Pour le Conseil d’État, il y a «des limites objectives à la poursuite d’une politique continue d’accroissement des effectifs». D’autres pistes sont à explorer, jugent les Sages.
Dans son avis sur le troisième programme pluriannuel de recrutement de magistrats, le Conseil d’État plaide surtout pour une réorganisation des méthodes de travail des juridictions, une coopération plus étroite avec le barreau et une responsabilisation accrue des avocats.
Le renforcement des effectifs dans la magistrature n’est pas la seule piste à explorer pour répondre à l’augmentation des affaires et pouvoir les évacuer plus rapidement. Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’État a l’occasion de le dire et la Haute Corporation n’est pas la seule à le penser.
Dans ses «pistes de réflexion en vue d’une justice plus efficace», l’ancien procureur général d’État, Robert Biever, reconnaissait le peu de succès des modes alternatifs de règlement des litiges tels les conciliations ou la médiation. Mais tout en admettant nécessaire une augmentation du nombre de magistrats, Robert Biever note qu’«il n’y a pas de corrélation étroite et évidente entre le nombre de magistrats et les décisions rendues» après avoir analysé en détail le nombre de décisions judiciaires intervenues au cours des 20 dernières années, «pendant lesquelles l’augmentation du nombre de magistrats a été conséquente».
En se penchant sur le projet de loi arrêtant un programme pluriannuel de recrutement dans le cadre de l’organisation judiciaire, le Conseil d’État est bien obligé de constater que cela devient une tradition. Le premier programme pluriannuel (1999-2004) avait créé 37 postes de magistrats, le deuxième, 21 (2005-2009). Le troisième, que viennent d’aviser les Sages, prévoit la création de 32 postes de magistrats au cours des quatre prochaines années, 18 pour le siège et 14 pour les parquets, dont 15 nouveaux postes rien que pour l’année 2017.
Sans grands effets
Le recrutement dans la magistrature ne passe pas uniquement par ces programmes pluriannuels, mais par d’autres textes législatifs comme par exemple le projet de loi instituant le juge aux affaires familiales et portant réforme du divorce qui prévoit la création de sept nouveaux postes de magistrat.
Le Conseil d’État relève encore les effectifs des juridictions administratives «qui ont également connu des renforcements constants et pour lesquelles de nouvelles créations de postes sont prévues». Et pour être complet, l’avis mentionne également «le pool commun à l’ordre judiciaire et à l’ordre administratif des attachés de justice», dont le nombre a été porté à 30 par la loi du 5 juillet 2016.
Avec tout cela, les Sages constatent que le nombre de magistrats est très élevé si on le compare aux autres pays européens, «même s’il est difficile d’établir une corrélation entre les effectifs de la justice et la population, au regard de l’importance économique du Luxembourg et du nombre croissant de travailleurs frontaliers».
Pourquoi gonfler encore les rangs de la magistrature? À cause d’une augmentation du nombre des litiges à la suite de l’accroissement de la population et de la complexité croissante des affaires dans les matières civiles, commerciales et pénales, argumentent en premier lieu les auteurs du projet de loi. Puis, dans une moindre mesure, ils évoquent aussi la dizaine de postes de magistrats inoccupés pour cause de congé de maternité, congé parental, congé pour travail à mi-temps ou encore congé de maladie prolongé. Les Sages regrettent pourtant que les auteurs du texte «ne fournissent pas de données chiffrées et n’expliquent pas la logique de l’échelonnement des recrutements successifs».
Le Conseil d’État n’en démord pas, et comme Robert Biever, plaide pour les modes alternatifs de règlement des litiges, notamment en matière pénale. Comme il a déjà eu l’occasion de le faire l’année dernière, le Conseil d’État met encore une fois le gouvernement en garde «contre une politique d’augmentation constante des effectifs des juridictions». Il évoque «les difficultés bien connues de recrutement de candidats qualifiés» et les «conséquences pour le recrutement de juristes dans d’autres secteurs de la fonction publique.»
Les Sages proposent comme alternative au recrutement constant et conséquent «un allègement des procédures, une application plus stricte des règles de la mise en état, de la fixation des affaires et du prononcé des décisions, une réorganisation des méthodes de travail des juridictions, une coopération plus étroite avec le barreau et une responsabilisation accrue des avocats».
Geneviève Montaigu