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[Musique] Les petites et grandes histoires de Lara Grogan


(photo Lara Grogan)

Elle était mercredi soir à la Rockhal pour présenter son nouveau projet inspiré des légendes oubliées et des récits médiévaux du Luxembourg : Lara Grogan est une jeune compositrice-chanteuse à part au pays. Portrait.

C’est un étonnant virage qu’a récemment pris Lara Grogan. Un changement de perspective dû peut-être à son âge, et cette année 2024 qui l’aura vue entrer dans la vingtaine avec un premier album et un départ pour l’Allemagne, à Cologne plus exactement, du côté de la Hochschule für Musik und Tanz où elle suit désormais des cours d’écriture et de composition.

Ainsi, après The Sculptor, sur lequel elle démontrait toute son aisance dans le chant, quelque soit d’ailleurs l’enrobage musical (classique, jazz…), la voilà à la tête d’un nouveau projet, singulier : retranscrire en chansons les contes et légendes du Luxembourg. De figure pop à troubadour médiéval, il n’y a qu’un pas. Apparemment.

Son histoire ressemble pourtant à tant d’autres : des parents venus d’ailleurs qui s’installent au pays, lui léguant au passage toutes les vertus du multiculturalisme. Elle parle cinq langues et éduque son oreille à travers différents styles musicaux, avec toutefois une préférence pour les artistes qui ont des choses à dire : Carole King, Joni Mitchell, Simon & Garfunkel et bien sûr les Beatles.

C’est d’ailleurs à l’écoute de In My Life qu’elle a une révélation : «Je me dis que c’est ça que je veux faire dans la vie.» Ça? Composer et voir la musique comme un moyen de connecter les gens à leurs émotions. Et exprimer au passage les siennes : «Dévoiler ses sentiments, imaginer son propre monde…  C’est fascinant !», confie-t-elle.

«Pensées adolescentes»

Elle va alors pousser plus loin l’héritage familial : elle se forme au piano classique, puis apprend la guitare «en autodidacte». Deux instruments essentiels, en effet, quand on veut créer ses chansons, et «non reprendre celles qui existent déjà». La suite ? Plusieurs passages remarqués au Screaming Fields (organisé par le Rocklab), où elle séduit par sa voix pure et ses mélodies pleines de charme.

Une double compétence venue sans forcer, selon elle : «Quand on écrit des chansons, c’est naturel de les incarner. Et dans ma famille, jouer et chanter vont toujours de pair !» Elle avoue cependant préférer le rôle de compositrice, décidée à laisser en l’état son chant que certains définissent comme «authentique». Car son objectif artistique ne varie pas d’iota : «Transmettre toutes les histoires que j’ai dans la tête.»

Il y aura donc une première démonstration avec The Sculptor, sorti discrètement, comme épousant le caractère pudique de sa génitrice. Huit morceaux imaginés et créés entre ses 14 et 18 ans, qu’elle regarde toujours avec tendresse. «Je suis heureuse de les entendre et de me dire que je les ai écrites si jeune.»

Elle y révèle ses «pensées adolescentes» et toutes ces «expériences qui font la personne que je suis aujourd’hui». Évidemment, avec du recul, elle avoue qu’elle ferait les choses différemment, avec toutefois certaines constantes : ne pas s’attacher à un genre musical, et garder en appui une ou plusieurs cordes. Ça se voit et s’entend : qu’elle joue en groupe ou dans un format plus réduit, il y a toujours un violoncelle dans les parages.

Troubadour médiéval

Cette passion «pour les paroles et les mots», qui lui a valu une place de choix en ouverture d’Esch 2022 (avec City and Its People), puis une autre en demi-finale du UK Songwriting Contest l’année suivante (pour The Sculptor), lui fait prendre aujourd’hui un étonnant chemin de traverse.

Elle s’explique : «J’ai toujours aimé les récits littéraires et mythologiques. Il y a un an, je me suis alors demandé : « y’a t-il des histoires luxembourgeoises ? »» Petite, à l’école, elle n’en a en tout cas jamais entendu, et en dehors de la sirène Mélusine, les légendes restent confidentielles au Grand-Duché. Elle se dit que ces fables se transmettent peut-être dans les anciennes familles, au lointain enracinement, ou qu’en raison de la petitesse du pays, «elles changent dès que quelqu’un les raconte, comme une rumeur».

