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[Musique] «Dookie», la bombe de Green Day


Le groupe Green Day en 1994. 

Green Day débarque lundi à Luxembourg. L’occasion de faire un saut dans le temps et d’évoquer son album phénomène qui a changé la face du rock au milieu des années 1990.

Depuis ses débuts, le rock (et ses dérivés) a toujours été la cible de mécontents, de conservateurs, d’esprits chagrins, de nostalgiques et d’esthètes. La dernière controverse est d’ailleurs on ne peut plus récente : la sortie, en début du mois, de Never Enough de Turnstile, qui s’est attiré les foudres des gardiens du temple punk, agacés, pour ne pas dire ulcérés, par ce groupe défini comme étant hardcore, mais qui dégaine les mélodies pop et les jolis claviers au beau milieu des mosh pit. On crie au scandale, pire, au calcul et à la trahison dans un but qui semble évident : s’attirer les faveurs d’un plus large public. C’est aussi ce qui est arrivé à Green Day, il y a 31 ans, avec son album Dookie. Oui, l’Histoire se répète.

Remontons alors le temps, direction le début des années 1990. À cette période, le rock bouillonnait, offrant de multiples variations : le metal s’adoucissait, se mêlait au hip-hop ou prenait des accents industriels, l’électronique façon déprimante accouchait du trip-hop, les guitares montaient en haute altitude avec My Bloody Valentine, s’inventaient de fous horizons à travers Radiohead ou PJ Harvey et, à l’inverse, montraient qu’on pouvait s’amuser en se foutant à peu près de tout, façon Pavement. Et alors que la britpop montrait ses premiers bourgeons, un style allait dominer tous les précédents et imposer durant trois ans le mal-être adolescent et les chemises de bûcheron à carreaux : le grunge.

Consommation de cannabis

C’est dans ce contexte qu’arrivent trois jeunes boutonneux tout droit venus de Californie, du nom de Green Day (en référence à leur consommation excessive de cannabis). Avant de prendre sa forme définitive avec l’arrivée du batteur Frank «Tré Cool» Wright, le groupe a eu un premier nom (Sweet Children) puis a été adoubé par la scène punk-hardcore de la Bay Area, séduite par deux EP rugueux et un album – finalement réunis en 1991 sous le titre 1039/Smoothed Out Slappy Hours. Ils jouent régulièrement à domicile, au 924 Gilman Street, la Mecque underground de Berkeley, et trouvent dans le label indépendant Lookout! Records un partenaire idéal, proche de ses racines DIY.

Mais c’est le deuxième disque, Kerplunk!, qui va tout faire basculer. Si le son est plus propre, c’est le contexte qui va jouer un rôle déterminant : en effet, quand il sort en décembre 1991, Nevermind de Nirvana s’est hissé au sommet des classements d’albums. Du coup, un groupe tel que Green Day, avec son énergie à revendre et son pedigree punk, va devenir un appât pour les grandes maisons de disques. Une va se démarquer des autres : Reprise Records, filiale de Warner. La machine est en marche, et la bande à Billie Joe Armstrong (chant-guitare) et Mike Dirnt (basse) s’en prend plein des dents. Le public qui lui était jusque-là fidèle lui tourne le dos et le très influent fanzine local, Maximumrocknroll, lui tire dessus à boulets rouges.

Combat de boue à Woodstock

Il fallait alors une réponse à la hauteur des attaques : ce sera donc Dookie, qui va faire entrer Green Day dans une tout autre dimension. Un disque qui, sorti le 1er février 1994, va faire exploser la calculatrice en ce qui concerne le retour sur investissement : enregistré en trois semaines, sans folie dépensière, il va s’écouler à plus de 27 millions d’exemplaires dans le monde, dont 20 millions rien qu’aux États-Unis. Ce qui le situe entre The Color of My Love de Céline Dion et Janet. de Janet Jackson au classement des meilleures ventes d’albums… Un triomphe qui va toutefois mettre du temps à se dessiner et se concrétisera par un Grammy en 1995. Entre les deux, le groupe peut remercier l’appui de MTV, faiseur de légendes, qui diffusera le clip du titre Longview, suivi de ceux de Basket Case et When I Come Around.

Il y aura aussi, pour assoir sa renommée, ce concert complètement dingue au festival Woodstock’94 (disponible sur YouTube), qui se transforme en combat de boue entre le public et Green Day – ce qui vaudra au bassiste la perte de deux dents, violemment projeté contre une enceinte par un chargé de sécurité qui l’a pris pour un fan… Derrière ces opérations marketing plus ou moins volontaires, il y a également le contenu d’un disque aux influences affirmées : Dookie («caca» en argot américain) trouve son inspiration outre-Atlantique, notamment auprès des Ramones pour son côté direct et bon enfant, mais aussi en Angleterre, à Londres, quand on songe à The Jam qui, 17 ans plus tôt, proposait déjà ce style à la croisée de la pop et du punk.

Le 8 avril 1994, date fatidique

Enchaînant avec une flamme juvénile des mélodies explosives et accessibles, avec tout ce qu’il faut de concision et de clarté (et de vulgarité), Green Day fait passer un vent de fraîcheur dans le rock. Et la jeunesse, toujours en quête d’idoles, va se reconnaître dans des textes qui parlent d’angoisse, de révolte… et de masturbation. Le magazine Times, qui ira jusqu’à le désigner meilleur album de l’année, expliquera en juin 1994 qu’au «même titre que Nevermind, Dookie est le manifeste d’une génération (…) une musique faite pour les personnes aux hormones bouillonnantes et à la faible capacité de concentration». Mais c’est le New Musical Express qui aura finalement la formule la mieux adaptée : avec Green Day, «être stupide n’a jamais été aussi amusant!»

Effectivement, si Dookie peut constituer la BO parfaite d’un film comme American Pie, ou d’un autre sur un campus américain, avec skate, glandouille et baiser lors du bal de fin d’année, il est avant tout le marqueur d’une nouvelle ère musicale, révélée par deux évènements qui se déroulent le même jour, le 8 avril 1994 : le suicide de Kurt Cobain et la sortie de Smash, de The Offspring, nouvel album phénomène qui va ouvrir la voie à d’autres groupes tout aussi sensibles à cette façon de marier le punk et la pop, Blink 182, Sum 41 et Rancid en tête. Après cette déflagration, l’effet de surprise étant passé, Green Day ne fera pas un nouveau coup de maître, et ce, malgré onze autres albums dont le dernier, Saviors. Qu’importe : il a marqué à jamais l’Histoire, et qu’on l’aime ou non, ça, on ne le lui reprendra pas.

Lundi à partir de 18 h 30.
Luxexpo Open-Air.
Support  : The Pill /& Hot Milk