Nathalie Oberweis et Myriam Cecchetti se partagent un gros travail à la Chambre, seules députées de déi Lénk. Elles nous livrent leurs sentiments, entre honte et exaspération.
La tripartite est sur le point de trouver un accord. Dans un communiqué, vous avez regretté que les syndicats ne disposent plus de relais à la Chambre des députés. Sauf vous peut-être?
Myriam Cecchetti : Il y a peut-être encore Marc Spautz qui vient du LCGB. Dans cette tripartite, on assiste à une manipulation de l’index, ce qui n’est franchement pas favorable aux revenus les plus faibles. C’est un manque à gagner pour de nombreux ménages. Je constate aussi que les loyers seront une nouvelle fois gelés. À la Chambre des députés, on avait dit l’été dernier que le gouvernement devait garder le gel temporaire des hausses de loyer parce qu’il était encore trop tôt pour lever cette mesure en pleine pandémie. On nous a ri au nez. Les propriétaires ont eu le loisir d’augmenter les loyers depuis juillet et voilà que le gouvernement propose à nouveau de les geler. Le problème est que personne à la Chambre des députés ne sait ce qu’est l’existence sans un sou en poche dès le 15 du mois et ils ne doivent pas non plus connaître de gens dans la misère, je l’ai dit à plusieurs reprises déjà.
Nathalie Oberweis : Aussi longtemps qu’une élite luxembourgeoise privilégiée gouvernera, aucune mesure ne sera prise pour répondre à l’urgence de certaines situations, comme c’est le cas pour le logement. Dans cette assemblée où tous ou presque sont propriétaires, du moins je l’imagine, on ne ressent pas l’urgence, et surtout, on ne veut pas déranger, c’est la culture du consensus mou.
M. C. : On aurait pu d’ailleurs prendre des mesures de suite, sans passer par une tripartite et gagner du temps.
Vous ne pensez pas que la classe moyenne qui reste la plus sollicitée va en avoir assez?
M. C. : Bien sûr et c’est peut-être une chance pour changer les choses, sinon rien ne bougera.
Vous êtes membre de la commission du Logement. Comment jugez-vous les efforts entrepris dans ce domaine, là aussi les députés ne veulent pas « déranger » comme vous dites?
N. O. : Il y a des instruments qui existent mais que personne n’utilise ou si peu parce que, effectivement, ça dérangerait. On sait, selon les chiffres de la Caritas, que 30 000 ménages sont dans le besoin pour se loger et on estime à 20 000 les logements vides au Luxembourg. Si nous sommes dans une crise immobilière, il faudrait commencer par les mobiliser. Je vois bien les efforts du ministre pour construire autant qu’il le peut, mais ce sont des projets qui aboutiront dans plusieurs années. Là, nous sommes dans l’urgence.
Les communes jouent-elles leur rôle dans ce domaine? Elles aussi disposent d’instruments qui sommeillent…
N. O : Il y a peut-être trois ou quatre communes qui taxent les logements vides. Les communes n’utilisent pas davantage le droit de préemption et encore moins la circulaire qui leur permet de louer à des privés des logements pour des bénéficiaires d’une protection internationale ou des personnes éligibles aux aides au logement. On nous a répondu que depuis 2015, seules 19 communes ont signé une convention avec le ministère de l’Intérieur. C’est juste incroyable. Personne n’a conscience de l’urgence et j’ai honte de cette passivité face à l’urgence et de ce sentiment d’autosatisfaction. Il ne faut jamais être satisfait de ce qu’on fait surtout quand on voit tous ces besoins existentiels et des instruments qui dorment.
Autosatisfaction?
M. C : Oui, dans tous les domaines, dans tous les discours. Ils se vantent d’avoir augmenté telle allocation de 200 euros, d’avoir fait un cadeau de 7 centimes sur le carburant, mais quand on leur rappelle le nombre de ménages qui risquent de basculer sous le seuil de pauvreté on voit bien que ces mesures sont insuffisantes. Il n’y a vraiment pas de quoi être satisfait, mais ils ne veulent pas l’entendre.
N. O : On a l’impression qu’il y a des députés qui sont plantés là sans la moindre intention d’aider ceux qui sont dans le besoin.
Ils rient aussi quand vous proposez d’étatiser l’approvisionnement et la distribution énergétiques?
M. C. : Oui bien sûr, et pour l’eau c’est pareil. C’est une catastrophe de vendre des sources à des entités privées. Nos nappes phréatiques s’appauvrissent pendant que des multinationales s’enrichissent.
N. O. : Maintenant le Grand-Duc va ouvrir des portes à Dubai pour les ressources gazières. On n’apprend rien du tout, on ne retient aucune leçon! Les ministres Asselborn et Fayot nous disent qu’il va falloir repenser notre modèle économique avec la guerre en Ukraine. Je rigole. On avait dit la même chose avec la crise du covid.
M. C. : Les députés ont été très fâchés que l’on dénonce leur voyage aux Émirats arabes unis, grands pourfendeurs des droits humains. Le jeudi, on débat de la crise énergétique et le lendemain vendredi, une délégation s’envole pour deux jours à Dubai.
