La digitalisation va entraîner une vague de changements dans tous les domaines de la société. Nicolas Schmit a énoncé certains moyens de s’y préparer, lundi, à l’université du Luxembourg.
Des changements radicaux sont en marche dans le monde du travail. En cause, le progrès. La digitalisation et les nouvelles technologies qui vont donner lieu à de nouveaux emplois et de nouveaux schémas de travail. Les questions sur les effets de ces changements sur l’ensemble de la structure sociétale se posent. Nicolas Schmit a tenté de défricher des pistes lundi, dans le cadre d’un débat à l’université du Luxembourg. Le commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux s’est engagé à tout mettre en œuvre pour améliorer les conditions sociales sur le Vieux Continent.
La digitalisation ne changera pas seulement le travail au quotidien, elle soulève des questions d’éthique, juridiques, écologiques, culturelles et socio-politiques. L’EDIC (European Direct Information Center) de l’Uni a été inauguré dans la foulée du débat sur le campus de Belval. Actuellement, selon celui qui est né à l’ombre des hauts-fourneaux – ce qui a contribué à développer ses convictions sociales et européennes –, un million d’emplois seraient à pourvoir en Europe dans les métiers du numérique. Malheureusement, les entreprises auraient du mal à recruter les profils qualifiés. Nicolas Schmit veut donner aux jeunes des possibilités d’avenir. Il ne cache pas non plus son ambition d’aider l’Europe «à faire partie de l’avenir du monde», «si l’Europe le veut». «Je suis payé pour parler de cette vision-là, poursuit-il, je ne suis pas un adepte du déclinisme.»
C’est donc à la promotion d’une Europe qui ne laisse personne sur le bord du chemin, qui accueille et intègre, qui élève, que le commissaire à l’Emploi et aux Droits sociaux s’est livré. Dans cette optique, il revendique l’instauration d’un salaire social minimum en Europe. «La Commission européenne ne fixera pas de salaire. Nous ne voulons pas décider d’un chiffre», répond-il à un auditeur. «Notre objet est de rétablir la dignité du travail et faire en sorte que chacun puisse vivre dignement de son travail. (…) Dans un certain nombre de pays, les salaires sont trop faibles. Donc nous voulons créer un cadre pour plus de transparence et de justice en matière de définition du salaire minimum», précise-t-il encore. La Commission européenne ne compte pas s’arrêter là. Elle encouragera le dialogue social et les conventions collectives pour fixer les salaires.
Ce salaire minimum européen devrait s’arrêter aux frontières du Grand-Duché. «Le salaire minimum du Luxembourg est de loin le plus élevé en Europe. Je ne vais pas faire un cadre pour le Luxembourg. Chaque pays verra les indicateurs que nous mettrons dans ce cadre et si des adaptations peuvent être utiles», indique le commissaire, qui évoque les transferts sociaux existants au Luxembourg. «Dans les pays où les salaires sont très faibles, il n’y a pas de transferts. Donc, je n’ai pas en premier lieu le Luxembourg dans mon collimateur. Je regarde en priorité vers d’autres pays.»
«Des emplois vont disparaître»
La transformation du monde du travail aura un impact sur la pauvreté et les inégalités si rien n’est fait, selon le commissaire européen. «C’est pourquoi nous nous engageons pour des transitions justes. Donc, nous allons essayer à travers tout ce qui touche à la formation, aux compétences, au marché du travail, à des politiques actives en matière d’inclusion afin de lutter contre ces deux réalités», explique Nicolas Schmit, qui poursuit : «La pauvreté est une perte pour la société, un désinvestissement sur l’avenir. Si nous voulons gagner la bataille des nouvelles technologies, si nous voulons gagner les compétences, il faut donner à chaque jeune, à chaque enfant, la possibilité d’être bien éduqué et d’accéder à un marché du travail plus exigeant que par le passé.»
Il est difficile d’anticiper l’impact de la digitalisation en matière d’emploi, malgré les conclusions de nombreuses études. «Des emplois vont disparaître, estime Nicolas Schmit, il y aura une transformation du travail due aux nouvelles technologies et il faut nous préparer à cette transformation qui est en cours.» Dans les cinq ans, il faudra requalifier la moitié de la force de travail européenne, soit 120 millions de personnes.
