Sept ans après son premier disque, Kid Colling revient à la charge, guitare devant. Mais si Living on the Wild Side rappelle son solide attachement au blues, il raconte bien plus que cela. Confidences.
Il y a sept ans, on découvrait Kid «Stéphane» Colling, jeune homme soudé à sa guitare, à son «Cartel» et à ce blues qui lui colle effectivement à la peau. Avec son groupe (appelé ainsi en raison de ses origines colombiennes), le musicien-compositeur, né à Bogota et adopté à l’âge d’un an par une famille luxembourgeoise, refait parler de lui avec un nouvel album, Living on the Wild Side, quittant la trace de son prédécesseur (In the Devil’s Court) pour affirmer un son plus rock, plus alternatif.
Dix morceaux teintés de funk, de soul et d’autres, sortis sur le label français Dixiefrog, et racontant en creux tout ce qu’il a traversé ces dernières années : un retour sur ses terres, suivi d’un voyage à La Nouvelle-Orléans sur celles du blues-jazz, avant de retomber sur terre avec la pandémie. Aujourd’hui père, le futur quadragénaire ne réclame qu’un peu «d’équilibre» et de «paix». Sans oublier des concerts et de la bonne musique, comme vendredi à la Rockhal.
Que s’est-il passé pour vous depuis sept années et la sortie de votre premier album ?
Kid Colling : (Il souffle) Beaucoup de choses ! Pour faire vite, après In the Devil’s Court et quelques concerts, notamment en Allemagne, mon père est tombé gravement malade. Je l’ai accompagné jusqu’à la fin, en 2019. Deux années très dures… J’ai alors ressenti le besoin de m’évader, et sur un coup de tête, je suis parti à La Nouvelle-Orléans avec ma guitare. Ça m’a carrément ressourcé !
Quand on fait du blues comme vous, c’est une destination toute trouvée, non ?
J’avais aussi la possibilité d’aller à Chicago, mais je n’allais pas échanger un hiver pourri au Luxembourg pour un autre, encore plus pourri, aux États-Unis (il rit).
Vous êtes resté sur place trois mois. Qu’y avez-vous cherché, et qu’est-ce que vous avez découvert ?
Je ne suis pas parti avec de grosses attentes : m’aérer la tête, d’abord, et ensuite, découvrir de nouvelles choses, de nouvelles personnes… J’ai été servi ! J’ai reçu tellement que je pourrais en écrire un bouquin !
C’est-à-dire ?
C’était la folie ! Dès ma première scène, dans une jam session, je tombe sur Danny Alexander, figure bien connue là-bas. Il me prend alors sous son aile et je me retrouve à enchaîner les concerts, cinq jours par semaine, sur Frenchmen Street et Bourbon Street! J’ai découvert cette ville de l’intérieur, avec ses musiciens.
Comment se vit la musique là-bas ?
Vous pouvez vous retrouver dans une rue immense où, sur une interminable ligne droite, il n’y a que des clubs. Vous êtes entouré de concerts, et de tous les styles! Bien qu’elle soit considérée comme une terre de jazz, le blues y est omniprésent. Cette ville respire la musique, où que l’on soit : on peut sortir d’un restaurant à minuit et tomber sur un saxophoniste qui répète sous la lumière d’un lampadaire… Ça fait cliché, mais c’est la réalité. Je comprends que, pour certaines personnes, ça puisse paraître « too much », un peu comme à Disneyland! Ce n’est pas mon cas.
Musicalement, est-ce que ça vous a regonflé ?
Clairement. Quand vous jouez avec Tab Benoit, un guitariste star en Louisiane, alors que vous avez un billet pour aller le voir en concert deux semaines plus tard, ça fait drôle ! Vous êtes là, sur leur terrain, et tout le monde semble vous apprécier. Ça me conforte dans une idée : partout où vous allez, si vous parlez la langue musicale avec humilité et honnêteté, les gens valident. Ils voient vite que vous n’inventez rien.
N’avez-vous pas voulu y poser vos bagages ?
Si. J’y ai beaucoup réfléchi. La vie est moins chère et il y a du boulot quand on est musicien. Là-bas, le rêve américain se touche du bout des doigts… Après, il faut aussi se faire aux ouragans qui, d’un souffle, peuvent vous faire tout perdre. Katrina a laissé de profondes blessures, ce qui amène la population à relativiser. Pour eux, comme ils disent, « il y a pire que de perdre une maison ».
Mais finalement, vous êtes revenu, avec l’envie de faire un nouvel album…
Oui, mon visa avait expiré et j’avais commencé à écrire quelques trucs sur place. J’étais gonflé à bloc, je reviens au Luxembourg le 10 mars 2020, je joue le 15 au Bei der Gare et deux jours après, la pandémie et tout qui ferme. Finie la fête… Comme l’expression le dit, « from hero to zero » !
