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Nicolas Schmit : «L’organisation de la Commission est très bizarre»


(Photo d'archives/Julien Garroy)

Nicolas Schmit, Spitzenkandidat pour les socialistes européens, était sans doute «trop optimiste», comme il le dit. Le poste de commissaire lui échappe. Le PPE accapare le pouvoir.

Les dés sont définitivement jetés, le commissaire luxembourgeois a été nommé. Aviez-vous encore un espoir de l’emporter contre Christophe Hansen ?

Nicolas Schmit : Non, pas du tout, je voyais que les choses évoluaient dans cette direction. Je dois dire que quand j’ai accepté d’être Spitzenkandidat, je n’excluais pas cette possibilité. Je pensais qu’il y avait quelque part ce sentiment de responsabilité européenne, au-delà des petits intérêts de partis, mais j’étais peut-être trop optimiste. Ce qui devait arriver est arrivé.

Le gouvernement a choisi son candidat et…

Non (il coupe court à la question), c’est le CSV qui a choisi son candidat avec l’assentiment de son partenaire de coalition, d’ailleurs je ne sais pas où ils sont. Je les trouve assez absents, notamment en matière de politique étrangère. Nous avions l’habitude des prises de position de Jean Asselborn, même si je n’étais pas toujours d’accord avec lui. Mais au moins le Luxembourg était présent, il avait une vue et du courage aussi. Maintenant, je ne sais pas où est passé le ministre des Affaires étrangères, mais bon, ce n’est pas mon problème.

En tout cas, selon le Premier ministre, Luc Frieden, ce sont les gouvernements qui ont choisi leur candidat. Mais nous avons vu avec Thierry Breton, le candidat français, qu’Ursula von der Leyen avait son mot à dire…

C’est faux de dire qu’il n’y a que les États qui décident, et il y a des preuves. Le cas de Thierry Breton est une chose, et c’est le plus flagrant, mais il y a aussi le cas de la Roumanie. Il fallait que ce pays choisisse une femme, alors que l’on aurait pu aussi le demander au Luxembourg, ce que l’on n’a pas fait. Il est clair que la présidente a son mot à dire et elle a éliminé Thierry Breton avec vigueur.

Il faut reconnaître que Macron n’est pas très en forme, il a cédé à sa demande, peut-être assez facilement, ce qui lui a permis de caser un copain Séjourné qui a toujours brillé par son absence. Il reçoit un portefeuille substantiel, a priori, pour remplacer Thierry Breton, qui devait avoir un portefeuille moindre. Mais on constate que celui de Séjourné est bien diminué par rapport à celui qu’avait Thierry Breton.

Je ne commente pas cela, mais j’ai un mot à dire sur la manière, qui est assez scandaleuse. J’étais un proche de Thierry Breton et on me l’a souvent reproché, mais je devais travailler avec lui, puisque l’emploi et l’industrie sont indissociables.

Quand Thierry Breton a refusé la nomination de Markus Pieper, eurodéputé issu du même parti, la CDU, que la présidente, pour occuper le poste d’envoyé pour les petites et moyennes entreprises, un poste hautement rémunéré, j’ai également signé sa lettre, et Ursula von der Leyen m’a reproché de me laisser instrumentaliser par Thierry Breton. Je lui ai clairement dit que je refusais ces pratiques.

La présidente vous a proposé un pont d’or aussi…

Oui, elle a essayé avec moi aussi en me demandant si j’accepterais un poste du même registre, comme l’a fait Juncker avec Barnier en son temps, pour le dédommager de l’avoir battu au congrès du PPE (Parti populaire européen). J’ai dit non merci, parce que je ne suis pas à la recherche d’un job, je n’en ai pas besoin. J’aurais voulu être le président de la Commission ou membre de cette Commission, je ne cherche pas un lot de consolation.

La présidente a son mot à dire et a éliminé Thierry Breton avec vigueur

Le Premier ministre, Luc Frieden, estime que cette Commission reflète « un équilibre » qu’il salue amplement. Êtes-vous du même avis ?

C’est une question rhétorique ! Non, bien sûr, cette équipe n’est pas équilibrée. Il y a d’abord la parité entre hommes et femmes qui n’est pas complètement respectée. Comme je l’ai dit avant, les PPE (NDLR : les gouvernements conservateurs) étaient libres de choisir leur candidat, alors que les autres, comme les Roumains ou les Slovènes, par exemple, devaient se conformer à ce principe de parité. Quant à l’équilibre politique, il est catastrophique. Les sociaux-démocrates, avec près de 20 % des voix au Parlement européen, ont quatre commissaires alors que le PPE, avec 25 %, a 14 ou 15 commissaires.