Nicolas Schmit dispose d’un budget d’un peu plus de 100 milliards sur sept ans pour financer des projets dans les pays européens, dont de nombreux sont dans les domaines des nouvelles technologies, de l’éducation et de la formation. Cela permet d’aider entre autres, les pays économiquement moins avancés. «L’argent investi dans ces pays est également investi chez nous, car l’Europe n’est forte que si elle est solidaire. Si les jeunes en Hongrie, en Bulgarie et ailleurs peuvent accéder à de meilleurs services d’éducation, c’est un plus pour eux, mais c’est un plus pour nous», martèle Nicolas Schmit.
Certains pays auraient un réel manque de main-d’œuvre qualifiée. Le Luxembourg se place parmi les meilleurs avec seulement 7 à 8 % de NEET (Not in Education, Employment, or Training), des jeunes qui sortent de l’école sans rien. «C’est lié en partie à la pauvreté», explique Nicolas Schmit en introduisant le principe de garantie jeunesse qui comporte elle aussi des notions d’inclusion et d’égalité des chances pour aider les jeunes – NEET ou pas encore – à démarrer dans la vie. «Rien n’empêche les États membres de repousser son âge limite à 30 ans, indique le commissaire. Une redéfinition de cette garantie est prévue pour cette année.»
«Un énorme chantier»
À trop évoquer les jeunes, on en oublierait presque leurs aînés qui eux aussi vont devoir se frotter avec plus ou moins de difficultés aux changements apportés par la digitalisation ou peuvent être touchés par la pauvreté et l’exclusion. D’où la question posée par une intervenante sur l’introduction d’un minimum vieillesse à laquelle le commissaire européen a indiqué que «ce n’est pas à l’Europe de garantir un revenu social minimum mais que c’est elle qui peut faire en sorte que dans chaque État membre, il y ait un tel revenu qui permette à tous de vivre dignement».
En matière de digitalisation, les salariés les plus âgées, les 50 ans et plus, devront être requalifiés, envisage Nicolas Schmit. «Il y a des réalités démographiques et sociales en Europe avec les pensions. Il va falloir gérer la démographie et les systèmes de protection sociale. Cependant, on ne peut pas dire à quelqu’un de 50 ans qu’on ne va plus miser sur lui. La requalification touche tout le monde», estime-t-il en avançant la possibilité d’une réorganisation du travail. «Il faut revoir ce moment entre la période de formation et la période de travail. Je ne l’appelle pas chômage, mais des périodes de requalification avec des garanties sociales et un revenu, entre autres.»
En raison des nouvelles technologies et du progrès, il faudrait donc revoir de fond en comble la notion de carrière en général et de manière individuelle. Un débat en ce sens devrait, selon lui, être lancé à l’échelle européenne. Une chose est certaine, face à la révolution numérique en marche, l’Europe se trouve au pied «d’un énorme chantier». Les fondations à construire devront être solides, si nous ne voulons pas perdre du terrain face à des économies mieux préparées.
Sophie Kieffer
Égalité salariale : un projet sous peu
L’égalité des hommes et des femmes dans le monde du travail serait une question clé pour la Commission européenne. En matière de politique salariale, l’écart moyen en Europe entre les salaires des hommes et des femmes est de 16 %. «Il n’y a aucune excuse que cet écart subsiste», estime Nicolas Schmit. Il préconise la transparence au niveau européen. «C’est un des projets qui va être engagé sous peu», promet-il.
Gouvernement Trump : affinités électives
À la question d’un internaute qui souhaitait connaître l’état des relations et des collaborations entre Donald Trump et l’Union européenne, le commissaire européen n’a pas mis de gants : «Si Monsieur Trump travaillait avec nous, j’aimerais savoir ce qu’il ferait s’il était vraiment contre nous. Nous sommes toujours en dialogue. Il faut essayer de limiter les dégâts et voir ce que nous pouvons continuer de faire ensemble, mais il est clair que pour le moment, les relations entre les États-Unis, l’administration Trump et l’Europe ne sont pas au beau fixe.»