Pour son troisième album, l’Arthur Possing Quartet s’en va bourlinguer sur les terres «world» et convie dans son jazz bariolé l’élégance d’un guitariste de Madagascar. Confidences.
Arthur Possing n’est jamais là où on l’attend, tantôt en solo, tantôt avec sa bande favorite, déjà auteur de deux albums de belle tenue (Four Years et Natural Flow). Nouvelle preuve : pour son troisième disque, HOMES, le quartette s’est adjoint les services d’un guitariste malgache, Joel Rabesolo. Résultat ? Un disque qui sent bon le printemps et prouve que le jazz peut s’affranchir des carcans, à condition d’y mettre de l’audace, de l’honnêteté et du style.
Parfois aguicheur avec ses mélodies qui tutoient la pop, le rock et la «world», parfois subtile et élaborée, leur musique ne connaît pas de frontières et voyage léger. Devant ses fidèles – Pierre Cocq-Amann (saxophones, flûte), Sebastian Flach (basse) et Niels Engel (batterie) – le pianiste prêche la bonne parole, entre unité, partage et universalité.
HOMES questionne l’appartenance à une terre, à un pays. D’où tenez-vous ce sujet ?
Arthur Possing : Cela tient du voyage, plus généralement ceux que l’on a fait avec le groupe. On a pu découvrir par ce biais d’autres personnes, d’autres façons d’appréhender la musique. J’ai remarqué à quel point, dans certains endroits de la planète, elle est totalement intégrée au quotidien jusqu’à gommer les différences entre artistes et public. Jouer devient alors un geste communautaire. Et cette connexion entre les gens vous fait vite vous sentir à l’aise, comme à la maison.
Où, par exemple ?
Une semaine avant la crise sanitaire, on est partis faire une tournée au Mexique et y donner une master class. Sur scène et à côté, on pouvait ressentir une énergie, et cette façon naturelle d’aborder la musique. Ça a été riche en enseignements.
Il y a une autre raison concernant la thématique de l’album : la recherche de vos racines maternelles en Allemagne…
Je ne connaissais cette histoire qu’à travers les récits de famille. Ça remonte à mes arrières-grands-parents qui venaient de la Bavière, proche de la frontière tchèque, avant de s’installer à Munich. À l’époque, c’était une région pauvre. Je me rappelle découvrir pour la première fois cette grande forêt sombre, qui m’a pourtant semblé familière. C’était bizarre… Ce retour aux origines, c’est une façon pour moi d’être plus « complet« . Et cela doit sûrement se ressentir dans la musique.
Pour cet album, justement, vous transcendez les frontières musicales et géographiques en invitant le guitariste d’origine malgache Joel Rabesolo. D’abord, quel rapport entretenez-vous avec la guitare ?
En jazz, il y a toujours cette réflexion qu’il est difficile de marier la guitare au piano. Dans un registre standard, je veux bien l’entendre mais pas quand la musique est plus variée. Car ça offre tellement de possibilités! Ce ne sont pas les exemples manquent : Brad Mehldau et Pat Metheny, Bill Evans et Jim Hall… Faire venir Joel Rabesolo avait du sens : il a un son, à l’électrique ou en acoustique, qui me fascine. Même si l’homme me fascine encore plus!
Vous parlez de lui comme de quelqu’un d’hors norme. Dans quel sens ?
C’est un autodidacte qui a sa façon bien à lui de jouer la guitare et d’approcher la musique. Il n’a par exemple jamais appris à lire des partitions, et à Bruxelles, quand il a voulu entrer au Conservatoire, ça a posé problème… Finalement, une fois qu’il s’est mis à jouer, ils n’ont plus voulu le laisser partir (il rit).
Qu’apporte-t-il à votre quartette ?
Un naturel, une fraîcheur… Tout ce qu’il fait fonctionne, et tout ce qu’il propose apporte un plus au groupe. Il sait se glisser dans un collectif pour rendre les morceaux encore meilleurs.
Avec ce cinquième membre, avez-vous fonctionné comme d’habitude, en laissant un maximum de liberté d’expression à chacun ?
La plupart des morceaux étaient définis dans les grandes lignes, mais chez nous, il y a toujours de la place pour l’expérimentation. On se donne des moments pour essayer des trucs, proposer des choses qui ne sont pas écrites. Par exemple, c’est en studio qu’est né ce groove qui articule la dernière chanson (Radio World). C’est la fin parfaite, la bonne vibration qui emballe le tout.
