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[Musique] Les horizons d’Alberto Caicedo


Ambassadeur de la salsa colombienne «made in Luxembourg», Alberto Caicedo sort aujourd’hui son troisième album, Horizontes. L’occasion d’évoquer une vie et une musique qui se nourrissent mutuellement. Rencontre.

Si la musique d’Alberto Caicedo vous monte au corps et à la tête, donnant une irrépressible envie de danser, c’est normal : sa salsa est énergique et colorée, portée par des percussions, des cuivres, un piano, une contrebasse et une voix, la sienne, chaude comme le soleil de Colombie.

C’est de là que vient cet autodidacte, compositeur et multi-instrumentiste. C’est de là aussi qu’il est parti il y a plus de vingt ans, ralliant plus tard le Luxembourg où il officie comme professeur au Conservatoire. Un long chemin de vie, fait de départs, de voyages et d’histoires, offrant à son style une richesse rare.

Ça tombe bien : c’est tout l’objet de son troisième album, Horizontes, qu’il présente ce soir au Trifolion d’Echternach. Confidences.

Vous avez quitté la Colombie il y a plus de vingt ans. Comment avez-vous vécu ce départ? 

Alberto Caicedo : C’est toujours douloureux… D’abord partir de Guapi, mon village natal, quitter sa famille, ses amis. Puis s’en aller de Colombie pour l’Europe, sans savoir quand, ni comment j’allais pouvoir rentrer un jour. C’était en 2000 : je suis arrivé à Hanovre (Allemagne) avec Grupo Bahia, un groupe de musique folklorique.

Avec trois amis, une fois la tournée terminée, on a décidé de rester et on est parti à Amsterdam. Je me rappelle le jour où je suis arrivé : il faisait un froid glacial et c’est la première fois que je voyais de la neige. Un choc thermique! (il rit).

L’exil amène à des sentiments mitigés : il y a l’incertitude, la peur, la solitude… On ne sait pas ce qu’on va trouver, ni comment survivre. Mais c’est aussi une expérience fondatrice : celle d’assumer ses choix, ses décisions. Et puis, j’avais un allié à mes côtés : la musique, qui m’a toujours aidé à tenir le coup, à être fort, à trouver des opportunités.

Deux vidéos accompagnant votre nouvel album font parler des gens de votre entourage, en Colombie. En quoi ce retour aux sources s’imposait? 

C’est une suite logique de mon parcours : mon premier album, La Voz de Colombia (2006), était à voir comme une fleur en bourgeon où figuraient mes premières compositions. Le second, A Corazon Abierto (2012), est plus académique et plus complexe, car il est le fruit de mes expériences au Conservatoire de Rotterdam.

Le troisième se caractérise, lui, par une plus grande maturité, une distance aussi. C’est comme si toutes les inspirations que j’ai puisées jusqu’à présent dans différents genres musicaux se libéraient et revenaient à mes racines. Horziontes, c’est le recueil intime de mon long voyage. Il montre ce que je suis devenu.

Quand vous êtes arrivé au Luxembourg en 2010, vous dites y avoir trouvé «un silence à remplir». C’est-à-dire?

C’est comme ce dicton qui dit que lorsqu’un verre est rempli de sable, il paraît plein, mais en réalité, il reste de la place pour de l’eau… Malgré tout ce que j’ai vu, exploré et appris dans différents pays, auprès de différentes personnes et à travers une multitude de styles musicaux, il y a toujours une place pour moi quelque part. Et le Luxembourg me l’a accordée.

Pourriez-vous résumer la salsa en quelques mots? 

La salsa, c’est une sauce où tous les ingrédients s’incorporent, où tous les styles sont les bienvenus. À l’inverse, quand on essaie de la greffer à d’autres musiques, ça ne fonctionne pas toujours bien (il grimace). Finalement, elle correspond à un mode de vie, celui des Latinos : ouverte, bienveillante.

Quel est le profil type du public au Luxembourg? 

Il y a évidemment des Latinos, ou des Européens en contact avec la culture latine. Habituellement, ce sont surtout des personnes qui adorent danser. Mais, à mes yeux, c’est réducteur.

Car la salsa n’est pas une musique à usage unique : on y trouve également de belles mélodies, et si on parle la langue, des messages. Si vous ne savez pas danser, vous pouvez quand même écouter!

Vous êtes aussi professeur au Conservatoire de Luxembourg. Dès lors, vous sentez-vous comme un passeur, l’ambassadeur d’un style?

Ambassadeur? Le terme est un peu fort (il rit). Médiateur, ça me va mieux. Disons que tout au long de ma vie, j’ai enseigné : aux Pays-Bas, au Luxembourg, mais aussi en Colombie, où, comme un éducateur social, j’allais chercher des jeunes à la rue pour les connecter à la musique.

