La présidente de l’OGBL, Nora Back, assume pleinement sa décision de ne pas cautionner l’accord tripartite. Le mécanisme de compensation pour le report de la prochaine tranche indiciaire serait toutefois largement insuffisant pour réellement aider les bas et moyens salaires. L’engagement formel de reporter d’autres tranches a toutefois constitué le point de rupture.
La bataille des chiffres et des arguments se poursuit. Tout au long du week-end, les réseaux sociaux se sont enflammés. Les nouveaux coprésidents du LSAP, Dan Biancalana et Francine Closener, se sont vu obliger de publier des prises de position, exemples de calculs à la clé, pour défendre l’accord tripartite.
Aucun des arguments livrés n’a encore pu faire changer d’avis l’OGBL. Le premier syndicat du pays, emmené par Nora Back, a des mots très durs envers le gouvernement et le patronat.
L’OGBL a-t-il été trop gourmand lors de la tripartite ?
Nora Back : Non, pas du tout. Notre objectif était d’obtenir un renforcement du pouvoir d’achat pour les salariés. Cela n’a pas été possible. En fin de compte, on se retrouve face à un paquet de mesures qui profite uniquement aux entreprises. Les salariés devront financer eux-mêmes le crédit d’impôt énergie.
Le Premier ministre, Xavier Bettel, a affirmé jeudi qu’ »aucun ménage ne va perdre en pouvoir d’achat »…
(Elle coupe) C’est un mensonge !
Il se réfère au crédit d’impôt qui viendrait compenser, voire surcompenser, la perte de pouvoir d’achat provoquée par le report de la prochaine tranche indiciaire. Qui dit vrai ?
Si on nous dit que les bas et moyens revenus vont bénéficier d’une surcompensation, il faut que ces salariés touchent un montant supérieur aux 2,5 % de l’index. La réalité est que la majorité des personnes n’aura pas assez ou pas de surcompensation du tout. L’affirmation du Premier ministre est donc fausse.
Il est possible qu’il se base sur l’ensemble des mesures prises. Cela ne change cependant rien au fait que le gouvernement se base sur un calcul du Statec sur la perte théorique du pouvoir d’achat. Nous ne voulons pas de chiffres théoriques, mais une réelle compensation financière de la tranche indicière.
La ministre des Finances, Yuriko Backes, affirme néanmoins que les salaires de moins de 5 700 euros brut par mois (classe d’imposition 1) et de moins de 5 000 euros (classe 2) vont bénéficier d’une surcompensation nette. Ces calculs sont-ils donc erronés ?
Les montants des crédits d’impôt de 84 euros et 76 euros par mois pour les plus bas salaires (NDLR : moins de 44 000 euros brut par an, puis moins de 68 000 euros) ne sont pas ceux qui nous ont été soumis mercredi soir où les seuils fixés correspondaient à 53 euros et 48 euros. Il semble donc que le gouvernement ait encore décidé de revoir le crédit d’impôt légèrement à la hausse.
Mais cette cacophonie des chiffres a pour seul objectif de détourner l’attention du fait qu’une modulation à long terme de l’index a été décidée. Cette décision engage même un prochain gouvernement.
Est-ce que l’OGBL fait de l’index une affaire d’idéologie ?
On était prêts à faire des concessions. Pour accepter le report de la tranche d’août prochain, il aurait toutefois fallu procéder à une adaptation du barème d’imposition à l’inflation. Cela aurait empêché que le contribuable doive financer lui-même la compensation du report de l’index.
Il n’est en rien justifiable qu’on enlève l’index aux gens alors que l’on fait cadeau de 800 millions d’euros (NDLR : l’équivalent d’une tranche indiciaire) à toutes les entreprises, indépendamment de leur situation financière.
Des géants comme Amazon ou des grandes banques, qui réalisent toujours d’importants bénéfices, n’appartiennent certainement pas à ceux qui ne sont pas en mesure de verser une seconde tranche indiciaire.
Dans un premier temps, vous aviez pourtant consenti au principe d’un crédit d’impôt en guise de compensation.
Oui, mais un tel mécanisme aurait au moins dû compenser intégralement les 2,5 % de l’index pour tous les salariés touchant au moins le salaire médian (NDLR : quelque 4 200 euros brut par mois).
