Le conseil d’agglomération de Portes de France-Thionville a été mouvementé jeudi. Une étude de faisabilité d’un Supraways, genre de navette urbaine à haut cadencement, a été présentée. Un projet – à l’étape de prototype – intéressant mais pensé sans le Luxembourg. Car le responsable des transports de l’agglomération ne croit plus en la volonté du Grand-Duché d’améliorer la mobilité transfrontalière.
Dans un passé récent, Patrick Luxembourger a plusieurs fois estimé que la stratégie du Luxembourg est d’attirer les frontaliers les plus riches à venir habiter sur son territoire, en les décourageant avec les transports. Comme en témoigne ce tweet daté de novembre :
Et voilà ns y sommes. Bravo au Gvt luxembourgeois. Objectif, vider la Moselle et remplir le Luxembourg. Ça fait 5 ans que je l annonce. Il n y a que notre État qui ne comprend rien. Analyse? Réflexion? Stratégie? … pdt ce tps on commence à discuter de l A31bis, ridicule. pic.twitter.com/WToXUANoQv
— patrick luxembourger (@patluxembourger) 9 novembre 2018
D’où l’étude présentée jeudi soir, d’un Supraways pour relier Thionville à la frontière (gare de Volmerange-lès-Mines vers le Luxembourg), pour se passer de toute codécision avec le Grand-Duché. «C’est une petite étude, que nous avons payée 25 000 euros, explique Patrick Luxembourger. Ce n’est qu’un avant-projet, mais c’est le but : amener des idées neuves puisqu’aujourd’hui, la seule idée que l’État français met sur la table, c’est l’A31 bis […] Quant au Luxembourg, l’histoire a montré que les volontés de notre part d’imaginer une forme de coopération se sont heurtées à des fins de non-recevoir catégoriques.»
Visiblement agacé de «l’impasse de la mobilité» en Moselle-Nord, Patrick Luxembourger a dénoncé le «cynisme invraisemblable quand j’entends les États français et luxembourgeois parler d’avancées considérables pour améliorer la mobilité. La vérité c’est qu’il y a zéro solution sur la table, et que l’on ment aux gens.»
«Marasme» de la mobilité transfrontalière
Des propositions, il y en a quand même, indéniablement. Mais on comprend après la présentation technique pourquoi Patrick Luxembourger n’y voit que du vent : 125 millions d’euros promis par le Grand-Duché sur le rail vers Metz, projets de parking-relais à la frontière, covoiturage ou encore allongement des quais… pour quel résultat escompté ? Claude Escala, le patron de l’entreprise Supraways (Lyon), a décrit en préambule technique le «marasme» de la mobilité transfrontalière. Et pourtant, une étude Supraways plus avancée concerne la banlieue parisienne (Saint-Quentin en Yvelines) !
En clair : même en bondant les nouveaux trains prévus d’ici 2035, même en passant de 1,1 conducteur par voiture à 1,2 avec le covoiturage, même en se basant sur les scénarios de mobilité les plus optimistes, il resterait plus de 20 000 personnes à transporter.
Quant au télétravail, sujet effleuré jeudi, s’il fallait le porter à des montants significatifs (deux jours par semaine), la France et le Luxembourg se heurteraient à des difficultés européennes concernant la sécurité sociale. Mais également à de nouveaux problèmes bilatéraux quant à la destination de l’impôt sur le revenu.
« Aucune solution, et c’est un scandale »
Supraways, malgré des perspectives alléchantes (possibilité de transporter 17% des frontaliers), et il faut le dire dans un contexte d’avant-projet qui colle mal à l’urgence de la situation, a peiné à convaincre l’opposition.
Les élus socialistes ont dénoncé du vent tant sur les montants annoncés (plus d’un milliard d’euros, qui seraient à aller chercher au niveau national et européen), que sur l’absence du Luxembourg dans le projet.« Dès lors que le Luxembourg a dit qu’il n’était pas intéressé par ce projet, ça n’a aucun intérêt, a dénoncé Bertrand Mertz dans une colère noire. Si les frontaliers qui passent 4 heures par jour dans leur voiture étaient présents ce soir, on entendrait un sacré brouhaha derrière moi ! ». Avant de rejoindre son adversaire du soir sur le constat : « quand Patrick Luxembourger dit ‘on ment à nos citoyens’ je le rejoins, il a raison. Pour le moment, ni l’État, ni la région, ni personne n’a une solution à proposer dans un avenir raisonnable aux frontaliers. Aucune. L’A31 bis, si elle se fait, ne verrait pas le jour avant au moins dix ans […] Il a raison : il n’y a aucune solution dans les tuyaux, c’est un scandale, mais celle-ci n’en n’est pas une non plus. » Bertrand Mertz a évoqué l’impératif qui aurait dû être d’avancer sur un parking-relais et des nouveaux bus ces dix dernières années.
« L’État luxembourgeois joue sa carte »
Le directeur de Supraways a demandé un peu de respect pour son projet, qui a été accueilli avec sérieux en banlieue parisienne. « Si les industriels n’avaient pensé qu’en termes de solutions existantes, ce conseil d’agglomération ne serait pas diffusé en direct sur YouTube.»
Patrick Luxembourg, après quelques passes d’armes de bonne guerre avec l’opposition, a conclu amer : « L’État français ne s’est jamais intéressé au sujet transfrontalier en vingt ans. Et en face, il y a un État luxembourgeois qui joue sa carte (NDLR : sous-entendu, attirer les frontaliers les plus riches à venir habiter au Luxembourg en les décourageant par des transports pénibles) et qui n’a jamais voulu faire quoique ce soit avec nous. À part nous donner quelques miettes, pour que l’on construise un parking.»
Hubert Gamelon
On comprend mal cette « volonté » du Luxembourg d’attirer encore plus de monde au Grand Duché, alors qu’on y manque déjà cruellement de logements.
Tabler plutôt sur la bêtise des politiques et la lenteur de l’administration, car la richesse du Luxembourg dépend de ses frontaliers..