Le duo Sascha Ley et Laurent Payfert revient, mercredi à l’Opderschmelz, pour la release party de son nouvel album : It’s Alright to Be Everywhere. Un nouvel opus dans la continuité du travail expérimental de ce duo voix-contrebasse.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce duo contrebasse-voix ?
Sascha Ley : Ça a toujours été mon rêve. La contrebasse a un son très particulier, grave, chaleureux. C’est un instrument qu’on peut facilement sortir de son cadre habituel. Je trouve que c’est un instrument vraiment très intéressant. Quand j’étais jeune, j’ai vu Peter Kowald (NDLR : contrebassiste allemand de free jazz mort à New York en 2002) et Sainkho Namtchylak (NDLR : chanteuse russe) en duo, ça m’a bouleversée ce concert. C’était des sons complètement au-delà de tout ce qu’on a l’habitude d’entendre. C’était tout un travail avec du bruitage; c’était très violent (elle rit) et ça m’avait impressionnée.
J’ai trouvé leur musique à la fois dérangeante et incroyablement fascinante. Ça m’a montré qu’il y avait tout un univers au-delà de tout ce qu’on connaît en musique, un monde qui est déjà très vaste. Des univers encore à explorer. Je crois que ce concert m’a donné l’envie, d’un jour, moi aussi, explorer ces univers. Mais il m’a fallu du temps. D’ailleurs quand Laurent, plus jeune, jouait de la basse, je lui avais demandé s’il ne voulait pas s’essayer à la contrebasse.
Et il vous fallait Laurent pour vous lancer ?
Ce n’est pas ça. D’autant que quand on a commencé à travailler ensemble, il était plus intéressé par des compositions fixes, mais je savais qu’il avait aussi travaillé dans la musique improvisée. Comme on a toujours eu une très bonne communication entre nous, on s’est dit qu’on allait faire ce dont on avait envie, sans s’imposer de règles ni se mettre de cadre fixe et qu’on verrait bien où cela nous mènerait. C’est ce qu’on a fait.
Il y a tout un univers au-delà de tout ce qu’on connaît en musique
Ce qui en est sorti, du coup, vous le définiriez comment ?
C’est difficile. C’est inclassable. Peut-être qu’un jour on trouvera le mot. Comme on vient tous les deux du jazz, que le jazz peut être un synonyme de musique improvisée et qu’on utilise des éléments – comme des harmonies, une approche – de jazz, je pense que ça fait encore partie de cet univers-là. Mais il y a une grande part d’improvisation libre. Et ça, ça n’a plus rien à voir avec le jazz. Ma définition de l’impro libre est qu’on ne se sert plus d’aucune règle, qu’on commence au hasard et tu suis…
On suit quoi justement ?
On suit un parcours de vocabulaire très personnel. Il y a deux voies. La première c’est de faire de la musique en essayant de toujours casser toutes les règles. L’autre, et c’est celle que nous suivons, c’est une composition instantanée, c’est-à-dire qu’on prend une direction, on commence naturellement à développer cette idée mais pas dans une modalité d’harmonie ni de rythme. C’est un peu comme une discussion entre copains. On commence à parler d’une chose, on passe à une autre, on ouvre une parenthèse, on revient sur une idée, puis on développe un troisième sujet, en passant du coq à l’âne.
Cet album est encore plus personnel que le premier
En fait, l’album, c’est un peu un verre entre copains…
Voilà. Ou du moins une grande discussion. Avec, du point de vue artistique, une importante recherche sonore, par l’instrument, mais aussi par les mots, l’invention de mots, les interactions entre les paroles, les phrases, etc. Parfois, j’amène aussi des textes écrits, que ce soit des chansons ou des poèmes, et on se base dessus pour composer.
Ils racontent quoi ces textes ?
Ce sont des textes que j’écris dans mon coin. Des poèmes. C’est un peu ma vision de la vie. Ça parle d’émotions, d’images, de voyages internes, etc. Par l’improvisation, on parle évidemment de liberté, de transfert d’émotions, de propositions, d’inventions. C’est de l’impro, mais rien n’est laissé au hasard. Les textes s’imprègnent aussi de nos vies, de notre quotidien. Il y a de l’humour, mais aussi une légère mélancolie. Cet album est encore plus personnel que le premier. La musique et les textes marchent encore mieux ensemble que par le passé.
Que faut-il comprendre par « It’s alright to be everywhere » ?
C’est une phrase qui m’est venue comme ça et j’ai trouvé que c’était le titre parfait. Avec toutes les contraintes qu’on nous impose, c’est une manière de prendre le contrepied. Si tu as envie de rêver, c’est O. K. Si tu as envie d’essayer, c’est O. K. Si tu as envie d’être curieux, c’est O. K. Si tu as envie de changer de vie, c’est O. K. C’est aussi bien un message artistique que philosophique. Je pense que Voltaire avait raison quand il a écrit dans Candide: « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. » C’est la seule bonne attitude face à la vie. Là, c’est un peu la même chose.
Entretien avec Pablo Chimienti
Opderschmelz – Dudelange, mercredi à 20h.