Très tôt passionné pour la musique et la batterie, Chris Maas en a fait son métier, loin du Luxembourg et désormais aux côtés de la star anglaise. Une étonnante trajectoire qu’il évoque sans retenue. Rencontre.
Au rendez-vous, il accuse une dizaine de minutes de retard. Mais chez lui, la ponctualité n’est pas négociable, alors, c’est depuis sa voiture qu’il s’excuse, pas réjoui de retrouver les embouteillages de son pays natal. Il est au Luxembourg depuis dimanche soir, après un concert donné la veille au pays de Galles, à Cardiff. Chris Maas en a profité pour passer une fin de week-end tranquille en famille et se ressourcer avant une semaine agitée. Au menu : une conférence au Rocklab lundi, et le lendemain, un passage par la scène de l’Atelier, installée à Luxexpo.
«Je ne suis pas habitué à être sous les projecteurs», confie-t-il, surpris que des gens «puissent s’intéresser» à lui. «Je serais étonné qu’il y ait plus de cinq personnes!», rigole-t-il. Ils seront finalement une cinquantaine à venir «l’écouter» à Belval. Et plus de 12 000 pour le voir jouer. C’est comme ça quand on est le nouveau batteur de Sting, l’un des musiciens les plus influents des 50 dernières années. Il va falloir qu’il s’habitue à prendre la lumière.
Malgré lui, Chris Maas est un modèle d’expatriation réussi, que le Luxembourg pourrait ériger en symbole de son slogan «Let’s make it happen». D’autant plus vrai que le musicien, 40 ans le mois prochain, n’a jamais renié ses racines, malgré un départ précoce, en 2005, à Londres. «Ce n’est pas seulement l’endroit où je suis né, mais celui aussi où je me suis construit. Mes parents, ma famille et mes amis y résident encore. C’est toujours spécial d’y revenir», dit-il, songeur, mais «excité» par la perspective du concert qui arrive, où il aura toute sa tribu autour de lui.
«Ça va être le chaos!», anticipe-t-il dans un éclat de rire. Une parenthèse qui lui permet de recharger les batteries, émoussées par une tournée démarrée il y a plus d’un an. Plus de 80 dates au compteur, compte-t-il, notamment à travers l’Europe, avec cet épisode «mémorable» à l’île de Wight, il y a dix jours, devant 55 000 personnes.
Puni de «foot, de vélo, jamais de batterie»
Un apogée qui montre l’ampleur du chemin parcouru par Chris Maas, dans le sillage d’un père également batteur. Il se souvient de ces moments, à 5-6 ans, où il l’emmenait voir la fanfare de Bertrange dans laquelle il jouait. Un «hobby» qui, chez le fils, va se transformer en vocation. «Dès qu’il y avait une pause, je tapais sur les tambours!», se rappelle-t-il. Vite, il va avoir les siens dans le garage, sur lesquels il s’amuse. Arrive ensuite sa première batterie : une Sonor Force 3001 noire de «seconde main» mais à la valeur sentimentale.
«J’ai commencé avec elle. C’est la plus importante de toutes celles que j’ai eues. Je ne la vendrai jamais.» Elle se trouve d’ailleurs toujours au domicile familial. Comme le jeune garçon «n’aime pas l’école» et cumule les «mauvaises notes», il est régulièrement puni. «De football, de vélo, mais jamais de batterie!». Il s’entraîne alors avec son père ou seul, grâce à deux grosses enceintes JBL et un système hi-fi qui crachent du Toto à fond. Normal qu’il ait fait de Jeff Porcaro et Simon Phillips ses modèles.
Je suis juste quelqu’un qui est parti de son pays avec un rêve, et aucun plan B!
Parallèlement à ses sessions maison, il prend des cours à l‘Union Grand-Duc-Adolphe (UGDA), puis au Conservatoire de Luxembourg. Avec Alain Ginter, son professeur, il se découvre un «mentor» avec qui il apprend les techniques et aborde différents genres musicaux, du jazz à la musique latine en passant par les rythmes afro-cubains.
Dans ce sens, il défend encore aujourd’hui «la qualité du système de formation au Luxembourg», qui lui saute aux yeux une fois arrivé à Londres, où, avec ses «solides bases», il espère atteindre ses ambitions : devenir un musicien de studio et de tournée, objectif qui ne peut s’accomplir à domicile. «Il y a de bons musiciens ici, soutient-il. C’est plutôt la structure, comme on la connaît dans l’industrie musicale en Europe et aux États-Unis, qui manque.» Conscient, alors, que son pays ne pourra pas lui «offrir cette opportunité», il plie bagage et cherche à faire de son rêve «une réalité». La suite lui donnera raison.
Musicien de studio, l’artiste «caméléon»
En vingt ans, en effet, Chris Maas s’est bâti une belle carrière. Il est ambassadeur de plusieurs marques (Remo, Ludwig, Sabian…) et a partagé la scène avec de grands noms comme Mumford & Sons, Maggie Rogers, Matt Corby, The Pierces, Example et Gill Landry. Un CV qui correspond à ce que l’on attend d’un musicien de studio : «être un caméléon».
