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[Musique] Katie Melua : «Je n’ai pas guéri de mon addiction à la musique»


(Photo : bmg)

Bientôt de retour à la Rockhal, Katie Melua se confie sur son expérience de jeune mère et livre ses pensées sur la nouvelle scène jazz londonienne et l’amour parfois toxique qu’elle voue à la musique.

Si elle assure «travailler actuellement à de nouvelles chansons», Katie Melua a revu ses priorités depuis qu’elle est devenue mère, fin 2022 – un heureux évènement qui sert de toile de fond à son dernier album, Love & Money (2023). Cet été, l’une des grandes voix du jazz britannique amènera ce neuvième disque – aux côtés de ses classiques comme Nine Million Bicycles ou The Closest Thing to Crazy – sur la scène de la Rockhal dans un spectacle à la fois énergique et intime, dont elle seule a le secret. Interview.

 

Le 15 juillet, vous serez sur la scène de la Rockhal dans le cadre d’une petite tournée européenne, ramassée sur une poignée de dates. Quel en est le concept?

Katie Melua : Je travaille avec un tout nouveau groupe, et c’est quelque chose que je n’ai plus fait depuis très longtemps, presque une décennie. Travailler avec eux est fascinant. Pendant le covid, il s’est passé quelque chose à Londres au niveau de la scène jazz, qui est devenue extrêmement populaire. Les grands musiciens du Royaume-Uni ont toujours été phénoménaux, mais je crois que l’oreille du public est devenue plus sophistiquée. Donc je suis ravie de jouer avec de nouveaux musiciens qui amènent cette fraîcheur, cette nouvelle énergie aux chansons.

Quel regard portez-vous, plus de vingt ans après vos débuts, sur cette nouvelle scène?

Moi-même, je n’ai pas eu l’occasion de les voir sur scène, mais je connais leur musique et la place qu’elle prend. Pendant cette période, j’ai rencontré mon compagnon, nous nous sommes installés ensemble et avons eu un bébé, donc je dois être la femme la plus déconnectée de ce monde, car les sorties nocturnes ne sont plus qu’un lointain souvenir pour moi (elle rit). Mais je vois tout cela à travers les musiciens avec qui je travaille aujourd’hui. Beaucoup de mes chansons, prenons The Closest Thing to Crazy, sonnent comme des chansons pop, en apparence simples, mais qui ne le sont pas du tout : les accords sont relativement importants, l’indication de la mesure est très particulière. Les musiciens qui pensent que ma musique est très simple réalisent rapidement qu’ils ont tort : elle nécessite le niveau d’un musicien de jazz.

Cette nouvelle scène a cette particularité que ses musiciens viennent d’horizons musicaux différents, qu’ils continuent d’explorer sous la bannière du jazz. D’une certaine manière, vous l’aviez fait aussi avec In Winter (2016), où vous exploriez pour la première fois vos racines géorgiennes.

In Winter a été créé en Géorgie et reste ma première et seule coproduction : je n’ai pas seulement travaillé comme chanteuse et parolière de l’album, mais je lui ai donné sa forme, son concept. C’est l’un de mes disques préférés, aussi parce qu’elle contient une chanson en géorgien, avec une atmosphère très forte.

Avez-vous déjà envisagé de chanter plus souvent dans votre langue natale?

J’aimerais pouvoir le faire. La raison qui m’en empêche est que j’avais neuf ans lorsque je suis arrivée au Royaume-Uni, donc mon niveau de géorgien a été pendant longtemps celui d’un enfant de huit ans. Maintenant que j’ai Sandro, je lui lis des histoires en géorgien tous les soirs, et mon niveau progresse doucement. Peut-être que je me jetterai à l’eau, un jour.

Quelle influence votre expérience de jeune mère a-t-elle eu sur votre musique?

Je crois que l’écriture d’une chanson est liée à un moment décisif : chaque jour, quelque chose peut vous arriver et vous faire complètement changer de perspective sur les choses de la vie. Sur le dernier album, Golden Record parle de mon addiction à ce job, faire de la musique et l’amener partout sur scène. Avoir une famille, c’était quelque chose que je désirais autant que ça me terrifiait. Quand j’ai écrit cette chanson, j’ai eu le sentiment d’affronter cette peur droit dans les yeux, de débloquer une conversation nécessaire avec moi-même.

Cette expérience m’a fait réaliser à quel point je considérais que la musique devait être un exercice intellectuel. Maintenant que je suis mère, et voyant mon fils grandir si vite, je suis beaucoup plus dans l’instantané. On verra comment cette conception différente du temps influencera mes prochaines chansons. Revenir à la musique n’a pas été facile après une expérience aussi positive, joyeuse et pas moins éprouvante, mais je n’ai pas guéri de mon addiction à la musique.

Vous vous êtes récemment confiée sur les troubles mentaux dont vous avez souffert à l’approche de la trentaine : l’addiction dont vous parlez a-t-elle été forcée?

