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[Musique] Michel Magne : de la BO au château


Parmi les grands compositeurs français qui ont mis en musique le cinéma, de Francis Lai à Michel Legrand en passant par Maurice Jarre et Alexandre Desplat, Michel Magne (1930-1984) occupe une place à part, un peu en retrait.

Peut-être parce qu’il considérait son travail pour le 7e art comme alimentaire, lui qui disait qu’un artiste ne peut s’exprimer spontanément à travers une commande et sous les ordres d’un réalisateur. Pourtant, aujourd’hui, son nom est associé à certains films ou sagas inscrits dans le patrimoine collectif : la série des Angélique et celle des Fantômas, Les Tontons flingueurs, Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol… Il a même été nommé aux Oscars en 1962 pour Gigot, avec Gene Kelly.

De sacrées références, pourtant bien maigres pour dépeindre avec justesse et honnêteté un homme haut en couleur, comme l’a d’ailleurs si bien fait Les Amants d’Hérouville, BD signée Yann Le Quellec et Romain Ronzeau, assurément l’une des belles réussites de 2021. Le Prince d’Hérouville, coffret divisé en cinq albums, n’en est finalement que le prolongement. Une riche anthologie, sortie dans la collection «Écoutez le cinéma», qui fait revivre ce musicien animé par une fureur de vivre sans égale. Un artiste frénétique et homme du monde aux amitiés nombreuses (Françoise Sagan, Boris Vian, Juliette Gréco, Jean Cocteau…).

Un destin unique et tragique, fait de fulgurances, de soleil et de larmes, dont l’avancée donne le vertige. Au départ, il y a, chez Michel Magne, cette force créatrice et cette imagination sans limites. Avant-gardiste boudé par la critique mais salué par ses pairs, il fonde un groupe électronique… en 1951! Il crée des «objets musicaux» avec ses bandes magnétiques, offre des performances survoltées en mode dadaïste et torture même son public, comme ce fut le cas, resté dans les mémoires, lors de ce concert donné salle Gaveau en 1954, à Paris. Rendus malades par les infrasons, les spectateurs cherchent alors à quitter l’auditorium, mais sont empêchés par des rugbymen qui bloquent toutes les issues…

Puis vient le temps du succès et ce statut de vedette de l’ombre du cinéma français (de 1962 à 1972). Une période suffisamment lucrative pour lui permettre d’acheter un château, celui d’Hérouville (situé à une trentaine de kilomètres de Paris), théâtre par le passé des amours illégitimes de Chopin et Sand. Il y mène une vie de grand luxe et surtout y fonde le premier studio d’enregistrement résidentiel de France (et l’un des tout premiers au monde). S’y presseront des pointures locales (Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Magma, Gong, Claude Nougaro…) et internationales (Elton John, David Bowie, Pink Floyd, T. Rex, MC5, Iggy Pop, The Bee Gees…).

Point d’orgue de cette étonnante aventure, un concert improvisé (et sous substances) des Grateful Dead devant une centaine de convives, dont une majorité de villageois, qui finiront dans la piscine et la tête à l’envers. Une cour des miracles qui durera jusqu’en 1974 avant la dégringolade annoncée. Assommé par des dettes et privé de son studio, Michel Magne se suicidera dix ans plus tard… Voir aujourd’hui un coffret qui lui est consacré est un petit miracle, sachant qu’en 1969, après un important incendie, il avait vu ses partitions et toutes ses bandes partir en fumée, devenant pour le coup un compositeur sans archives.

Heureusement, il en reste, comme le prouve cette vaste réunion qui rassemble les différentes facettes et passions de l’homme touche-à-tout : musique concrète et symphonique, expérimentations pop ou jazz avec orchestre, chansons de variété, sans oublier une synthèse subjective des «Hérouville sessions» (avec notamment une version de Honky Cat d’Elton John, que l’on retrouvera sur le bien nommé Honky Château de 1972). Toute la richesse d’un homme qui rêvait trop fort, car c’est comme cela que l’on crée : libre et sans calcul.

Un destin unique et tragique, fait de fulgurances, de soleil et de larmes

Michel Magne – « Le Prince d’Hérouville »

Sorti le 9 décembre

Label Decca Records / Universal Music

Genre Musique de film