Quand un instrument n’a plus rien à dire, il a juste à se retirer
Sur certains titres, dont ce dernier, l’approche « world » est plus sensible. Est-ce une teinte qui vous plaît ?
Totalement. C’était même l’un des points de départ du projet. Une tonalité, une direction, c’est quelque chose à laquelle on réfléchit après la sortie d’un disque, afin de ne pas faire la même chose sur le suivant… Par le passé, on avait déjà quelques titres avec une influence africaine, au sens large. Un côté tribal, un peu transe, très énergique. Je me suis alors dit que ça pouvait être une approche intéressante : jouer avec ce fil conducteur en le mélangeant avec notre style.
Avez-vous été influencé par votre passage aux Real World Studios de Peter Gabriel, en Angleterre, où a été enregistré votre précédent album, Natural Flow ?
C’est bien possible que ça ait joué, mais inconsciemment alors !
Malgré cette orientation, il y a tout de même des persistances dans votre quartette. D’abord, cette spontanéité, ce naturel qui s’entend à l’oreille. Êtes-vous d’accord ?
Ce groupe a évolué sur scène, où l’on a pu développer un langage commun, des interactions. Notre entente est forte et cela se voit en studio : alors qu’on pourrait être prudent, se dire qu’il faut assurer, nous, on n’hésite pas! Pour chaque chanson, c’était deux prises maximum. D’où cette fraîcheur.
Il y a aussi l’importance du saxophone et de la flûte…
C’est une voix forte du groupe, et souvent, ils sont au premier plan car ils jouent la mélodie. Sans oublier qu’il est difficile de cacher la présence d’un saxophone (il rit). Cela dit, on essaye de ne pas faire de hiérarchie. Selon moi, quand un instrument n’a plus rien à dire, il a juste à se retirer. C’est une question d’équilibre.
Dernier signe distinctif : votre jazz n’a jamais peur d’aller sur le terrain du rock, du blues, de la pop… C’est encore le cas sur ce disque. Ce décloisonnement est-il important ?
Dans le groupe, on est tous des jazzmen, et on en a l’attitude. Mais on ne joue pas uniquement pour les aficionados. Notre musique est à destination de tous! D’ailleurs, parmi le public, on entend souvent cette remarque : « Je n’aime pas le jazz, mais avec vous, ça va! ». J’avoue que ça me plaît… Bien sûr, il y aura toujours des sophistications dans les harmonies ou les rythmes. Mais c’est vrai, quand la mélodie est claire, sincère et directe, ça passe bien! Les auditeurs peuvent alors digérer plus facilement ce que l’on fait, bien qu’on les titille régulièrement. Trano, le premier morceau de l’album, est un bon exemple : une base simple et des accords un peu pop, le tout relevé de solos et d’un jeu interactif qui rendent la chose plus complexe, plus virtuose. Mais toujours légère!
On entend souvent cette remarque : « Je n’aime pas le jazz, mais avec vous, ça va! »
Cette liberté vous caractérise-t-elle bien ?
On est tous un peu multiple et musicalement, on a joué dans plein de contextes différents. C’est ce qui nourrit notre travail commun, et ce qui fait qu’une fois ensemble, on essaye des choses sans s’interdire de prendre telle ou telle direction. Oui, on est catégorisé « jazz » et on joue dans des lieux dédiés. Mais on a toujours cette volonté d’apporter toutes les influences qui nous habitent depuis notre enfance. On peut alors dire que ce quartette, c’est une sorte de gros laboratoire!
Est-ce votre album le plus abouti ?
Le dernier disque est toujours le plus abouti (il rit). Mais c’est vrai que sur celui-ci, on s’est lâchés encore plus. Il est plus instinctif, moins « casse-tête », et surtout, plus cohérent.
En live, vous promettez de « troubler les frontières entre le public et les musiciens« . À quoi doit-on s’attendre ?
Ça nous plairait de jouer dans des lieux où la frontière entre acteur et spectateur n’existerait plus. C’est rarement le cas, malheureusement… À défaut, on va parler d’attitude, de cette connexion recherchée avec le public, de cette énergie que l’on veut partager avant, pendant et après le concert. Il ne faut pas oublier que la musique, c’est un échange. On espère que celle que l’on propose avec HOMES, plus dansante et tournée vers l’autre, va donner envie aux gens de se lever, de bouger. Qu’ils n’hésitent pas : ce sont ces moments-là qui vous font prendre conscience pourquoi vous êtes devenu musicien.
HOMES, d’Arthur Possing Quartet.
Sortie vendredi.
En concert dimanche à 20 h
au festival Like a Jazz Machine
de Dudelange.