Oui, les circonstances de l’époque ont beaucoup joué dans ce sens. On parle d’une période où être interprète signifiait quelque chose. Mon passé d’immigrée a aussi à voir avec cela, car il n’y avait pas eu beaucoup d’artistes venus de Géorgie qui ont fini en tête des charts. Ça a créé chez moi le sentiment de devoir être toujours parfaite, de devoir enchaîner les succès – ce qui était bizarre, parce que, oui, c’était une addiction, mais dans le cadre d’un travail que j’adorais faire. De quoi me rendre folle, en quelque sorte… Je n’aime pas dénoncer ni montrer du doigt, parce qu’à l’évidence, on ne peut pas rejeter la faute sur un seul élément, une seule personne ou un seul système en particulier, alors je suis très honnêtement reconnaissante d’être passée par là et d’en avoir tiré des leçons.

Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts dans l’industrie musicale?

Tellement de choses! Les réseaux sociaux pour commencer. C’est une autre forme d’addiction, mais, heureusement, celle-ci ne me concerne pas. À mes débuts, mes échanges avec les fans se limitaient à nos interactions sur scène ou à la sortie d’un concert. Les réseaux sociaux m’ont fait réaliser que je pouvais voir autant de la vie de mes fans qu’eux connaissaient la mienne, et cela a été pour moi un changement profond, un mystère qui s’est dissipé. Lorsqu’on travaillait sur Album No. 8, j’ai fait ce truc passionnant appelé « Reverse Interviews » (interviews inversées), un concept qui m’a permis de mieux connaître mon public. Par exemple, j’ai interviewé un homme en Afrique du Sud qui était spécialisé dans le développement des cultures vivrières : son boulot, c’est de trouver la bonne modification génétique dans les aliments afin de mettre potentiellement fin aux famines à travers le monde. Fascinant, non?

Les questionnements sur les inégalités, comme la conscience environnementale, sont aussi très présents dans votre musique et votre approche du monde…

Oui, je pense aussi aux paroles de Nine Million Bicycles : cette chanson parle d’amour et de voyage, il s’agit de voir la vie en rose, et je suis définitivement quelqu’un de positif, mais je sais à quel point il est important de prendre soin de notre planète. Au Royaume-Uni, il y a un énorme mouvement populaire dans le domaine de la santé : les gens boivent moins, fument moins, se droguent moins, et prennent mieux soin de leur corps. Je croise les doigts pour qu’il y ait un mouvement similaire en faveur de la planète.

Revenons à la musique : depuis vos deux derniers albums, vous travaillez avec un nouveau producteur, Leo Abrahams. Comment cela a-t-il affecté votre travail?

Sur ces albums, Leo a travaillé à la composition sur deux ou trois chansons seulement. En général, je rencontre d’abord mes co-compositeurs – Luke Potashnick, Tim Harries, Sam Dixon et Petter Ericson Stakee – afin de développer l’atmosphère de la chanson. Après un ou deux jours, je laisse cela de côté pour travailler sur les paroles et la topline; une fois cette étape finie, j’envoie le tout à Leo, dont le travail est, je suppose, de m’aider à trouver les bons musiciens. Mais je crois que personne ne comprend vraiment quel est le boulot d’un producteur (elle rit).

Le chemin a été très long pour parvenir à développer ma propre voix

Le producteur de vos cinq premiers albums, Mike Batt, qui a écrit la majeure partie de vos chansons pendant cette période, avait raconté ne pas se sentir reconnu à sa juste valeur quand on le complimentait sur la « parolière » de talent qu’il avait découverte. Comment l’avez-vous pris à votre tour?

Lorsque j’ai commencé à travailler avec Mike, cela m’a valu beaucoup de disputes avec mes collègues musiciens ou mon petit ami de l’époque, qui me disaient : « Tu sais écrire tes propres chansons, alors écris-les! » De toute évidence, j’aimais ses chansons et sa façon de travailler avec les musiciens qu’il amenait en studio, et prétendre à vouloir faire ma propre musique aurait été une forme d’arrogance. J’étais surtout curieuse d’apprendre, je voulais tout absorber, comme une éponge – ce que je suis encore aujourd’hui.

Quant à Mike, il a dû avoir l’impression qu’il n’a jamais eu le coup de projecteur qu’il méritait, et j’ai énormément compati à l’égard de cet homme qui venait d’entrer dans la cinquantaine, alors que moi, j’avais 19 ans à peine. Alors que l’on travaillait ensemble depuis presque dix ans, il m’a dit cette chose qui m’a rendu extrêmement fière : « Je voulais que quelqu’un chante mes chansons et soit le visage de ma musique, mais je n’avais pas réalisé que je trouverais l’une des plus grandes chanteuses de sa génération. » Derrière le côté « marketing » du compliment, je sais qu’il était sincère. Et je sais aussi qu’il est difficile d’être un songwriter, car ils restent souvent dans l’ombre – le public ne sait pas toujours qu’Adele ou Lana Del Rey n’écrivent pas nécessairement leurs chansons, mais la collaboration entre artistes est un élément normal du processus de création. Entre moi et Mike, cela a pu aller vers un extrême, parce qu’il cherchait une simple chanteuse alors que j’essayais de développer ma propre voix. Et le chemin a été très long pour y parvenir : c’est avec In Winter que cela s’est ouvert. Parfois, je me demande encore ce qui serait arrivé de ma musique si je n’étais pas devenue l’énorme objet de promo d’une maison de disques.

Le 15 juillet, à 19 h.
Rockhal – Esch-sur-Alzette.

 

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