Depuis un an et demi, le groupe Air reprend sur les scènes du monde entier son album culte, Moon Safari, sorti en 1998. Début juillet, ce sera au tour de la Rockhal de succomber à son élégante pop synthétique. Confidences d’avant-concert.
Il y a plus d’un quart de siècle débarquait Air, duo de Versailles qui allait connaître un succès dingue avec son premier disque, Moon Safari, contribuant par là même à l’exportation de la French Touch. Sorti en 1998, porté par des tubes soyeux (Kelly Watch the Stars, All I Need, Sexy Boy), l’objet, coincé entre Ennio Morricone, David Bowie, Serge Gainsbourg et Kraftwerk, allait vite envoûter le public avec son électro-pop mélodique, nimbée de synthétique. Vingt-six ans après, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel décidaient de ressortir cet album culte des cartons pour le jouer, en entier et dans l’ordre, sur scène. Après un premier passage par Neimënster en juillet 2024, ils remettent ça au Luxembourg, à la Rockhal. L’occasion d’un saut dans le temps avec l’un des deux hommes du tandem. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a conduits à célébrer sur scène les vingt-cinq ans de Moon Safari? Les fans ou le symbole?
Nicolas Godin : Ni l’un ni l’autre, mais plutôt quelque chose d’ordre pratique. On a la chance d’avoir mis sur pied des disques, comme Moon Safari ou Virgin Suicides, pouvant être joués tels quels, de A à Z. Ce sont des œuvres totales qui portent en elles une vraie cohérence. Moi, je vais régulièrement voir des concerts de musique classique : on est alors devant une création ancienne qui peut s’apprécier comme une pièce de théâtre, un petit opéra… C’est l’idée derrière cette tournée. Elle tient finalement à nos origines : nous avons grandi dans les années 1970 et 1980, soit la grande époque des albums. Air n’est pas un groupe à singles.
Cet album, c’est la vision du futur que pouvait avoir un enfant des années 1970
Vous souvenez-vous de sa sortie, le 16 janvier 1998?
Oui. Au départ, il devait sortir plus tôt, en septembre. Mais Virgin a senti le potentiel du disque à l’international et il a reporté la date pour le proposer dans le monde entier. Nous, on n’en pouvait plus d’attendre. On piaffait d’impatience! C’est que l’on découvrait tout un milieu, un business… On était naïfs, du genre à penser qu’un album terminé en juillet, comme celui-ci, allait sortir dans la foulée (il rit). Mais c’était notre première expérience. À l’époque, on était encore étudiants, sans carrière derrière nous. Tout était nouveau et il a fallu apprendre sur le tas. Du coup, quand Moon Safari est sorti après de longs mois de patience, on avait déjà la tête au prochain disque.
Mais le succès vous a vite rattrapés…
Ça a été un choc, une secousse. L’album suivant porte d’ailleurs en lui ce traumatisme. C’était important d’évacuer…
Êtes-vous nostalgique de cette période?
On est toujours nostalgique de sa jeunesse, mais pas de ce qui s’est passé dans les années 1990. C’est juste que j’aimerais bien retrouver ma vingtaine.
Comment définiriez-vous cet album?
C’est un album futuriste, car notre génération a grandi avec l’idée que les années 2000 seraient le futur. On s’est vite aperçus que tout ce à quoi nous avions été biberonnés par le passé n’allait pas arriver. Moon Safari, c’est donc ça : la vision du XXIe siècle que pouvait avoir un enfant des années 1970.
S’il fallait le refaire, que changeriez-vous?
On n’a jamais été comme ça. Air, c’est même le contraire : toujours prendre le contrepied de ce que l’on venait de faire. Ce qui nous motivait à chaque fois avant d’entrer en studio, c’était justement de brûler l’album précédent.
L’appréciez-vous toutefois autant?
Je dois reconnaître qu’il a un certain charme. Ce qui me marque aujourd’hui, c’est son minimalisme. Quand on a écouté les pistes séparées, on s’est aperçus qu’il n’y avait quasiment rien! Désormais, avec les ordinateurs et les possibilités qu’ils offrent, je ne crois pas que les gens se rendent compte à quel point c’est possible de faire quelque chose avec aussi peu. D’ailleurs, chaque fois que je vais en studio et que je vois des morceaux avec soixante-dix pistes, je ne comprends pas. Disons plutôt que ce n’est pas la manière dont on a appris le métier.
