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Modèle luxembourgeois : la formule à succès menacée


Le directeur général Carlo Thelen, entouré par Christel Chatelain, la directrice des Affaires économiques, et Anthony Villeneuve, l’économiste en chef de la Chambre de commerce. (Photo : chambre de commerce/blitz agency)

La Chambre de commerce voit le modèle luxembourgeois menacé en raison d’une politique financière trop déséquilibrée. Le poids de la fonction publique est notamment mis en cause.

«Tout n’est pas noir, mais nous risquons la fin du modèle luxembourgeois si nous poursuivons sur cette trajectoire», alerte Carlo Thelen, le directeur général de la Chambre de commerce. L’avis sur le budget de l’État pour 2026, présenté hier matin, a pour fil rouge un trop important déséquilibre entre des dépenses en nette augmentation et des recettes publiques trop volatiles. «Si nous voulons préserver notre capacité d’action à long terme, nous devons impérativement renouer avec une discipline budgétaire crédible et agir sur nos dépenses rigides», plaide l’économiste de formation.

Plusieurs phénomènes et chiffres inquiètent la Chambre de commerce. Sans surprise, la lourdeur administrative en fait partie. «Le pragmatisme luxembourgeois a disparu. Nous sommes devenus un pays de contrôleurs, inspecteurs, régulateurs et fonctionnaires», ironise Carlo Thelen. Il s’agirait d’un frein supplémentaire pour relancer l’économie, qui varie entre 1 % et 2 % à peine.

Des dépenses moindres lors de la pandémie

«Quand on regarde de près ce qui se passe au niveau des dépenses, on s’inquiète un petit peu, puisqu’en 2026, on sera à 45 milliards d’euros de dépenses. Et on est sur une trajectoire qui va nous conduire tranquillement à 53 milliards d’euros de dépenses en 2029, soit 10 milliards de plus que ce qu’on a cette année», avance Anthony Villeneuve, l’économiste en chef de la Chambre de commerce. «Et quand on rembobine encore un petit peu plus le fil (…), on se rend compte qu’en 2000, la dépense publique représentait 38 % du PIB au Luxembourg et qu’aujourd’hui, en 2025, on est à 48,2 %. C’est un rythme de progression qui est extrêmement préoccupant», remarque-t-il.

Les plans du ministre des Finances, Gilles Roth, vont au-delà de l’intervention massive de l’État pour amortir au mieux l’impact économique de la pandémie de covid : «Des dépenses à hauteur de 48 % du PIB en 2025, c’est plus que ce qui a été dépensé en 2020. Aujourd’hui, on dépense encore plus par rapport à la richesse nationale que cette année-là, qui était très particulière. Donc ça, c’est forcément quelque chose qui doit nous alerter», estime Anthony Villeneuve. Le ratio n’était que de 38 % en 2000 et de 42 % en 2010.

En 2026, les dépenses doivent atteindre 45,5 milliards d’euros, soit une hausse de 5,6 % par rapport à 2025.

En parallèle, les recettes générées par l’État reposeraient sur des bases «fragiles» et «non pérennes». «Les recettes sont extrêmement volatiles. En 2024, on a eu une hausse de 12 % qui n’était nullement attendue. L’activité économique particulièrement porteuse de deux contribuables a permis cette hausse. Or, en même temps, ces deux mêmes contribuables influencent fortement les recettes publiques. Mais il n’est pas dit que leur apport fiscal continuera à avoir une telle ampleur», détaille Christel Chatelain, la directrice des Affaires économiques.

La Chambre de commerce attire aussi l’attention sur le fait que les recettes issues des ventes de tabac et de carburant – elles rapportent actuellement 1,3 milliard d’euros par an – risquent de s’effondrer avec une nouvelle réglementation européenne et l’électrification de la mobilité.

Un budget 2026 «fragile et inquiétant»

Face à tous ces constats, l’institution patronale appelle en premier lieu le gouvernement à réduire la voilure de la fonction publique. «Malgré la panne de croissance que subit le pays, la taille de l’État continue de s’étendre, alimentée par la progression de la masse salariale publique et par l’addition constante – +347 millions d’euros en 2026 – de nouvelles politiques sans hiérarchisation claire», écrit la Chambre de commerce.

«Nous avons besoin d’une fonction publique forte, mais qui doit rester finançable», nuance Carlo Thelen. «Tous les efforts qui sont engagés en matière de digitalisation n’ont pas permis de gains de productivité de la part des agents publics. C’est une trajectoire qui nous semble insoutenable sur le long terme. On alerte vraiment le gouvernement là-dessus», complète Anthony Villeneuve.

«Dans sa globalité, le budget 2026 est qualifié de fragile et inquiétant». En cause, des dépenses publiques qui croissent plus que l’économie, des engagements politiques qui sont aujourd’hui non comptabilisés dans la projection pluriannuelle, qui peuvent induire une dette cachée (NDLR : réforme fiscale et effort de défense), et un coût astronomique du vieillissement sur le long terme.

«On assiste à une « CGTisation » du monde syndical»

La Chambre de commerce déplore la «fin du modèle social luxembourgeois», reposant sur le dialogue tripartite. La cause ? «On assiste à une « CGTisation » du monde syndical», lance Carlo Thelen, faisant référence aux blocages pratiqués par les syndicats français, en tête la CGT. «Il est devenu compliqué au Luxembourg de mener des réformes dès que le syndicat de la fonction publique s’y oppose», renchérit le directeur général.

Cette attitude se serait «un peu répandue» au Grand-Duché, «ce qui nous ne plaît pas». «Le modèle luxembourgeois a toujours été marqué par des discussions respectueuses entre les partenaires sociaux avec la volonté de trouver des solutions. Il est déplorable que ces pourparlers tripartites n’existent plus et qu’il faille d’abord passer par des bipartites», explique Carlo Thelen, qui garde toutefois espoir que l’on «puisse assez rapidement» revenir à un dialogue tripartite.

En attendant, le patron de la Chambre de commerce se félicite du dialogue social qui fonctionne «très bien au niveau des entreprises». «Les salariés ont conscience que l’on se trouve dans un environnement économique défavorable et sont dès lors prêts à trouver avec leur employeur des solutions qui sont dans l’intérêt de leur entreprise», développe Carlo Thelen.

Le troisième round des bipartites avec les ministres du Travail et de l’Économie est fixé au 21 janvier.

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