En fin de compte, notre ultime proposition prévoyait que le crédit d’impôt deviendrait dégressif à partir d’un seuil de revenu brut annuel de 100 000 euros et d’arriver à 0,00 euro pour ceux qui gagnent 135 000 euros ou plus. Cette proposition aurait permis une surcompensation plus importante pour les bas et moyens salaires.
Mercredi circulait un seuil de 160 000 euros par an. D’où provient cette somme exorbitante ?
Les trois syndicats assis à la table des négociations ont ensemble soumis ce montant au gouvernement. J’admets qu’il s’agissait d’une revendication maximaliste afin d’engager les négociations pour compenser la perte du pouvoir d’achat due au report de la tranche indiciaire. Notre ultime proposition de 135 000 euros a encore été soumise par les trois syndicats. Le gouvernement a finalement fixé le seuil maximal à 100 000 euros.
Ce compromis a été validé par le LCGB et la CGFP. Pourquoi pas par l’OGBL ?
À la limite, on aurait pu trouver un accord en ce qui concerne la hauteur de la compensation. Mais en fin de compte cela importe peu, car le point de rupture a été l’engagement formel de reporter de 12 mois d’hypothétiques tranches indiciaires en 2023 et 2024. Le patronat voulait même aller jusqu’en 2026.
Néanmoins, le seuil retenu de 100 000 euros semble toujours démesuré…
Il faut savoir que ce seuil correspond uniquement à 40 % de la population active. Les autres 60 % vont donc se faire voler leur index. C’est bien beau de nous traiter de syndicat qui se bat pour les oligarques, or on retrouve dans cette catégorie de salaires les infirmiers, les enseignants ou les employés de banques ainsi que des salariés d’autres secteurs économiques.
Ils font tous partie de la classe moyenne au Luxembourg. Et parmi les 40 % de salariés éligibles, une très grande partie sera également perdante par rapport au montant de l’index.
Il existe aussi un imbroglio sur le coût total du paquet de compensation. Votre proposition avec un seuil de 135 000 euros aurait coûté 900 millions d’euros à l’État. Le Premier ministre cite même un coût global approchant les 2 milliards d’euros. Comment expliquer ce gouffre ?
Xavier Bettel nous a informés que notre proposition coûterait en effet 900 millions d’euros. La différence avec les 830 millions d’euros débloqués par le gouvernement n’est pas si énorme. On a bien conscience que cette enveloppe correspond au paquet global. Or si la contrepartie pour le report de la tranche indiciaire avait été plus conséquente, on aurait été prêt à renoncer à d’autres mesures comme la baisse des 7,5 centimes d’euros par litre de carburant. Il s’agit d’une mesure constituant une goutte d’eau dans la mer.
Le communiqué officiel du gouvernement stipule que dans le cas où « une tranche indiciaire supplémentaire serait déclenchée en 2023’ » une nouvelle tripartite sera convoquée. Vous avez affirmé jeudi matin qu’une telle clause de rendez-vous ne se trouvait pas sur la table des négociations. Regrettez-vous d’avoir claqué la porte ?
L’accord stipule clairement que ‘« toute tranche indiciaire supplémentaire potentielle en 2023’« sera d’office décalée de 12 mois, ce qui nous amène à 2024.
Même si une réunion tripartite était convoquée, cela ne changera donc rien à la modulation de l’index qui est actée. Et puis, on ferait quoi si jamais une troisième tranche va tomber cette année ou si deux tranches seront dues en 2023?
La confiance est-elle rompue avec le LCGB et la CGFP ?
Je ne le formulerais pas ainsi. Notre conception de ce que doit être un syndicat diffère tout simplement. Pour moi, un syndicat doit se battre pour retirer le maximum pour les salariés. Eux préfèrent signer un mauvais compromis pour ne pas être isolés.
Mais est-ce que ce n’est pas l’OGBL qui est complètement isolé aujourd’hui ?
Non, et on n’est pas non plus dos au mur. On bénéficie du plein soutien de nos délégués, militants et des salariés du Luxembourg. Le mandat unanime accordé par le comité national a été clair et net. Aucune manipulation de l’index n’était acceptable.
Votre syndicat subit néanmoins de lourdes critiques. Le Premier ministre estime que l’OGBL ne voulait pas être convaincu pour dégager un accord.
