Alors qu’il n’est qu’à 13 centièmes des minima pour Paris, Rémi Fabiani a décidé de tout changer. Il a pris du poids, quitté son université aux États-Unis pour tenter de vivre le rêve olympique parisien.
Aller aux JO, c’est un rêve pour tout sportif de très haut niveau. Pour les nageurs, il n’y a pas trente-six manières d’y aller; il faut nager vite. Très vite. Très, très vite même. À l’heure actuelle, aucun n’a son billet pour Paris. Mais deux, voire trois, peuvent y croire.
Parmi eux, on pense bien sûr à Rémi Fabiani. Auteur d’un ébouriffant 22« 09 lors de la finale skins des premiers championnats d’Europe U23 à Dublin l’été dernier, celui qui était arrivé en Irlande avec un record national à 22« 47 changeait de dimension. À «seulement» 13 centièmes des minima pour Paris, l’étudiant qui en troisième année à Cal Baptist, en Californie, pouvait ouvertement parler du plus gros évènement planétaire.
Mais à la différence de son compère Ralph Daleiden, qui a décidé de tout miser sur sa saison en NCAA du côté des Wildcats de l’Arizona, Rémi Fabiani a fait un choix diamétralement opposé : il a décidé de quitter temporairement les États-Unis pour se préparer au Luxembourg, avec son entraîneur de toujours, Christophe Audot.
Une décision mûrement réfléchie : «Après avoir fait 22« 0, j’ai discuté avec les coachs pour voir s’il était possible de faire la deuxième partie de l’année scolaire au Luxembourg. La première des raisons, c’est parce que, contrairement à Ralph, je n’ai pas de bassin de 50 m à CBU. Uniquement des bassins de 25 yards. Donc étant donné ma situation à l’entraînement, c’est plus simple pour moi de m’entraîner en grand bain», explique le nageur de 22 ans.
C’est ainsi qu’il décide de rejoindre le groupe de Christophe Audot fin décembre : «Avec tout ce qu’on a au Luxembourg, la confiance que j’ai en Christophe, l’opportunité de faire pas mal de bons stages, des compétitions, de me concentrer vraiment sur la natation, c’est finalement un choix naturel.»
Six repas par jour et muscu à outrance
Mais l’homme qui est rentré au Grand-Duché n’avait plus rien à voir avec le nageur un peu frêle qui avait claqué cette perf de folie en Irlande : «C’était un écureuil, c’est devenu un bison», dira d’ailleurs de lui Christophe Audot. Et pour cause : «Après les Mondiaux de Fukuoka, j’étais arrivé à la conclusion qu’il fallait que je gagne en force. Donc, après Dublin, avec les coachs du Luxembourg Institute for High Performance in Sports (LIPHS) on a mis en place un programme de prise de masse et de force pendant quatre mois. Et à côté, j’ai été aidé par une diététicienne. J’avais besoin d’un plan précis.» C’est ainsi que, durant quatre mois, ses journées ont été rythmées par les entraînements dans l’eau, les exercices de muscu dans la salle.
Et des collations à répétition : «Je mangeais six fois par jour.» Et de détailler une journée comme le lundi : «À 5 h, avant l’entraînement, un yaourt grec et des flocons d’avoine. Deux heures après, 5 ou 6 œufs, des pommes de terre, du bacon, du jus d’orange, un pancake ou une gaufre. Ensuite musculation. Après un shake de protéines avec 600 calories, un yaourt grec et un sandwich avec beurre de cacahuète et banane et j’allais nager tout de suite après. Dans l’eau, au lieu de boire uniquement de l’eau, je buvais une solution avec soit des sucres lents soit des sucres rapides, donc je mangeais quand je nageais. C’était intéressant, car ça permettait de ne pas trop puiser dans mes réserves et d’avoir un apport en sucres constant.»
Et il n’était même pas encore midi. Et ça continuait : «À midi, je mangeais le plus possible. Beaucoup de pâtes, de riz, des protéines. Beaucoup de légumes. Juste en grande quantité. Après, je remange vers 17 h au fast-food avec un Chick-fil-A, des frites et un cookie. Et parfois, je rajoutais des nuggets. Ensuite, suivant si j’avais cours ou pas, je remangeais vers 20 h ou 21 h. J’allais dans un endroit où ils font des sandwichs. Je prends un dinde, mortadelle, épinards, concombres, olives, mayonnaise, moutarde et salade. C’était mon dernier repas. Sauf si je sortais encore un peu pour aller prendre un dessert ou un truc comme cela. Des boules au tapioca avec du thé. Ou des Pizookies, un mélange de pizza et de cookie. Ils mettent le cookie au four et quand ils le sortent, ils rajoutent deux boules de glace. En septembre, ils ont sorti un pass. Pour 6 euros par mois, on peut aller manger un Pizookie tous les jours.»
