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Mode éthique : « Ce sont les consommateurs qui ont le pouvoir »


"Il faut que les marques comprennent qu'elles doivent faire preuve de transparence dans leur processus de fabrication", affirme Stylianee Parascha. (Photo Fabrizio Pizzolante)

Stylianee Parascha est la coordinatrice pour le Luxembourg de la Fashion Revolution Week qui commence ce lundi et incite les consommateurs à demander des comptes aux marques de vêtements.

Le grand public n’en a pas vraiment conscience, mais l’industrie textile est l’une des plus polluantes au monde et elle bafoue chaque jour les droits élémentaires des travailleurs. La Fashion Revolution Week entend inviter les consommateurs à travers le monde à demander aux grandes marques plus de transparence sur la fabrication de leurs vêtements.

La Fashion Revolution Week est un mouvement mondial qui veut sensibiliser les consommateurs à la provenance de leurs vêtements. Comment et quand est né ce mouvement ?

Stylianee Parascha : Le mouvement a démarré en 2013, après l’accident du complexe Rana Plaza à Dacca au Bangladesh. Les ouvriers textiles ont été sommés de retourner au travail alors que leur bâtiment avait de grosses fissures et que toutes les autres entreprises avaient été évacuées. Le bâtiment s’est effondré le lendemain, alors que tous les ouvriers avaient pris leur poste le matin. Mille cent trente-quatre personnes ont été tuées, et plus de 2 500 ont été blessées. C’est à ce moment que les deux fondatrices du mouvement, Carry Somers et Orsola de Castro, toutes deux designers au Royaume-Uni, ont décidé d’agir. Même si les conditions de travail affreuses dans ces usines de vêtements étaient bien connues du public, cet accident a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Car c’était l’un des plus graves accidents dans le monde.

Concrètement, que va-t-il se passer lors de cette semaine d’actions et de sensibilisation?

Les consommateurs sont invités à interpeller les marques de vêtements sur les réseaux sociaux avec le hashtag #whomademyclothes. Même si elles ne répondent pas dans l’immédiat, il est très important d’avoir un grand nombre de personnes à travers le monde qui s’interrogent, qui veulent savoir. C’est ça le plus important. Il faut que les marques comprennent qu’elles doivent faire preuve de transparence dans leur processus de fabrication et elles répondront peut-être l’année prochaine avec des améliorations. À l’inverse, certaines marques éthiques auront l’opportunité de se mettre en avant avec les ouvriers qui vont s’afficher avec l’inscription « I made your clothes », et ça c’est très agréable à voir. Je pense que nous sommes sur la bonne voie.

Je pense qu’à Luxembourg nous avons les moyens de nous acheter des vêtements de meilleure qualité un peu plus cher qui vont nous accompagner et que l’on va associer à des évènements de notre vie.

Comment explique-t-on que l’industrie textile soit toujours très opaque et que l’origine et la fabrication des vêtements ne fassent pas l’objet de règles strictes ?

Le problème est que, notamment pour les grandes marques, la liste de sous-traitants et autres intermédiaires est vraiment très longue. On perd vite la trace de qui est le vrai producteur. La chaîne de sous-traitants permet de brouiller les pistes et de faire faire le travail à des ouvriers avec des conditions plus que douteuses, sans protection sociale, avec des salaires extrêmement bas, sans que la marque donneuse d’ordres s’en rende vraiment compte. Ces ouvriers invisibles en quelque sorte n’apparaissent pas dans les audits, car il est difficile de retracer leur existence avec la multiplication des sous-traitants. Mais les marques ont les moyens, car le but de sous-traiter à outrance est bien de produire moins cher. Elles ont donc les moyens de faire des audits efficaces sur la façon dont sont produits leurs vêtements.

Comment peut-on expliquer qu’en matière de nourriture le grand public est sensibilisé au gaspillage alimentaire, à la qualité des produits locaux, etc., et que pour les vêtements peu de chose soit fait ?

Je pense que les consommateurs n’ont pas encore bien compris que leur consommation de vêtements est intimement liée à l’environnement. L’industrie textile est tellement polluante qu’on peut la comparer à l’industrie pétrolière. En faisant des recherches rapides, on s’aperçoit que les rivières en Chine se colorent selon la couleur qui est à la mode pour les vêtements du moment par exemple, mais ça n’intéresse pas le grand public qui est habitué à obtenir des vêtements pas chers.

Les politiques peuvent-ils agir pour obliger ces marques à plus de transparence, ou seuls les consommateurs pourront-ils les faire changer ?

Oui c’est possible, car les politiques ont agi sur la thématique du gaspillage alimentaire par exemple. Ils trouvent les moyens d’interdire le gaspillage et d’inciter à recycler ces restes alimentaires pour en faire quelque chose. Mais plus encore que les politiciens, ce sont les consommateurs qui ont le pouvoir, car ils sont tout simplement plus nombreux que les politiciens! Ces derniers sont parfois plus tentés par l’appât du gain, donc ce n’est pas toujours facile de les convaincre.

Entretien avec Audrey Somnard

A lire en intégralité dans Le Quotidien papier de ce lundi 24 avril