J’ai plutôt l’impression que le Premier ministre ne voulait pas d’un accord. Sa seule intention était d’obtenir une modulation de l’index. Tous les partis de la coalition ainsi que le patronat n’avaient aucun autre objectif. Xavier Bettel cherchait bien à nous convaincre en mettant en perspective une surcompensation pour le report d’une tranche indiciaire. Mais comme déjà évoqué, la contrepartie n’était de loin pas suffisante.
Le président de l’UEL, Michel Reckinger, vous reproche d’avoir perdu la raison. Que répondez-vous ?
Le patronat a mené un combat infect contre l’index. L’UEL profite d’une situation de guerre pour nuire aux salariés et pensionnés. Et le gouvernement a fini par plier. On ne conteste toutefois pas les aides ciblées accordées aux entreprises énergivores souffrant de la flambée des prix de l’énergie et des matières premières.
Vous venez d’affirmer que tous les partis de la majorité, et donc aussi le LSAP, se sont attaqués à l’indexation. Les ponts sont-ils définitivement coupés avec le camp socialiste, traditionnellement proche de l’OGBL ?
Nous sommes énormément déçus de l’attitude du LSAP. Il est peut-être exagéré de parler de rupture, mais il est déplorable que le Parti socialiste ait accepté, sans sourciller, une modulation fondamentale de l’indexation, alors que ce sont précisément les socialistes qui prônent toujours de défendre bec et ongles cet acquis social majeur. Le LSAP a manipulé l’index ! Il n’y a rien à ajouter.
L’index est pourtant souvent qualifié d’inéquitable, car il offre une compensation financière plus importante aux gros salaires qu’aux salaires plus modestes. Le crédit d’impôt décidé vient inverser ce principe. Peut-on dès lors affirmer que ce nouveau mécanisme de compensation est le meilleur index ?
Je redoute qu’on le vende ainsi. Le gouvernement va finir par clamer que l’index n’est pas socialement équitable. La position du LSAP est d’autant plus condamnable, car une telle discussion ouvre la voie à une remise en question du mécanisme en lui-même. Mais l’index n’est pas un outil pour mener une politique sociale.
Le LSAP a manipulé l’index ! Il n’y a rien à ajouter.
Il s’agit uniquement d’un mécanisme pour compenser la perte de pouvoir d’achat provoquée par l’inflation. Par la force des choses, les petits salaires touchent moins que les plus gros salaires. Si on veut réduire les inégalités sociales, il faut agir sur la fiscalité. On pourrait plus fortement taxer les gros revenus et soulager davantage les bas et moyens salaires.
Et si on veut soutenir les salaires modestes, il faudrait encore doubler l’allocation de vie chère. Cela a été fait en pleine crise sanitaire. Aujourd’hui on se trouve, selon le gouvernement, dans une crise encore bien plus grave, mais rien ne bouge.
Votre refus de signer le paquet est-il venu acter la mort de la tripartite ?
La manipulation de l’index impacte bien plus gravement le modèle social que l’impact d’une tripartite qui n’a pas pu dégager d’accord global. Le fait que ce mécanisme est attaqué en permanence nuit bien plus au modèle social que l’échec d’une tripartite. Nous assumons pleinement d’avoir refusé de signer cet accord.
Au moins, on peut toujours se regarder dans la glace. Je suis content de ne pas avoir cautionné une attaque frontale sur l’index. La négociation tripartite peut reprendre à tout moment, même si je dois avouer que ma confiance placée en ce modèle a pris un coup. La tripartite a été complètement instrumentalisée avec à la clé un seul camp qui a raflé toute la mise tandis que l’autre a été plumé.
Dès jeudi, l’OGBL a mis en perspective des actions pour se défendre contre cette manipulation de l’index. Pouvez-vous déjà en dire plus sur la teneur de la riposte ?
Il est encore trop tôt pour se prononcer. Nous sommes néanmoins très motivés pour défendre nos acquis sociaux. L’OGBL va pouvoir pleinement assumer son rôle de syndicat. On ne va pas accepter d’être pris pour des idiots. Des actions syndicales en tout genre sont envisagées. Le 1er-Mai va d’ores et déjà constituer un moment fort.