«Si vous êtes dans un groupe, votre jeu sera tributaire de l’identité de celui-ci, explique-t-il. Là, c’est à moi de prendre en charge l’identité d’un artiste. Ça n’a pas d’importance, d’ailleurs, si vous aimez sa musique ou pas, car une fois sur scène, vous devez faire croire à tout le monde que c’est votre musique préférée!» Pour lui, la «diversité» est ce qui compte le plus pour se tailler une réputation et développer un réseau, selon un raisonnement pragmatique : «Plus vous êtes à l’aise dans différents styles, plus vous aurez de travail!».
Mais parfois, on peut joindre l’utile à l’agréable. Lui qui s’amusait à imiter, petit, Stewart Copeland, le batteur de The Police, va avoir la bonne surprise d’être dans les petits papiers de Sting, véritable icône en Grande-Bretagne et star partout ailleurs. Un concours de circonstances, analyse Chris Maas, qui détaille : d’abord, en 2021, en raison de la pandémie, le bassiste-chanteur ne peut faire venir son groupe des États-Unis afin de promouvoir son dernier disque, The Bridge.
Il s’appuie alors sur le vivier local londonien. Le Luxembourgeois est retenu pour deux jours de boulot. Puis silence radio jusqu’en 2023, année où le manageur de Sting le relance pour remplacer, le temps d’une séance à Miami, le batteur Zach Jones. La mission est de taille : 20 chansons à apprendre, aucune répétition. «C’était un défi, je me suis arraché!»
«Le boss veut te parler, maintenant!»
Un engagement qui porte ses fruits : trois mois après, il reçoit un bref coup de téléphone. Au bout du fil, on lui dit sans ambages : «Le boss veut te parler, maintenant!». Chris Maas retrouve Sting dans un restaurant. Il refait la scène : «Il me dit qu’il a dans l’idée de monter un groupe, réduit à trois musiciens, comme au temps de The Police. Moi, je ne sais pas pourquoi je suis là. Je pensais qu’il voulait juste me remercier pour Miami. Du coup, je lui réponds : « Cool, tu vas mettre qui derrière la batterie? ». Il lève les yeux et me lâche : « Toi. T’es intéressé? ». Je suis sous le choc. Tout se mélange chez moi : la surprise, l’excitation…». Surtout, il ne se sent pas digne de cette lignée «incomparable» de talents qui ont accompagné Sting depuis la fin des années 1970 : Stewart Copeland, Omar Hakim, le «roi» Vinnie Colaiuta, Manu Katché, Abe Laboriel Jr., Keith Carlock, Josh Freese et Zach Jones. «C’est le mont Rushmore de la batterie!». D’où cette question : «Que vont penser les gens?».
La réponse à son angoisse reste la même : s’investir à fond. «Je travaille tous les jours pour gagner mon grade» et être, pour le coup, à la hauteur de cet «incroyable partenariat» qui le place entre Sting et le guitariste Dominic Miller. «C’est le meilleur mariage musical que je connaisse», à l’origine d’albums comme Ten Summoner’s Tales (1993) et Mercury Falling (1996).
Un investissement qui tient aussi à la forme réduite du collectif : «Un trio est par essence fragile, poursuit-il. Il est impossible de passer sous les radars. C’est juste vous face au public, sans endroit où se cacher». Ce qui n’empêche pas le «boss» de mettre en place sa philosophie, qui pourrait tenir en deux mots : «surprise» et «risque». Chris Maas : «Il a une mentalité très jazz. Il voit la musique comme un organisme vivant en permanente évolution. Avec lui, il ne faut pas imiter, reproduire, mais essayer. Tout le temps».
«Jouer Roxanne, c’est quelque chose!»
Le batteur est sous le charme. «Sting est toujours le premier au sound check, avec ses idées. C’est incroyable de se dire qu’il a joué certaines chansons dans des centaines de versions, avec différentes personnes.» Il enchaîne, intarissable : «C’est quelqu’un de passionné, qui a un tel amour pour la musique que ça en devient contagieux. Il fait de vous un meilleur musicien. À son âge (NDLR : Sting a 73 ans), il pourrait se dire : « Je vais jouer ce qu’il y a sur le disque », et pourtant, il s’y refuse. Cette exigence déteint sur son entourage». Et en cas d’erreur ou de mauvaise appréciation, la star n’hésite pas à vous le dire : «On peut être dans la file d’attente d’un aéroport et il dit, sans prévenir : « Ah oui, dans le second couplet d’Every Breath You Take, ne fait pas ça! ». Il n’arrête pas, il a un esprit implacable. Ça me fascine».
Si le batteur reconnaît que cette tournée, «Sting 3.0», est une réussite avec ses moments forts («Jouer Roxanne, c’est toujours quelque chose!») et d’autres plus personnels («À travers ces morceaux moins connus du grand public», comme Fortress Around Your Heart, A Thousand Years ou Tea in the Sahara), il reprend sa place, «à l’ombre», quand on évoque le fait qu’il pourrait être un modèle au Luxembourg. Il corrige : «Je suis juste quelqu’un qui est parti de son pays avec un rêve, l’appui de ses parents, l’envie de travailler, et aucun plan B!». Voilà donc son dernier conseil : ne pas hésiter à se jeter à l’eau, comme tous ces jeunes groupes anglais qui partent en tournée avec pas grand-chose en poche, «sans bourse, ni aide étatique». En somme, croire en soi et prendre des risques. Sting apprécierait sûrement le message.