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Monique Goldschmit : «Au lieu de mettre la voiture au milieu de tout, mettez les gens»


Membre de ProVelo depuis de nombreuses années, Monique Goldschmit en a pris la présidence il y a bientôt dix ans.

Depuis 1985, ProVelo.lu défend la pratique du vélo au quotidien et les cyclistes. D’abord connue sous le nom de Lëtzebuerger Vëlos-Initiativ (LVI), l’association s’est peu à peu imposée dans le paysage luxembourgeois à travers de nombreuses actions tant pédagogiques que politiques. Sa présidente, Monique Goldschmit, revient sur ces quarante années de combats.

Comment est née ProVelo, il y a 40 ans?

Monique Goldschmit : Ça s’est fait en 1984 par une décision de quelques personnes de Luxembourg qui voulaient faire quelque chose pour le vélo. Ils se disaient : « Il faut changer la politique parce qu’on ne peut pas rouler à vélo«  et ils ont essayé de faire une manif.

Il y en a eu une première et est alors venue l’idée qu’on devrait créer une organisation qui lutterait pour que le vélo trouve sa place. Ça s’est fait en juin 1985 avec l’association Lëtzebuerger Vëlos-Initiativ (LVI).

C’était vraiment une époque où le vélo était quelque chose d’anormal. Le ministre des Transports du moment, M. Schlechter, n’a pas du tout compris ce que voulait LVI. C’était la mentalité de la société parce qu’on faisait tout pour la voiture dans les années 60-70.

Quelle était la place du vélo à l’époque?

Elle était quasi inexistante, il n’existait pas de piste cyclable. Moi, j’ai déménagé à Luxembourg en 1989. Dès le début, j’allais à vélo au travail parce que je trouvais la voiture inutile pour trois kilomètres et le transport public n’était pas aussi efficace qu’aujourd’hui.

Marcher, c’était bien, mais les vélos étaient plus rapides. Et je connaissais de vue les cinq, six autres personnes à vélo, c’était tous les matins les mêmes personnes sur le chemin. On était une petite minorité.

Et comment l’association a été accueillie?

On était vus comme des fous. « Qu’est-ce qu’ils veulent? On ne comprend pas ce qu’ils demandent.«  La deuxième présidente a toujours dit : « Maintenant, vous avez beaucoup plus de chances parce qu’on vous écoute« .

Eux, on ne les écoutait pas. Avec la création de cette association, le thème du vélo est arrivé dans la tête des gens. Ils faisaient des actions sur la voie publique pour montrer qu’on a de la place, qu’il n’y a pas d’accident entre les cyclistes, les voitures, les automobilistes.

Maintenant, on est accepté en tant que ProVelo. On est une association qui travaille avec les ministères, qui est écoutée par les responsables, même si ce qu’on demande n’est pas toujours réalisé. Mais au moins, on peut discuter, ce qui est très important.

En quoi consistaient les premières actions?

D’abord, c’était la manifestation. Je me rappelle bien quand j’ai entendu parler de cette initiative. Je n’étais pas à la première, mais à partir de la deuxième, j’étais toujours là.

Parce que les dix premières années, ils ont toujours organisé une manif. Pour moi, c’était le premier contact avec cette association. J’y suis allée parce que j’étais aussi à vélo et que je trouvais ça important.

Et d’autres actions se sont ajoutées par la suite.

Au fur et à mesure, des conférences de presse pour mettre un thème en lumière ont été organisées. L’association adressait des lettres, beaucoup de lettres à la Ville de Luxembourg, au ministère des Transports, même si elle ne recevait pas toujours des réponses…

Ça a commencé comme ça. LVI a aussi participé à l’Oekofoire pour sensibiliser de nouvelles personnes. Et l’association a créé un parcours pour enfants pour être bien à l’aise sur le vélo.

Aujourd’hui, le vélo s’est démocratisé, il est beaucoup plus présent. Quel rôle a joué ProVelo?

Un grand rôle. Si ProVelo n’avait pas été créée, la thématique du vélo serait moins présente. Peut-être qu’il y aurait eu d’autres gens qui auraient fait quelque chose, bien sûr.

Mais ça a été la base pour que le vélo trouve sa place dans la société. Et après, en 2010, Gust Muller, le quatrième président, a entamé la professionnalisation et engagé une première personne.

Parce que tout le comité, encore jusqu’à présent, est bénévole. Et ça, ça a changé aussi notre présence, notamment dans les réunions ou les discussions avec la police. La loi sur le réseau national, nous avons quand même beaucoup travaillé dessus.

