Avec Michael, Killer Mike a décidé de faire un saut dans le passé en célébrant son histoire mouvementée et son héritage musical de la plus belle des manières.
Bien malgré lui, sa carrière solo a surtout été marquée… par des duos. Il y eut d’abord la collaboration avec Outkast sur la chanson The Whole World, récompensée d’un Grammy en 2002, ce qui lui a permis, dans la foulée, de connaître un succès d’estime avec son premier album (Monster). La suite s’apparente à une traversée du désert, avant une nouvelle rencontre, décisive : celle d’El-P, figure du rap new-yorkais des années 1990 avec son groupe Company Flow. En tant que producteur, ce dernier lui offrira un joli retour en grâce avec l’excellent R.A.P. Music (2012).
En tant qu’ami et associé, l’année suivante, ils montent ensemble Run The Jewels, duo aux sons qui décoiffent, aux blagues potaches et aux élans politiques. Depuis 2013 et quatre albums, dont un dernier devenu la bande-son d’une Amérique en colère (contre Wall Street, la brutalité policière, le racisme…), le tandem fait un véritable carton, n’hésitant pas, en tant que vétérans du «game», à faire entendre leur voix quand la situation l’exige. En 2020, pendant la pandémie, Killer Mike, tribun passionné et généreux, se montrait ainsi sur les réseaux sociaux pour parler de ségrégation, cherchant à étouffer la colère ambiante par un esprit positif. Classe.
Sainte auréole et cornes démoniaques
Mais avant d’en arriver là, d’être ce rappeur rondouillard au flow qui dépote, enchaînant les joints comme les bonnes idées, cette désormais figure d’un hip-hop «conscient» a une histoire derrière lui, pas si joyeuse que ça d’ailleurs. Elle commence par un nom : Michael Santiago Render. S’enracine dans une ville : Atlanta, son fief de toujours. Et elle a enfin un visage : celui qu’il dévoile sur la pochette de ce Michael, alors qu’il est âgé de neuf ans. On y voit un garçon malicieux, auquel il a rajouté une sainte auréole et des cornes démoniaques. Car oui, avec la vie, tout est toujours question de clair-obscur.
À 48 ans, Killer Mike a donc décidé de faire un saut dans le passé, de mettre sur le tapis ses souvenirs, de se confier sans retenue sur près d’une heure et quatorze titres de haute tenue. Bref, dessiner un autoportrait sincère qui n’élude rien : son enfance passée auprès de sa grand-mère, sa mère fleuriste impliquée dans le trafic de drogues (comme lui plus tard), les quartiers dangereux, les tentations, ces responsabilités arrivées trop rapidement, son premier amour (qui s’est terminé par un avortement)… Et, plus généralement, toutes ces épreuves qui font que l’on grandit.
Killer Mike célèbre son histoire mouvementée et son héritage musical, celui d’Atlanta
Michael est en effet ce genre de disques qui disent ce par quoi est passé un artiste pour en arriver là. Un objet sans esbroufe qui vient du cœur. Aux multiples humeurs et sonorités aussi, même si au bout du compte, celles-ci défendent le même ADN, la même racine : ce qu’il nomme «l’église noire», soit toutes ces chorales qui, à l’entendre, semblent avoir influencé la majorité des artistes présents sur l’album, tous des figures du hip-hop «made in Géorgie» (Future, CeeLo Green, Young Thug, 2 Chainz, Jagged Edge, André 3000…). «This shit is so Atlanta», dit-il à la fin de la chanson d’ouverture (Down by Law), confirmant l’intention.
Killer Mike célèbre donc son histoire mouvementée et son héritage musical de la plus belle des manières : en mêlant la soul au gospel dans une production luxueuse, aux accents résolument du Sud. En invitant dans l’affaire des chœurs du plus bel effet (dont la chanteuse Eryn Allen, qui magnifie le titre Motherless, sommet lacrymal du disque). En mettant de l’émotion dans chaque confidence. En jetant, enfin, un regard emphatique sur tous ceux qui l’entourent. Preuve de son humanité et de ses amitiés, dans un album pourtant loin de la grandiloquence de Run The Jewels, il accorde une place à son pote El-P (Don’t Let The Devil). Une manière de dire que son histoire est toujours en train de s’écrire. Seul, ou accompagné.
Killer Mike, Michael. Sorti le 16 juin. Label Loma Vista Recordings. Genre hip-hop