. Le volet des conventions collectives fait partie de la même directive, mais le ministre du Travail a décidé de rédiger deux textes distincts. En tout cas, l’UE impose de meilleurs salaires, à négocier par les seuls syndicats dans le cadre de conventions collectives. Or, sur ces points, le ministre du Travail et le gouvernement ont failli à leur devoir. On a un peu découvert par hasard le projet de loi sur les salaires minimaux. Il a été omis de saisir la CSL sur un texte d’une telle envergure, ce qui en soi constitue un nouvel affront. Et puis, il était de coutume pour les ministres du Travail de présenter de tels projets au CPTE. Georges Mischo ne veut plus le faire et préfère décider tout seul. On peut agir ainsi, mais il faut alors savoir que le camp syndical se fâchera. Je tiens aussi à préciser que nous avons envoyé des lettres de protestation à la Commission européenne et au Parlement européen pour dénoncer le non-respect de la directive.
Au bout de moins d’un an, la relation entre les syndicats et le ministre du Travail semble donc déjà fortement abîmée, voire rompue.
La confiance est en effet rompue. De plus, Georges Mischo, au fil de ses interviews, remet toujours en cause le poids et la représentativité des syndicats. Il a tendance à nous dénigrer, alors que le ministre et le gouvernement sont portés par un nombre de voix qui n’est pas forcément supérieur au soutien que nous, syndicats, avons obtenu lors des élections sociales, ouvertes à tous les salariés, frontaliers compris. Les partenaires sociaux ont bien la légitimité pour discuter de tels projets de loi. Remettre en question ce principe n’est pas une bonne idée. On ne veut certainement pas connaître des tensions sociales comme elles existent, par exemple, en France.
Le deuxième grand chantier est la réforme des pensions. Comment avez-vous vécu la récente réunion de consultation avec la ministre Martine Deprez ?
Les premières pistes évoquées ont concerné le renforcement du financement privé des pensions sans revoir à la hausse la pension de base, ce qui nous a fortement alertés. Depuis lors, la ministre et le gouvernement ont tenu à nuancer les choses sans plus trop se projeter. Le point d’orgue fut cette entrevue, où la ministre s’est contentée de prendre des notes sans présenter la position du gouvernement. On s’est un peu sentis comme à l’école, où l’on présente sagement un exposé, avant d’être remis à notre place en raison du ton employé. Martine Deprez nous a reproché un manque de respect. La réunion était très tendue. On a l’impression qu’ils ne savent plus du tout vers où aller.
L’OGBL et le LCGB annoncent pour le 3 décembre une première mobilisation pour protester contre l’attitude du gouvernement. À quoi peut-on s’attendre ?
Il ne s’agira pas d’une manifestation, mais d’un premier pas vers une plus grande mobilisation qui me semble inévitable. L’information et la sensibilisation sur les conventions collectives vont dominer cette réunion destinée à nos délégués du personnel, qui sont les multiplicateurs dans les entreprises. Nous sommes parfaitement conscients que nous sommes confrontés à une situation où des pions historiques sont posés qui vont décider dans quelle direction va évoluer le modèle social. Même si les choses peuvent encore bouger, nous vivons une première attaque d’envergure inédite contre les syndicats. On redoute que bien d’autres suivent. Tout cela favorise et renforce l’alliance incontournable que nous avons conclue avec le LCGB. Les deux syndicats vont travailler main dans la main sans rien lâcher.
Repères
État civil. Nora Back est née le 17 août 1979 à Esch-sur-Alzette. Elle est pacsée et mère d’une fille.
Formation. Elle décroche à l’université libre de Bruxelles (ULB) un bachelor en psychologie (2000), suivi d’un master en psychologie industrielle et commerciale (2002).
Profession. Avant son arrivée à l’OGBL, Nora Back travaille pour le compte de Quest, un bureau spécialisé en études de marketing.
OGBL. En 2004, Nora Back intègre l’OGBL en tant que secrétaire centrale adjointe du syndicat Santé, Services sociaux et éducatifs. Elle devient secrétaire centrale du même syndicat professionnel en 2008.
Présidente. Nommée secrétaire générale de l’OGBL en 2018, Nora Back accède dès 2019 aux postes de présidente de la Chambre des salariés (CSL) et de l’OGBL.