Il s’astreint à ce régime pendant deux mois avant de commencer à progressivement diminuer. Et en parallèle, il charge également la mule au niveau muscu : «On a commencé par l’hypertrophie pendant les deux premiers mois. Au début, on m’avait envoyé un programme d’adaptation durant trois semaines. Et quand j’ai reçu le vrai, je me suis dit que c’était impossible. À la fin, je devais faire 4×8 reps (répétitions) à 90 kg en développé couché alors que l’été j’arrivais à peine à le faire une fois. Même chose pour les squats, je devais faire 120 kg à huit reprises. Et lors du dernier tour, il fallait aller chaque fois à sa limite. C’était très dur. Mais quand je faisais un circuit de 20 minutes non-stop avec bench press et bent over row, toute l’équipe m’a rejoint. Quand j’ai commencé l’hypertrophie, à la fin de chaque séance, j’étais fracassé. J’allais nager juste après et j’avais la sensation d’être un body-builder.» Alors qu’il pesait 80 kg à Dublin, il a atteint 92 kg au pic de ses exos de musculation : «Au début, ça ne changeait pas beaucoup. Et d’un coup, en trois semaines, j’ai pris énormément de poids. Beaucoup de muscle. Et forcément du gras aussi.»
Et à partir de Thanksgiving, il est entré dans un nouveau cycle : «On a fait six semaines de force. On descendait le nombre de reps, mais on augmentait le poids pour chercher la rep max. Je commence à manger moins aussi, parce qu’à un moment, il faut quand même commencer à nager normalement. J’ai fait une compétition après mon cycle d’hypertrophie et je nage encore 22« 9, avec la charge en muscu, ça va. Après, je nageais beaucoup pour m’habituer.» Et en fin de cycle de force, les résultats sont là : «J’ai pris entre 15 et 20 % de force sur les exercices. Développé couché, je passe de 100 à 116 kg. En clean (épaulé-jeté), je n’avais jamais fait 100 kg et je fais 115. En squat, je passe de 135 à 165. En military press, au début j’avais 30 kg pour 12 reps et je galérais. Et à la fin, je pouvais faire 4 reps avec 60. En snatch, je fais 10 ou 12 kg de plus que l’année dernière alors que je n’ai pas du tout travaillé cet exercice.» Les amateurs apprécieront.
«Il fallait que je m’habitue à mon nouveau corps»
C’est donc un nouveau Rémi Fabiani, stabilisé aux alentours des 87 kg, qui a débarqué au Luxembourg. Mais pas longtemps : «J’ai eu à peine le temps de poser mes valises qu’on repartait en stage au Portugal. J’ai beaucoup nagé. Il fallait que je m’habitue au grand bassin et à mon nouveau corps.» Et avec l’acquis dont il dispose en muscu, il est désormais en cycle power : «Le but est de soulever une charge à environ 85 % le plus vite possible. J’ai fait 0 vitesse pendant quatre mois alors que je suis un sprinteur. Maintenant, il faut que j’ajoute la vitesse en complément de la force.»
Et d’ajouter : «Le fait d’avoir beaucoup nagé en bassin de 25 yards est aussi une bonne chose. J’ai dû travailler les coulées à 92 kg et pas à 87. J’ai réussi à passer sous les 6 secondes aux 15 m ce qui était rare jusque-là. Et avec tous les virages qui t’aident, ça te permet aussi de nager plus de kilomètres. En grand bassin, ma limite aurait peut-être été 4 km alors qu’en bassin de 25 yards, tu peux pousser à 5 ou 6 km.»
C’est avec tout ce bagage qu’il se présentera ce week-end à l’Euro Meet, où il s’alignera sur 50 et 100 m nage libre : «Je n’ai aucune idée de ce que ça peut donner. J’espère pouvoir à chaque fois nager deux fois car en général, je suis plus rapide l’après-midi que le matin. Si je peux faire 22« 6 le matin et idéalement 22« 2 l’après-midi, ce serait super.» Et même s’il est qualifié pour les Mondiaux de Doha, mi-février où il nagera le 100 m dos et le 50 m nage libre, il a d’ores et déjà le regard tourné vers le Giant Open de France, une série de compétitions avec les meilleurs nageurs français un mois plus tard.
En attendant, il espère avoir désormais l’occasion de défier le Roumain David Popovici, recordman du monde du 100 m, présent pour la première fois à l’Euro Meet.