Avec son dernier morceau, Nous sommes les hommes, Serge Tonnar étonne : il se met au français, à l’électro-pop et à l’animation. Ça méritait bien quelques éclaircissements.
C’est une petite révolution. Lui parlerait plutôt d’évolution naturelle. Le 8 mars dernier, la Luxembourg Music Video Night dévoilait Nous sommes les hommes. À l’image, un clip réalisé par la jeune artiste Elena Labalestra avec la technique de la «digital 2D animation». Dans les oreilles, une électro-pop sombre et entêtante concoctée par Sacha Hanlet, genre qu’il défend sous le nom de Them Lights. Dessus, d’une voix rauque, Serge Tonnar ajoute un autre ingrédient à ce nouvel univers : un chant en français, une première pour lui en plus de vingt ans de carrière. Le musicien et compositeur serait-il à l’aube d’un nouveau cycle? Il a un début de réponse.
En plus de deux décennies de carrière, c’est la toute première fois que vous sortez une chanson en français. En quoi cela s’imposait-il ?
Serge Tonnar : Il n’y a jamais véritablement de choix. Si je m’étais dit : « Tiens, aujourd’hui, je vais écrire une chanson en français », ça n’aurait pas fonctionné! En réalité, celle-ci existe depuis neuf ans. Elle est venue naturellement. J’étais chez moi, à chercher des sons plus électroniques, puis j’ai commencé à chanter. Le français, pour ainsi dire, s’est imposé de lui-même. Mais elle est restée dans les tiroirs, et j’attendais un contexte pour la sortir. Comme aujourd’hui, les gens proposent moins d’albums et plus de singles, le moment était arrivé pour que ce morceau se montre. C’est un peu comme une bouteille jetée à la mer. À voir ce qu’il se passe ensuite…
Ce morceau, c’est un peu comme une bouteille jetée à la mer
Quel est votre lien avec la musique francophone ?
Je suis francophile depuis mon enfance. À l’époque, avec mes copains, on parlait un mélange de plusieurs langues : du français et du luxembourgeois avec des éléments d’italien et de portugais. À la maison, quand on a eu la télévision, on regardait principalement des séries françaises et mes parents écoutaient beaucoup de variétés. J’ai baigné très jeune dans cette ambiance-là.
Sur Facebook, guitare à la main, vous avouez même avoir un petit faible pour Francis Cabrel…
(Il rigole) Oui, il m’accompagne depuis ses tout débuts, à la fin des années 1970. J’adore ce qu’il fait.
Selon vous, quelle est la différence notable entre chanter en luxembourgeois et chanter en français ?
Pour moi, une langue, c’est surtout un moyen pour véhiculer des idées. C’est sa vertu principale. Dans mon cas, c’était d’abord l’anglais, comme tout le monde, puis le luxembourgeois. Maintenant que je replonge dans la langue française, très riche, je suis surpris par ce qu’elle offre comme choix, énormes. Mais j’aime aussi évoluer dans un cadre plus restreint comme avec le luxembourgeois. Ça impose des contraintes qu’il faut résoudre… Après, se remettre au français, le ressentir à nouveau en bouche, ça n’a pas été évident. Heureusement, en chantant, ça marche toujours mieux!
Chanter en français, est-ce également un moyen de toucher un auditoire plus grand ?
Potentiellement, oui, mais toucher ou non un public, ça reste un phénomène assez énigmatique… Quand j’ai commencé à écrire en luxembourgeois à la place de l’anglais, les gens m’ont dit : « Mais pourquoi tu fais ça? Tu vas restreindre ton public! ». Pourtant, c’est l’inverse qui s’est produit : j’avais dix fois plus de monde qui me suivait. Après, c’est vrai, chanter en français m’ouvre beaucoup de perspectives, mais n’oublions pas aussi que je suis un total inconnu dans la chanson francophone. Disons que ce morceau, c’est un essai. Reste à savoir comment il va être reçu. Et ça, on ne peut jamais le prévoir.
La chanson est sortie il y a deux semaines. Quelles sont justement les premières réactions ?
Jusqu’ici, je n‘ai eu que des retours positifs. Ça m’étonne un peu : je suis quand même quelqu’un qui est souvent exposé à la critique (il rit). Mais tant mieux! Les gens qui m’écoutent habituellement semblent apparemment ouverts au changement.
