Pour limiter les condamnations à des peines privatives de liberté, le législateur avait imposé aux juges de motiver spécialement le choix d’une peine de prison ferme. Les choses vont changer.
Il est difficile, pour une victime de violence sexuelle, de constater que son agresseur bénéficie d’une peine de prison assortie du sursis. L’article 195-1 du code de procédure pénale, introduit en 2018, impose aux juges de motiver spécialement le choix d’une peine d’emprisonnement sans sursis, sauf en cas de récidive légale. Le but était de limiter les condamnations à des peines privatives de liberté.
À l’époque, le tribunal avait douté de cette nouvelle disposition, estimant qu’il n’était pas évident qu’elle puisse atteindre son objectif. Les juges prennent en compte, pour la détermination de la peine à prononcer, «tous les éléments de la personnalité du prévenu, notamment sa situation familiale, professionnelle et financière, son attitude par rapport aux faits commis et son introspection. Si les juridictions de jugement décident ainsi que la peine d’emprisonnement la plus juste ne pourra être assortie du sursis, ils sauront motiver spécialement leur décision.»
Répondre aux recommandations du GAFI
Cet article sera réformé avec le projet de loi déposé fin janvier par la ministre de la Justice, Elisabeth Margue. L’accord de coalition stipule en effet que «pour les infractions graves, telles que l’abus sexuel, les mauvais traitements ou les violences à l’égard des enfants, le gouvernement introduira une législation exigeant une motivation explicite pour l’octroi d’un sursis». Il s’agit également de répondre aux recommandations du GAFI.
À ce jour, le juge est tenu de motiver l’absence d’octroi d’un sursis tant en matière correctionnelle qu’en matière criminelle, «ce qui conduit à l’octroi systématique de sursis dans certaines affaires de violences sexuelles et domestiques», fait remarquer la ministre de la Justice en réponse à une question parlementaire de la députée déi gréng, Sam Tanson.
Motivation spéciale
La nouvelle disposition législative proposée viserait à limiter l’obligation de motivation aux seuls cas où un sursis est refusé pour des peines correctionnelles inférieures à deux ans. Ainsi, tout comme pour les infractions de blanchiment d’argent, le juge ne serait donc plus tenu de motiver le refus d’un sursis dans le cadre des violences domestiques et notamment dans des affaires telles qu’un viol. Il s’agit ici d’une revendication de longue date des organisations œuvrant pour le droit des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne la violence contre les femmes et l’abus sexuel de mineurs.
Dans un arrêt du 21 novembre 2024, la cour de cassation avait cassé un arrêt de la cour d’appel, qui avait jugé que l’article 195-1 du code de procédure pénal exigeait également une motivation spéciale en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire (et non d’un sursis intégral total).
Le projet de loi dispose donc qu’en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans sans sursis qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette mesure. Toutefois, il n’y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale.
Nombre de sursis accordés
En 2020, les juges ont prononcé des peines assorties du sursis intégral dans 297 cas, dont 69 crimes et 228 délits. En 2024, dans 462 cas, dont 109 crimes et 353 délits. Pour les affaires relatives à la traite des êtres humains, les juges n’ont accordé aucun sursis sur les trois dossiers traités en 2020, mais en 2024, ils ont accordé du sursis intégral dans les cinq dossiers qu’ils ont eus à instruire.
Sur les 22 condamnations prononcées en 2020 pour violences sexuelles, les juges ont accordé le sursis intégral à 11 reprises, soit pour la moitié des condamnations. En 2024, sur les 28 condamnations pour violences sexuelles, 12 ont été assorties du sursis.