Au cours de ces expériences, mes méthodes ont évolué, mais l’idée derrière est restée la même : transmettre un savoir-faire.

Votre album, Horizontes, parle d’exil et de voyages. Est-il empreint de mélancolie, ou au contraire, de joie de vivre?

C’est un mélange d’émotions, à l’image des chemins que j’ai empruntés, semés d’embûches, avec des hauts, des bas, des joies et des peines. Certaines chansons sont empreintes de mélancolie, comme celle en hommage à mon père décédé, ou celle que j’adresse à mes filles.

Et d’autres plus joyeuses, où l’on célèbre par exemple le carnaval de Colombie. D’ailleurs, ce serait sympathique d’avoir ce genre de fête au Luxembourg, non? Bon, je ne sais pas si c’est réalisable. En attendant, il y a toujours ma musique!

Celle-ci est très rythmée, énergique. Pour un non-initié, il est difficile d’imaginer que l’on parle de tristesse…

C’est l’idée que les gens s’en font en général : la salsa, c’est juste pour danser. Mais c’est plus profond que ça, et ça tient souvent aux arrangements. Alors oui, on peut s’amuser, mais aussi écouter, ressentir de la tristesse, de l’amour… Et même pleurer! La salsa, c’est une musique pour tous. Tous les sentiments s’y expriment. Elle n’est jamais discriminante.

Votre album réunit des musiciens et chanteurs issus de huit pays différents. Ce multiculturalisme est-il important?

Oui. Même si le groupe qui m’accompagne change en fonction de la disponibilité des musiciens, cet aspect multiculturel est toujours présent. Pour le concert du Trifolion, il y aura des personnes du Panama, du Pérou, du Venezuela, d’Espagne, d’Allemagne, de Colombie… J’aime ce brassage!

Sans oublier qu’il y a toujours un noyau dur autour de moi, des gens que je connais bien. J’apprécie leur style, leur attitude, leur groove. Oui, c’est un beau mélange.

Est-ce justement difficile de faire des concerts quand on est si nombreux? 

Je ne vous apprends rien : le marché est en berne. Si composer est devenu plus facile, vendre sa musique est compliqué. Certes, il y a le streaming, mais cela rapporte peu. C’est la dure réalité, mais on n’arrive pas à vivre de notre art. Et on est beaucoup dans cette situation.

En live, on connait aussi d’autres contraintes : quand on est neuf musiciens, les producteurs ou les salles négocient, du genre « vous pouvez venir à cinq?“ D’accord, mais ce ne sera pas du tout la même musique! Et parallèlement, on n’hésite pas à lâcher un gros chèque à un DJ qui est tout seul…

Vous jouez de la percussion et chantez en même temps. Votre cœur balance-t-il plus pour l’un que pour l’autre? 

C’est la question à un million de dollars! (il rit). Non, sérieusement, si la plupart des gens en Europe me voit comme un chanteur, c’est qu’ils ne savent pas que je sais jouer de nombreux instruments : j’ai commencé avec la guitare, puis le piano est arrivé. Ensuite les percussions, la basse, le trombone… Et quel que soit ce que je joue, je chante avec!

Dans ce sens, je n’ai aucune préférence. Il faut juste respecter la musique et trouver un bon équilibre.

Parmi les chansons d’Horizontes, il y a la reprise de Champs-Élysées de Joe Dassin. Pourquoi ce choix? 

Pendant quinze ans, j’ai accompagné Yuri Buenaventura, un chanteur colombien, connu notamment pour sa reprise de Ne me quitte pas de Jacques Brel. C’est grâce à ses tournées dans les pays francophones, jusqu’en Afrique, que je me suis familiarisé avec le répertoire français : Une belle histoire, Mon amant de Saint‐Jean… Que de magnifiques chansons (il les fredonne).

Champs-Élysées est encore plus symbolique : elle représente un Paris de carte postale, et dans le métro, à chacun de mes passages, j’ai pu l’entendre dans beaucoup de versions. Pourquoi pas alors en salsa? Et voilà le résultat! Seul problème : je n’ai pas eu les droits, donc elle sera seulement sur les plateformes digitales. Dommage.

Toujours dans une des vidéos, un ami dit que vous êtes un homme d’amour et de paix. Que répondez-vous à cela?

Je prends! Mais je pense que sa vision tient d’abord à ce que ma musique lui apporte. Après, à savoir si je suis un homme de paix et d’amour, je répondrai simplement qu’il faudrait plus de musique que de bombes. Et si dans ce chaos, j’apporte ma modeste contribution à ce que ça aille mieux, j’en serai(s) comblé.

«CD-Release : Horizontes» Ce soir à partir de 20 h. Trifolion – Echternach.

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