Ce sont les gouvernements, donc la représentation au Conseil, qui comptent, selon Luc Frieden…

C’est un peu plus fin que ça. Cela démontre la compréhension de Luc Frieden des nouveaux mécanismes européens qui vont un peu au-delà de ce qui est strictement inscrit dans les traités. Même si ce sont les gouvernements qui nomment les commissaires, les socialistes, qui comptent cinq chefs d’État, n’ont que quatre commissaires. La logique de Scholz, qui me soutenait, était de nommer une CDU, parti non-membre de son gouvernement, à la Commission et d’obtenir en retour qu’un gouvernement chrétien-social nomme un commissaire socialiste. On connaît la fin de l’histoire.

La présidente von der Leyen s’est-elle entourée de commissaires plutôt dociles ? Voyez-vous une tête qui dépasse du lot ?

Il y a deux aspects. Il y a d’abord une prise de pouvoir absolue de la part du PPE. L’homme fort à côté d’elle, c’est le Letton Valdis Dombrovskis, qui s’accapare toute la gouvernance économique avec un pouvoir énorme. C’est une Commission partisane avec un PPE qui a la majorité absolue.

Le Luxembourgeois Christophe Hansen hérite du portefeuille de l’Agriculture. Ce n’est pas vraiment un cadeau…

Non, ce n’est pas un cadeau, même si c’est un beau portefeuille, qui n’a toutefois pas une incidence énorme au Luxembourg. L’agriculture européenne est dans une vraie crise. Celle des prix, celle des revenus d’un grand nombre de petits et moyens agriculteurs, parce qu’on a tout libéralisé. D’ailleurs, ce sont des commissaires PPE qui l’ont fait. Comment équilibrer climat et agriculture? Le premier perdant de la crise climatique, c’est l’agriculture, entre sécheresse, inondation et climat complètement déréglé. Ensuite, il y a le volet budgétaire, car personne ne veut plus payer. L’agriculture reste le plus gros budget de l’UE, mais il ne faut pas espérer une augmentation énorme des fonds. Je lui souhaite bonne chance pour résoudre cette quadrature du cercle.

C’est une Commission partisane avec un PPE qui a la majorité absolue

Que pensez-vous de la nomination de l’Italien Raffaele Fitto, membre du gouvernement nationaliste de Giorgia Meloni, qui sera chargé de la Politique de cohésion et des Réformes ?

Je connais M. Fitto et il était clair que le PPE voulait une forme d’alliance avec une partie de l’extrême droite et certainement avec Meloni. Je n’ai rien à dire sur le personnage lui-même, il fallait satisfaire Mme Meloni. C’est difficile à avaler, car Raffaele Fitto est vice-président, et si les vice-présidents représentent une forme de coalition, on constate que Mme Meloni est dans la coalition. Reste à voir jusqu’où les socialistes sont prêts à avaler des couleuvres.

L’organisation de la Commission est très bizarre, mais il y a une arrière-pensée derrière. Plus je crée des confusions, des partages de compétences, plus l’autorité présidentielle devient importante. C’était déjà le cas dans la Commission précédente et c’était un des points que j’ai critiqués pendant la campagne. Il n’y aura pas de changement dans la gouvernance et ce sera même accentué.

Qu’allez-vous décider pour votre avenir ? La retraite ?

Je n’ai pas tiré un trait sur mon engagement européen et là j’ai retrouvé ma liberté et je vais en user. Il y a encore des choses à dire, car on va dans la mauvaise direction. Quand je vois les accords de Schengen être démontés, ces tendances de l’extrême droite qui gagnent du terrain, que l’on n’ose plus plaider pour une Europe sociale et les droits sociaux, dont je suis fier, je suis assez sceptique.

Je verrai bien ce que fera ma successeure, qui est aussi vice-présidente et je la félicite (NDLR : la Roumaine Roxana Mînzatu). Pour le moment, je suis encore commissaire européen pour un mois ou deux, ensuite je vais réfléchir. Je suis à un âge où mes compatriotes sont nombreux à être à la retraite, donc je vais un peu profiter. Je vais saisir les occasions qu’on m’offre et que je vais aller chercher pour m’occuper de choses pour lesquelles je pense avoir une toute petite expérience.