Cet album est-il toujours plaisant à jouer tous les soirs, dans le même ordre, depuis début 2024?
Depuis un an et demi, en effet, c’est toujours plaisant de le jouer. Je suis content quand le morceau d’après arrive, et ainsi de suite. Ça me fait un bien fou! Avec le recul, on avait bien calculé notre coup à l’époque (il rit).
Quels ont été les moments marquants de cette tournée?
Il y a eu la première à Rouen, chez nous, puis certaines salles, qu’elles soient particulières ou mythiques. Dans ce sens, je pense au Royal Albert Hall de Londres ou encore l’Opéra de Sydney. Et en septembre, il y aura aussi le Hollywood Bowl de Los Angeles… Ce sont des endroits incroyables. Mais j’avoue également aimer les vieux théâtres, comme celui dans lequel on a joué à Berlin trois ou quatre soirs de suite. Il me faisait penser à celui du Muppet Show, dont je suis un grand fan. Je revis ce fantasme d’enfant grâce aux concerts. C’est génial, non?
De quelle nature est le public qui assiste à vos shows?
Il y a beaucoup de jeunes au premier rang, alors que les personnes de notre génération, elles, sont plus derrière… Par exemple, il y a eu le festival We Love Green, début juin à Paris, et c’était un jeune public. C’est vrai aussi que Moon Safari a un côté intemporel.
Peut-on alors dire que cet album est inscrit dans l’Histoire?
Sur les plateformes de streaming, il y a beaucoup de vieux disques qui marchent bien. Celui-ci en fait partie. Selon moi, les gens n’ont pas trouvé l’équivalent de ce genre de musique, ni cette manière de faire de la musique. C’est quelque chose qui n’existe plus. Alors oui, on occupe une place un peu unique qui ne peut pas être prise par quelqu’un d’autre. Il n’y a pas deux Air dans le monde! C’est un truc spécial, une musique très bizarre en fait.
En êtes-vous fier?
Disons que ça s’est fait assez naturellement. Je ne me suis pas dit en entrant en studio : « je vais croire en mon art, être intransigeant, perfectionniste, faire quelque chose d’intègre… ». Non, on l’a fait comme on le sentait. Dans ce sens, et cette spontanéité, je ne sais pas quel mérite je pourrais avoir.
Pensez-vous, à l’avenir, renouveler l’opération avec un autre album, ou ce Moon Safari est-il trop unique?
Il est vraiment unique, avec ce côté universel qui lui est propre. Dans une autre veine, il y a aussi Virgin Suicides, qui est l’autre côté de la médaille, la face cachée de la Lune. Ces deux disques fonctionnent un peu comme des binômes. Et même si Virgin Suicides est plus confidentiel, il peut être très fort si on le joue, lui aussi, dans son intégralité sur scène.
On nous a pris pour des branchés parisiens, alors qu’on était juste des fous de musique
Moon Safari se vend toujours bien à l’étranger. Faut-il en conclure qu’Air est toujours mieux apprécié loin de la France?
(Il rit) On a très tôt été confrontés à ça, dès le début de notre carrière en réalité. Disons qu’à l’époque, sur cent concerts donnés en une année, on en faisait peut-être trois ou quatre en France, pas plus. C’est surtout l’Angleterre qui nous a faits, et ensuite les États-Unis. Je crois que les gens nous ont pris pour des branchés parisiens, alors qu’on était juste des fous de musique. Mais les choses changent : cet été, par exemple, on joue beaucoup en France. Finalement, à force, on a pu avoir un public fidèle et assez important dans notre propre pays. Ce n’est pas désagréable.
Un dernier mot sur la French Touch, dont vous êtes l’un des éminents représentants…
En 1995 à Paris, c’était dingue! Il y avait cette excellente scène et une énergie qui animait toute la ville. C’était génial! Quand je vois des groupes qui commencent aujourd’hui, je ne sais pas comment ils peuvent faire s’ils ne sont pas portés par un environnement musical, une communauté… Nous, ça nous a transportés. Quand on ressent cette vitalité, ce dynamisme, on se sent plus fort. Il n’y a alors plus de limites.
«Air Play Moon Safari 2025»
Rockhal – Esch-Belval.
Le 6 juillet à 20 h.