Le fait d’organiser des manifestations régulièrement a aussi ancré le vélo dans l’esprit des gens.

Oui, absolument. Après les manifestations, il y a eu les tours à vélo. Pour moi, c’étaient mes débuts dans l’association : organiser des tours en soirée après le travail et faire découvrir la ville aux gens.

On montrait l’infrastructure, des beaux coins que les gens ne connaissaient pas. La philosophie là-dedans, c’était que si on arrive à montrer que c’est possible de rouler à vélo en ville et que si on connaît les chemins, peut-être que les gens vont prendre le vélo pour aller au travail.

Quand on peut rouler tranquillement sur les pistes cyclables, la tête est plus libre

Avec le temps, ProVelo a pris une dimension de plus en plus politique. C’était quelque chose de nécessaire pour s’imposer?

Absolument. Beaucoup de décisions sont prises dans de petites commissions ou les ministères. Si on n’est pas présent dans ces réunions, on ne peut pas discuter. Là, nous pouvons dès le départ donner nos réflexions comme la distance de 1,50 m de dépassement pour les voitures.

C’est nous qui en avons parlé lors de réunions. Pareil pour la première ouverture d’un sens unique aux cyclistes. On a convaincu la police que laisser les cyclistes prendre les sens uniques dans l’autre sens, ce n’était pas quelque chose de dangereux car cela fait des chemins plus courts pour les vélos.

Maintenant, nous avons régulièrement des réunions avec les Ponts et Chaussées, le ministère des Transports, du Tourisme, les différentes villes. Et, parfois, on s’invite aussi. Si on sait qu’il y a quelque part un plan vélo qui va être fait, on demande à venir voir. On ne reçoit pas toujours une réponse affirmative, mais on demande.

Justement, comment est la relation avec les pouvoirs publics et la police?

S’il y a une manifestation à organiser, on peut bien parler avec la police. Si on va plus loin, par exemple sur le 1,50 m, c’était plus difficile de leur faire comprendre son utilité. Nous avons une très bonne relation avec les ministres du Transport.

C’était le cas avec François Bausch et maintenant avec Yuriko Backes. La Ville de Luxembourg, c’est parfois un peu plus compliqué. On avait beaucoup plus de réunions avec eux il y a 15 ans. Si on parle de la capitale, il faut faire un choix, pas juste mettre un trait de peinture sur la route. L’espace doit être distribué autrement.

Nous, on demande de l’espace sur le trafic motorisé. Et ça, la Ville de Luxembourg est très réticente à le faire. Mais ça ne vient pas seulement de nous, c’est aussi une demande dans les réunions de quartier. Les gens veulent plus de tranquillité, de sécurité, moins de trafic.

La Ville ne prend pas ces décisions. Souvent aussi, les pistes cyclables sont installées sur les trottoirs et ça ce n’est pas possible. Nous, on veut absolument que les piétons soient tranquilles, qu’ils aient leur espace.

Pour Monique Goldschmit, les combats de ProVelo peuvent profiter à tous les usagers de la route, piétons comme automobilistes.

Le combat des cyclistes peut d’ailleurs profiter aux piétons et même aux automobilistes.

Plus on a de cyclistes, plus les communes sont tranquilles, sans bruit. Si on enlève les voitures, les cafés peuvent installer leur terrasse. Pour le moment, ils mettent leur terrasse sur les trottoirs. Je n’ai rien contre ça, mais ils prennent l’espace des piétons et de la mobilité douce.

Donner cet espace aux gens, ça va créer une nouvelle qualité de vie. Paris l’a compris. Des villes comme Utrecht l’ont compris. Beaucoup sortent de la mobilité motorisée. Nous aimons tous aller en vacances quelque part où il n’y a pas de bruit, pourquoi ne pas créer ça chez nous?  Souvent, des gens nous disent : « Vous voulez que tout le monde prenne le vélo?« .

Non, nous on veut que tout le monde qui veut prendre le vélo, puisse le faire en toute sécurité. Si quelqu’un doit travailler à 6 h et doit faire 40 kilomètres, il ne peut pas venir à vélo. Mais je connais beaucoup de gens qui aimeraient rouler à vélo et qui ont peur.

La priorité, ça reste la voiture?