N. O. : Ce qui m’interpelle surtout, c’est que nos revendications sont à la hauteur de toutes les crises que nous traversons et ils se moquent de nous. Ils font des petites réformes qui ne changent que peu la situation, ils font semblant d’agir et ça m’inquiète parce que l’on ne va jamais s’en sortir. Nos propositions font sens parce que toutes ces crises que nous traversons nous les avons créées nous-mêmes. Elles ne tombent pas du ciel, on les a fabriquées avec notre modèle de production capitaliste.
Qu’attendez-vous des ministres qui veulent repenser un nouveau modèle économique?
N. O. : À la suite de leurs propos, on a demandé un débat sur les relations économiques avec les pays qui ne respectent pas les droits humains. Il aura lieu mercredi prochain. J’ai hâte d’entendre leurs propositions et leurs réponses à nos questions.
La guerre en Ukraine, que vous condamnez avec fermeté, s’enlise et fait chaque jour des morts parmi les civils. Vous soutenez toujours le dialogue pour trouver une issue à cette guerre?
N. O : Il faut toujours dialoguer. Je viens d’un milieu associatif militant pour les droits humains et je sais qu’il est important de discuter, de toujours laisser une porte ouverte. Moi qui défends la cause palestinienne, je peux vous dire que personne n’est fan du Hamas dans notre comité, pourtant il faut le considérer comme un interlocuteur. C’est pareil avec Poutine, l’heure est maintenant aux compromis parce qu’il n’y aura ni gagnants ni perdants dans cette guerre, comme l’ont analysé certains observateurs. Il faut prendre du recul et éviter les risques à plus grande échelle. Je reste sur ma faim quant aux efforts diplomatiques qui sont entrepris. On mise tout sur les livraisons d’armes et les sanctions. Pour ma part, je retiendrai ce précédent.
En tant que Gauche, nous sommes des internationalistes et nous n’acceptons pas qu’il puisse y avoir deux poids, deux mesures
C’est-à-dire?
N. O : Il y a soixante guerres dans le monde et des millions de réfugiés, mais on n’a jamais parlé de boycott ou de livraisons d’armes, jamais. Je comprends parfaitement que chaque pays occupé militairement a le droit de se défendre par les armes, mais est-ce qu’on va livrer des armes aux Palestiniens demain ou aux Saharaouis occidentaux? J’ai posé la question à François Bausch, mais il ne m’a pas répondu. En tant que Gauche, nous sommes des internationalistes et nous n’acceptons pas qu’il puisse y avoir deux poids, deux mesures.
Vous êtes députées depuis presque un an. Comment analysez-vous les rapports de force entre les trois partis de la majorité?
M. C. : Ce qui domine, ce sont les finances. Le social et l’environnement sont négligés. François Bausch est pour moi le bon exemple d’un vert qui ne fait pas de politique verte. Quand il dit aux députés qu’il y aura toujours plus d’avions demain et que ça coûte moins cher que des infrastructures routières, je me demande où on va. On sait dans quel état déplorable sont nos forêts, mais il détruit des zones Natura pour construire des routes. Pourquoi ne pas réaliser un tram entre Hesperange et la Ville? Pourquoi détruire une zone protégée pour construire un contournement? Pour satisfaire les propriétaires de gros SUV qui ne prennent pas les transports en commun? C’est surtout pour faire plaisir aux électeurs.
N. O. : On voit surtout que c’est le DP qui règne en maître et c’est beaucoup lié à la personnalité de Xavier Bettel. L’exemple de l’obligation vaccinale est très évocateur. Pendant six mois, la ministre de la Santé nous déclare être contre et d’un jour à l’autre débarque le Premier ministre qui la court-circuite en annonçant que la question fera l’objet d’un débat à la Chambre. Les experts sont favorables à l’obligation vaccinale partielle et Bettel a dit qu’il suivrait leur avis. Ce sera encore très intéressant de voir ce qui va se passer entre Xavier Bettel et Paulette Lenert. J’espère que ça va encore durer jusqu’à la campagne électorale.
M. C. : On y est déjà.
Vous sentez que la campagne est lancée?
M. C. : Oui, clairement. Quand Dan Kersch demande à Georges Engel une réduction du temps de travail, alors qu’il aurait pu le faire lui-même quand il était ministre, il lance déjà la campagne.
Et la Gauche, elle prépare déjà les prochaines élections ?
N. O. : Le problème, c’est que l’on n’a pas beaucoup de ressources. On est toujours pris dans l’actualité, dans l’urgence. Mais on y pense (elle rit).
M. C. : À deux députés, on se partage le travail, 50/50. Nos journées sont interminables.
N. O. : Pour nous, la campagne est plus facile puisque nous sommes dans l’opposition, nous sommes toujours en mode campagne électorale avec nos arguments que nous développons, nos positions que nous soutenons en continu.
Tant que le Luxembourg ne se sucre pas avec une économie ultra-efficiente, l’afflux des étrangers va augmenter et la qualité de vie va diminuer. Bouchons, surface habitable, consommation énergétique, exclusion sociale.