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[Musique] Jonathan Jeremiah au grand galop


Il y a chez Jonathan Jeremiah cette propension à la ballade facile, ce folk instantané à la Nick Drake. (Image Label PIAS)

Jonathan Jeremiah revient accompagné d’un orchestre à cordes de vingt musiciens pour son nouvel album, Horsepower for the Streets. Un disque qui fera date dans l’univers de la soul.

Jusqu’ici, musicalement, l’année 2022 n’était pas à la hauteur des précédentes pour ce qui est de la soul, genre qui aujourd’hui célèbre l’héritage de la Motown et de Stax Records (entre autres) tout en se tournant vers une modernité et une inventivité de bon aloi. C’est vrai, il y a eu en mai le retour des Monophonics (Sage Motel), suivi le mois d’après par l’honnête proposition de Bobby Oroza (Get on the Otherside). Mais tout cela manque de sensualité, d’audace et de grandiloquence, surtout par rapport à certains joyaux sortis il y a peu au cœur d’une scène coincée entre passion vintage et vague à l’âme dans l’air du temps (Lee Fields, Brittany Howard, Michael Kiwanuka, Durand Jones, Black Pumas, Aaron Frazer…).

Remercions alors Jonathan Jeremiah qui, d’un geste d’une grâce folle, fait oublier la disette du moment avec un disque qui, pour les amateurs, fera incontestablement date. Qu’il est loin le temps où l’on découvrait le garçon, autoproclamé «Solitary Man» (comme le nom de son premier album en 2011), honnête travailleur de l’ombre et musicien précaire prêt à faire de nombreux sacrifices pour payer ses sessions d’enregistrement (comme travailler de nuit en tant qu’agent de sécurité à la Wembley Arena). Dix ans et trois autres albums plus tard (Gold Dust, Oh Desire et Good Day), il revient accompagné d’un orchestre à cordes de vingt musiciens et fort d’une confiance acquise avec patience. Ça pose l’intention.

Des cordes et des chœurs en pagaille pour le plein de vibrations

Né à Londres en 1982 d’un père d’origine indienne et d’une mère irlandaise, Jonathan Jeremiah est pourtant rapidement attiré par le soleil des États-Unis, celui qui brillait au début des années 70 sur Marvin Gaye et Curtis Mayfield. Sa musique, à la fois militante et positive, en est une bonne illustration. Oui, comme son nom le suggère, Horsepower for the Streets est un disque qui cherche à mettre des mots d’espoir et d’optimisme dans les temps instables que l’on connaît. Mais pas de démonstration de force avec lui, non. La timidité des débuts reprend vite le dessus : «Si je suis un personnage détaché à bien des égards, cela ne m’empêche pas de vouloir montrer de l’amour et de l’attention aux autres. J’essaye juste de le faire en chansons», confie-t-il au label PIAS.

Une voix de baryton

Sans violence ni poing levé, ses arguments sont toutefois d’un tranchant implacable : il y a d’abord cette voix de baryton qui s’impose au premier plan, profonde, envoûtante. Il y a ensuite, chez Jonathan Jeremiah, cette propension à la ballade facile, ce folk instantané à la Nick Drake. Il y a enfin toutes ces références qui le nourrissent, qui ont ciselé depuis une décennie son univers avec minutie : Scott Walker, Serge Gainsbourg, Terry Callier ou encore Lalo Schifrin, aux orchestrations luxuriantes. Lui aussi s’y est donc collé, dans une église monumentale aux Pays-Bas en compagnie de l’Amsterdam Sinfonietta. Des cordes et des chœurs en pagaille pour le plein de vibrations.

Horsepower for the Streets est surtout une œuvre à la beauté troublante. Un morceau comme Restless Heart ramène au Forever Changes de Love. Un autre comme Youngblood, aux chants évanescents des Mamas and the Papas. Tout ici semble suspendu comme dans un rêve, hors du temps, incarné par ces intonations gospel et ces arrangements à l’ancienne, dignes des plus belles productions des «seventies» (influence qui se retrouve jusque dans la pochette). Quant à la folk intimiste, elle se mêle à l’outrance de la pop symphonique. Pour tout cela, Jonathan Jeremiah mérite de prendre toute la lumière, sans craindre aujourd’hui de ne pas l’avoir méritée. C’est son moment. D’autres suivront sûrement.

Jonathan Jeremiah, Horsepower for the Streets. Sorti le 9 septembre. Label PIAS. Genre soul / folk