D’abord, on regarde de quel espace on a besoin pour les bus et les voitures. Et s’il reste encore de la place, on va s’occuper des cyclistes. Mais c’est cette planification qui n’est plus à jour. On doit faire le contraire : de l’espace pour les cyclistes et les piétons et ensuite, on regarde comment on peut organiser la mobilité motorisée.

On devrait avoir un changement de perspective. Au lieu de mettre la voiture au milieu de tout, mettez les gens. Parce que chaque automobiliste est aussi à un certain moment un piéton. Si on se promène le matin pour aller au travail, deux kilomètres à pied ou à vélo c’est parfait, on arrive au travail l’esprit tranquille.

J’ai toujours dit que mes meilleures idées me sont venues sur le vélo. C’est pareil pour la promenade. Quand on peut rouler tranquillement sur les pistes cyclables, la tête est plus libre. Dans le trafic, il faut être plus que 100 % présent.

Mais les choses ont tout de même évolué en 40 ans.

Oui, il y a eu des changements. Quelqu’un qui n’était pas au Luxembourg ces dix dernières années va quand même trouver de nouvelles infrastructures.

L’État a notamment bâti un réseau cyclable tout le long du tram, c’était une des conditions dans le cahier des charges. Ça fait qu’on a cette belle liaison de la gare jusqu’au Kirchberg. L’ascenseur panoramique au Pfaffenthal et le funiculaire, c’est aussi parfait pour que les cyclistes rejoignent l’Alzette.

La piste cyclable sur le viaduc, c’est également une petite révolution. Il y a quand même beaucoup d’infrastructures cyclables qui ont été décidées par le ministère de la Mobilité.

Et qu’est-ce qui manque encore aujourd’hui?

Il manque la fluidité, un système d’ensemble. Nous avons des belles infrastructures, mais on n’a pas toujours les connexions. Il y a une belle liaison de la gare jusqu’au Kirchberg, mais si on habite Neudorf, Weimerskirch ou presque tous les quartiers, sauf peut-être Limpertsberg et Belair, c’est difficile de faire ces liaisons.

Ça, c’est la Ville maintenant qui doit s’en charger, elle doit prendre la relève. C’est la même chose pour Ettelbruck, qui a commencé à faire un réseau cyclable, mais a presque tout installé sur les trottoirs.

Nous devons peut-être repenser notre système

Il y a parfois des tensions entre automobilistes, piétons, cyclistes. On reproche souvent aux cyclistes de ne pas respecter le code de la route. Est-ce que c’est aussi une mission de ProVelo de montrer comment cohabiter?

C’est clair que si le feu est rouge, il faut s’arrêter. Mais je ne crois pas qu’il y ait une seule personne qui ne soit jamais passée au feu rouge. S’il y a beaucoup de cyclistes ou de piétons qui le font, ça montre que l’infrastructure est mal réglée pour eux.

Ils ne vont presque jamais passer au rouge s’ils se mettent vraiment en danger. Si une voiture grille le feu et écrase un piéton, elle peut le tuer. Et il y a beaucoup de voitures qui passent au rouge et sont prises par les radars. Place de l’Étoile, dans les premiers six mois, il y avait presque 6 000 personnes qui ont été flashées.

Donc je n’aime pas du tout cette discussion autour du feu rouge. Nous devons peut-être repenser notre système. Ils ont fait un essai à Amsterdam en éteignant les feux et ont laissé le trafic se faire. Ça a marché parce que tout le monde a dû être à nouveau attentif. Nous ne sommes plus attentifs, nous ne regardons plus autour de nous.

Même moi, s’il y a des changements de priorité dans des zones où je passe tous les jours, je ne les remarque pas. Il a tellement de panneaux, il faut changer ça. Les shared spaces se montrent efficaces. Les voitures vont moins vite, les piétons et les cyclistes sont là, il faut être à nouveau attentifs.

Quels sont les futurs projets de ProVelo?

On va continuer à militer bien sûr et discuter avec les politiques. On va continuer à faire de temps en temps des manifs ou des actions pour montrer qu’il y a des cyclistes sur la route.

Nous avons entretemps recruté quatre employés. Nous aimerions aussi que le vélo soit plus pris en compte dans le permis de conduire. On a également commencé à travailler avec les entreprises qui donnent des cours aux chauffeurs de camion pour qu’ils prennent plus en compte les cyclistes.

Et bien sûr, la distance de 1,50 m lors d’un dépassement reste notre priorité. Ça rejoint notre devise : que tout le monde puisse aller là où il veut à vélo.

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