Et vous faites alors une chanson en hommage au corps médical…
Helden a Wäiss (soit « des héros en blanc ») était une réponse à la situation que l’on vivait : créer quelque chose qui avait du sens, avec les moyens du bord, soit dans mon petit home studio. Ça m’a fait du bien d’être actif. C’était frustrant, on ne voyait aucun horizon se dessiner… Pas de concert, pas de sortie, pas de plaisir. À quoi sert la vie, alors?
Est-ce dans ce même rythme que s’est construit Living on the Wild Side ?
Oui. J’avais déjà le titre, inspiré d’un autre concert joué à La Nouvelle-Orléans au cœur d’une concession Harley-Davidson lors d’un grand rassemblement de motards. La suite s’est construite peu à peu, lentement, mais sûrement.
Le côté sauvage du titre est-il aussi à voir avec votre orientation vers un blues plus rock, plus mordant ?
J’aime le blues, c’est certain, mais j’ai toujours eu une approche plus moderne, plus alternative. C’est le bon terme : je ne joue pas (ou très peu) les structures de blues traditionnelles, ou alors, elles se rapprochent plutôt de celles d’un Ray Charles. J’aime mettre la guitare en avant dans des dérives plus lourdes, plus puissantes. Sauvages, quoi !
Je suis un bluesman dans l’âme
Si la couleur blues est omniprésente, elle se mélange à la funk, à la soul… Pourquoi ?
Rester dans le blues pur et dur, défendre en somme une musique de niche, c’est compliqué à faire aujourd’hui, et pour moi, ennuyant. D’où ce mélange de styles et d’harmonies. Cela tient aussi à ma manière de composer : je ne me fixe jamais un cadre, un style, une idée. Je me laisse aller, et vois ce qu’il en ressort.
Ici et là, on y trouve tout de même un harmonica, des solos de guitare… Il y a des réflexes profondément ancrés, non ?
(Il rit) Je ne renierai jamais d’où je viens : je suis un bluesman dans l’âme, et si vous venez me voir dans un bar au Luxembourg, je vais vous sortir toute la panoplie! Après, dans mes compositions, ça ne m’intéresse pas de faire des standards traditionnels. Le marché regorge de ce genre de choses.
Il y a une chanson de votre dernier disque qui sonne différemment des autres : El Gato. Est-elle autobiographique ?
Tout vient d’un ukulélé que j’achète pour passer le temps durant la pandémie. Je m’amuse avec, et d’un coup, je joue une ligne qui a des accents latinos et me rappelle mes origines. Je décide alors de contacter Daniel Restrepo qui habite Bogota – il m’a fait découvrir le pays en 2018 – pour chanter le refrain. Et histoire de lui donner une couleur moins hispanisante, je demande à Luca Sales, un copain qui vient du même orphelinat que moi, de jouer du piano dessus. On se retrouve au final avec un morceau autobiographique, joué par trois Colombiens dont deux adoptés au Luxembourg!
Et pourquoi El Gato ?
C’est un autre surnom : le genre de bête qui retombe toujours sur ses pattes !
Le respect, ça se gagne !
Est-ce important de se reconnecter à ses racines, aussi éloignées soient-elles ?
C’est une évolution patiente. Avant mon premier voyage en 2018, je ne connaissais pas la Colombie. Je savais que j’y étais né, et que j’y retournerai un jour. C’est tout. Une fois là-bas, je n’ai pas cherché à savoir qui étaient mes parents génétiques. Je n’étais pas prêt à cela et je ne suis pas sûr de l’être un jour. Mais ça m’a fait du bien de voir des gens à qui je ressemblais, et de comprendre aussi certains de mes traits de caractère! D’accord, j’ai une éducation 100 % luxembourgeoise, je vais à la Spuerkeess et je bois de la Battin, mais c’est le sang colombien qui coule dans mes veines.
Le blues est-il toujours bien représenté dans la Grande Région ?
Selon moi, c’est difficile de jouer. Alors oui, il y aura toujours un bar pour vous accueillir et vous laisser sa scène. C’est le jeu et tout musicien se doit de passer par là. Après, dès que ça devient plus sérieux et qu’il s’agit d’être payé, ça coince… Les petits endroits n’ont pas forcément le budget, et pour accéder aux plus grands, ça n’a rien d’une évidence. Soit on a un nom porteur, soit on garde celui, anonyme, du musicien local sans grande importance. C’est un équilibre délicat qui, toutefois, vous pousse en permanence à aller plus loin. Le respect, ça se gagne!
Kid Colling Cartel «Living on the Wild Side Release». Vendredi à 20 h. Support : San-Ho-Zay. Rockhal (club) – Esch-Belval