Avec Nous sommes les hommes, vous vous ouvrez également à l’electro-pop. Pourquoi ?
Je m’étais déjà frotté à l’électronique, mais jamais en chanson, plutôt pour le théâtre et la danse. J’ai eu envie d’utiliser cet outil pour la musique, voilà tout. Attention, ça n’a rien à voir avec une quelconque envie de sonner moderne. Je ne sais même pas ce que ça veut dire : je n’écoute pas ce qui se fait actuellement, particulièrement dans ce style. Moi, je suis plutôt vieux chansonniers!
Dans ce sens, Sacha Hanlet a-t-il été utile pour vous connecter à ce nouveau monde ?
Absolument. Au départ, pour cette chanson, j’avais une musique qui sonnait comme dans les années 1990, un peu vieux jeu (il rit). Et je n’ai pas la compétence qu’ont les jeunes producteurs d’aujourd’hui. J’ai eu alors besoin d’un coup de main extérieur. Tout ce que fait Sacha m’a toujours semblé intéressant. C’était donc la voie idéale et l’appui nécessaire pour essayer quelque chose de nouveau.
Appréhendiez-vous ce coup de main extérieur, d’autant plus que vous avez toujours tout fait vous-même ?
C’est comme cela que ça fonctionne maintenant. Tout a changé : la manière de faire, de produire et d’écouter de la musique. J’essaye simplement de m’adapter… Alors oui, il faut accepter de laisser un peu de liberté en confiant son bébé à quelqu’un d’autre pendant quelques semaines. Mais c’est pour son bien, pour qu’il grandisse. C’est comme dans une garderie : on y dépose son enfant et il apprend des choses qu’il n’apprendrait pas à la maison!
Je ne suis pas un très grand fan de Serge Tonnar!
Justement, vos grands enfants, également musiciens et producteurs, ils en pensent quoi ?
Ils trouvent ça bien. Mais ils sont surtout étonnés : ils me voyaient jusque-là comme un puriste pur et dur. Ce qui est faux.
Et vous, ça vous fait quoi de vous entendre dans ce nouveau registre ?
Je ne m’écoute pas souvent. Quand j’enregistre, je ne réfléchis pas à comment ça sonne : je suis plutôt concentré sur mon travail, afin de donner le meilleur de moi-même. Et quand c’est en boîte, je ne reviens plus dessus. Disons que je ne suis pas un très grand fan de Serge Tonnar! (il rit).
Votre nouvelle chanson s’accompagne d’un clip d’animation. Est-ce un moyen d’être à la page ?
Je ne pense pas. Si on essaye de faire quelque chose de moderne, ça rate à tous les coups! Ce sont surtout Sacha et Elena qui ont apporté quelque chose de nouveau. Je n’aurais jamais pu le faire tout seul. C’est le travail avec les autres qui a enrichi mon univers.
De l’animation, de l’électronique et du français… Ça fait beaucoup de changements pour un seul homme, non ?
Oui. Cette chanson, c’est un peu un mystère!
La seule chose qui ne change pas, finalement, c’est votre engagement. Nous sommes les hommes évoque l’ego, la soif de domination de l’humain, qui se considère, toujours aujourd’hui, au-dessus de la pyramide animale…
C’est cela! Sans le vouloir, c’est un thème qui revient régulièrement chez moi. J’avais un groupe, pas trop connu, à la fin des années 1990 : Battaklang. On avait fait un EP qui s’appelait Kallef Mat Enger Kroun, soit un veau avec une couronne. C’était déjà la même idée, avec cette image de l’homme qui se prend pour le roi de la création. Mais ça reste un animal, ce qu’il nie bien évidemment. En somme, un petit bonhomme, comme dans la chanson.
Cette sortie de votre zone de confort, comme vous dites, va-t-elle en induire d’autres dans le futur ?
À mon avis, sûrement. Le résultat m’enchante et me donne envie de creuser encore plus loin. Ces derniers temps, j’écris d’ailleurs en français… Je ne sais pas encore vraiment où je vais aller, je n’ai pas de stratégie en tête, mais j’ai de l’inspiration. C’est le plus important. Alors autant en profiter!