Ils escaladent des clôtures de barbelés de six mètres ou traversent la Méditerranée en bateau au péril de leur vie : 36 000 migrants sont entrés en Espagne depuis janvier, sur la route d’autres pays d’Europe. Mais leur courage n’a pas suffi, ils ont eu recours aux réseaux de passeurs.
« Il est pratiquement impossible d’atteindre l’Europe clandestinement » sans avoir payé une mafia, assure le directeur du Centre européen de lutte contre le trafic des migrants d’Europol, le Slovène Robert Crepinko. 90% des migrants y ont eu recours, ajoute ce policier en se basant sur une étude de 2015.
Sans eux, « il est impossible » de parcourir des milliers de kilomètres depuis l’Afrique subsaharienne, à travers des déserts et des zones inhospitalières, témoigne Ousman Umar, survivant d’une traversée de cinq ans entre le Ghana et l’Espagne.
« Le trajet peut durer un an, deux ans, selon le réseau et les fonds dont tu disposes parce que les bandes de trafiquants ne t’amènent que jusqu’où tu peux payer », explique José Nieto Barroso, de l’unité contre l’immigration irrégulière (UCRIF) de la police espagnole.
200 à 700 euros la traversée
Les migrants convergent le plus souvent vers le Maroc, « le meilleur endroit pour attendre le moment opportun pour faire le saut » vers l’Espagne, dit José Barroso.
La plupart paieront pour s’entasser dans une fragile embarcation. D’autres pour escalader en groupes les hautes barrières hérissées de barbelés séparant le Maroc des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Les tarifs, selon la police espagnole: 18 euros pour franchir la clôture. 200 à 700 euros pour traverser le détroit de Gibraltar, et jusqu’à 5.000 pour le faire sur un scooter des mers.
Europol estime qu’en moyenne, un migrant paie de 3 000 à 5 000 euros pour le voyage complet vers l’Europe.
L’Espagne, première porte d’entrée clandestine
L’Espagne est devenue cette année la première porte d’entrée des migrants clandestins – 36 000 par mer et par terre depuis janvier, selon l’Organisation internationale pour les migrations – devant la Grèce et l’Italie.
Beaucoup sont résolus à laisser l’Espagne pour gagner la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, en fonction de leur origine – s’ils viennent d’Afrique francophone ou anglophone – et des proches installés dans ces pays.
Et une fois arrivés en Espagne, ils ne parviennent pas toujours à échapper à l’emprise des passeurs.
« Vous allez être secourus en mer par les gardes-côtes »
Selon José Barroso, les trafiquants disent aux migrants: « Vous allez être secourus en mer par les gardes-côtes, ils vont vous emmener à un centre d’accueil et au bout de trois, quatre jours, il y aura des gens du réseau là-bas qui vous récupéreront ».
Ils les emmènent alors dans un autre pays ou les livrent à des réseaux de traite des êtres humains, selon le policier.
Les centres de rétention de migrants sont « totalement débordés » et les mafias en profitent en récupérant les migrants à proximité des ONG qui les aident, dit-il.
Paloma Favieres, de l’ONG Commission espagnole d’aide au réfugié (CEAR), qui gère des lieux d’accueil pour migrants, admet ce risque. « Mais la lutte contre la criminalité est du ressort de la police », dit-elle en dénonçant le « chaos » dans l’accueil des réfugiés par les autorités espagnoles.
Elle assure que la CEAR avertit la police quand elle détecte qu’un migrant risque d’être victime de trafic ou de traite.
Vendus à des réseaux
Si les migrants tombent entre les mains des réseaux de traite, les femmes sont exploitées comme prostituées, les hommes pour des travaux confinant à l’esclavage moderne, notamment dans l’agriculture intensive, ou pour mendier.
Les réseaux de passeurs « fournissent des gens. +J’ai 8, 12, 15 subsahariens pour travailler+, disent-ils », rapporte M. Barroso. « Le réseau ne se consacre pas à exploiter, seulement à transporter, mais il connait des gens à qui il fournit » des migrants.
Le flux des migrants depuis l’Espagne vers le reste de l’Europe continue cependant, comme l’illustre leur nombre croissant dans la municipalité basque d’Irun, frontalière avec la France, où ils dorment où ils peuvent en attendant de passer de l’autre côté. A Santander, à 200 km à l’ouest, deux passeurs ont été arrêtés en août pour avoir caché des migrants dans une caravane pour les emmener au Royaume-Uni en ferry.
L’an dernier, 25 réseaux ont été démantelés en Espagne. Mais les éliminer est difficile, dit José Barroso, beaucoup restant actifs dans les pays d’origine où ils continuent à recruter des candidats à l’émigration.
AFP