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[Musique] Les émotions fortes d’Anna B Savage


Avec son second album, Anna B Savage poursuit les questionnements de ses précédents titres sur la vie qui passe, la complexité du monde ou la douleur d’une passion.

En 2021, en plein confinement, Anna B Savage débarquait avec un premier disque qui s’imposait, malgré lui, comme la BO parfaite du moment : celle de la sinistrose ambiante et du chaos incertain. Au cœur des tourments, A Common Turn, volontairement dépouillé, laissait échapper une voix magnifique qui pourrait se passer de tout accompagnement.

Tantôt explosive, tantôt fragile, brisée, elle résumait bien l’élan de cette Londonienne, qui révèle ses états d’âme dans une mise à nu rare : celle d’une jeune femme du XXIe siècle, vulnérable, anxieuse et parfois découragée de ses amours. Face aux démons, une seule solution : user de la musique comme d’une thérapie. Une catharsis qui, chez elle, prend plus de poids et de sens que chez tous les autres.

Un large éventail d’émotions

On remonte alors le fil : en 2015, Anna B Savage, dont les deux parents sont chanteurs classiques, montre qu’elle a de qui tenir, ce qui s’entend sur son premier EP, d’une belle tenue. Seulement, l’attention qui lui est portée (notamment ses tournées avec Jenny Hval et Father John Misty) va rapidement la déstabiliser : pas prête à prendre la lumière, elle ne se sent pas à sa place, broie du noir et une douloureuse rupture va définitivement la mettre au sol.

C’est ce large éventail d’émotions que la musicienne va déballer sans retenue six ans plus tard, sans faire semblant. À preuve, pour le clip du morceau Baby Grand, elle a retrouvé son ex-petit ami pour démêler, sous l’œil voyeur de la caméra, les sentiments inexprimés de leur relation.

Ces questionnements sur la vie qui passe, sur la complexité du monde, sur la douleur (comme sur le plaisir) d’une passion, Anna B Savage les poursuit sur ce second album. Mais désormais, les réponses ne semblent plus être sa quête définitive. «J’ai fini par accepter que les incohérences faisaient partie de la nature humaine», peut-on lire sur le site de son label (City Slang). Oui, elle ne semble plus s’inquiéter de ce qu’il y a de l’autre côté du mur, appréciant le tâtonnement cotonneux de la zone grise. Elle poursuit : «J’ai confiance dans le fait qu’il m’est permis d’avoir de multiples facettes, et d’exprimer mes dualités». ​​in|FLUX en regorge.

Si c’est tout ce qu’il y a, je pense que je vais être bien

Il y a déjà ce titre, qui peut se comprendre comme la nécessité de se libérer des blessures à l’âme. Il y a aussi cette pochette «miroir», où elle pose comme la figure d’un jeu de cartes tronqué. Il y a enfin les chansons, toutes minimalistes et joueuses, mais qui dans leur déroulé passent de l’ombre à la clarté. Une évidence quand on tombe sur la chanson-titre, sur laquelle elle lâche un rire libérateur qui va se perdre dans un joyeux désordre électronique. Jusque-là, sur The Ghost, elle demandait aux esprits de se calmer («Arrêtez de me hanter, s’il vous plaît!») ou réclamait une présence à ses côtés, dans l’angoissante Say My Name. Mais Anna B Savage est déterminée à aller mieux, et le prouve avec maestria.

Une imagerie à la fois féminine, puissante et féroce

Sans fioritures, habillées avec élégance, les petites histoires qu’elle sculpte (toutes dirigées vers un interlocuteur silencieux et énigmatique) la délestent d’un poids trop accablant. La clarinette et le saxophone, dépoussiérés pour l’occasion, s’associent alors au piano et à la guitare pour souligner le rétablissement. Son imagerie, non plus, ne trompe pas, à la fois féminine, puissante et féroce. Et puis, il y a cette voix, toujours, que le magazine Rolling Stone a qualifiée, à juste titre, d’«inoubliable», si sensible qu’on a l’impression qu’elle est murmurée au creux de l’oreille.

Afin de boucler la boucle, Anna B Savage conclut avec le morceau The Orange, titre emprunté à un poème de Wendy Cope sur la recherche de la joie et du contentement dans la simplicité : «Si c’est tout ce qu’il y a, je pense que je vais être bien», lâche-t-elle comme un mantra. À une époque de grande incertitude, voilà un début de remède.

Anna B Savage, ​​in|FLUX. Sorti le 17 février. Label City Slang. Genre art-pop.