Elle veut en avoir le cœur net et, dans les rayonnages de la Bibliothèque nationale, elle va vite constater qu’elle se trompait, notamment en tombant sur le livre de Nicolas Gredt, datant de 1883 : Sagenschatz des Luxemburger Landes. Un «trésor» qui va lui ouvrir de nouveaux horizons.

Elle écrit et met ainsi en musique plusieurs titres sur la légende d’Élisabeth de Dudelange, sur le loup-garou de Bettembourg ou un violoniste d’Echternach (voir ci-dessous). Des morceaux matérialisés mercredi sur scène à Belval, avec à ses côtés, un quatuor débarqué de Cologne. Et pour mettre le public dans l’ambiance d’un concert réduit à trente minutes, Lara Grogan a imaginé un prologue et un épilogue dans lesquels elle incarne un troubadour médiéval. «C’est tout un monde!», rigole-t-elle, tout en se disant «impatiente» de la réaction des spectateurs.

Château et princesse

Voilà qui est en effet audacieux et, comme elle le reconnaît, il n’est pas facile de passer d’hymnes intimes à des fables folkloriques. «C’est une autre approche : quand on est triste par exemple, on se met au piano et voilà… Là, si je parle d’un loup-garou, il faut que je songe à quelles émotions je veux transmettre, et comment m’y prendre. C’est un processus plus intellectuel que corporel.»

Et pour ne pas se perdre dans ces récits d’un autre temps, elle va s’atteler à les moderniser, ou plutôt à montrer leurs pertinences, intactes au fil des siècles. «L’Histoire se répète, se réinvente : il y a 1 000 ans, les gens avaient les mêmes pensées que nous!», soutient-elle. D’où ces sujets «universels» qui en ressortent, comme la confiance, le courage ou encore le hasard.

Certains récits dressent même des parallèles plus évidents, comme celui qu’elle raconte : un château luxembourgeois qui, à la suite d’une violente tempête, se voit noyer par les flots. «Comment ne pas penser au climat et à l’écologie ?», s’interroge-t-elle. Mais ce n’est pas sa préférée : elle aimerait prochainement mettre en musique la vie de Yolanda, princesse de Vianden qui ne rêvait que d’une chose : entrer dans les ordres religieux.

«Il faut du cran pour sortir de son confort et s’imaginer un autre destin.» Le sien, elle l’imagine notamment sur une scène improvisée, où elle conterait tous ces mythes et légendes, ses petites et grandes histoires, auprès des touristes. Le Luxembourg, soucieux de défendre son passé pour mieux construire son avenir, serait bien mal avisé de refuser la proposition.

Des légendes en chansons

Élisabeth de Dudelange

Autrefois noble dame prisonnière d’un mariage arrangé, Élisabeth von Hunolstein s’est retirée du monde et s’est enfermée dans le château de Dudelange. Lorsqu’elle meurt, plusieurs jours s’écoulent avant que l’on ne remarque son absence. Certains disent qu’elle n’est jamais partie – son fantôme hanterait encore les collines de Dudelange, apparaissant près d’un ruisseau tous les sept ans, peignant ses cheveux et pleurant un amour n’ayant jamais existé.

Veit d’Echternach

Veit était un violoniste dont la musique ensorcelait ceux qui l’écoutaient. Accusé à tort d’un crime et condamné à mort, il obtint une dernière faveur : jouer une ultime mélodie. Lorsque son archet effleura les cordes, les habitants se mirent à danser frénétiquement, incapables de s’arrêter. Lorsque la musique s’éteignit enfin, le musicien avait disparu dans la nuit, sans laisser de trace.

Le loup-garou de Bettembourg

On raconte qu’un jeune soldat, de retour de guerre, avait tant changé que ses propres voisins ne le reconnaissaient plus. Peu après, des murmures commencèrent à circuler : des hurlements étranges retentissaient la nuit, des pas invisibles résonnaient dans les ruelles sombres. La peur gagna Bettembourg, car tous connaissaient la légende : lorsque l’ombre s’étire et que le vent porte un long grondement sourd, le loup-garou est proche…