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Mercosur : un impact «dévastateur» pour l’agriculture nationale? 


Sam Mille (Service Jeunesse), Christian Wester (Centrale paysanne) et André Mehlen (Vinsmoselle) ont présenté, hier, leur analyse de l’accord UE-Mercosur.  (Photo : fabrizio pizzolante)

La Centrale paysanne redoute que l’accord de libre-échange conclu par l’UE avec quatre pays d’Amérique du Sud nuise gravement au secteur agricole, en tête aux producteurs de viande bovine.

Au bout de 20 ans de tractations, l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay) sont parvenus à sceller, début décembre, un accord de libre-échange. «Les doutes et inquiétudes du secteur agricole demeurent. L’accord n’est de loin pas aussi positif que ne veut le faire croire la politique», souligne d’emblée Christian Wester, le président de la Centrale paysanne.

Les agriculteurs luxembourgeois rejoignent aujourd’hui leurs collègues européens, qui sont vent debout contre cette nouvelle alliance commerciale. «Il s’avère que le secteur de la viande bovine sera le plus fortement impacté. L’Amérique du Sud est très forte dans ce domaine», note Christian Wester. La plus importante crainte concerne le non-respect par les producteurs de la zone Mercosur des normes sanitaires, environnementales et sociales imposées aux agriculteurs européens. «Les normes que nous devons respecter en Europe sont parmi les plus élevées à l’échelle mondiale». La question est bien de savoir si «la réciprocité des normes de production sera respectée. Il existe un risque de concurrence déloyale», poursuit le président. 

Les quantités de viande bovine produites au Luxembourg sont limitées. Sur les 1 400 exploitations agricoles que compte le pays, environ 400 sont spécialisées dans la production de viande. «Si les 900 autres exploitations se concentrent sur les produits laitiers et la production agricole, cela n’empêche pas qu’ils disposent d’un cheptel bovin», note Sam Mille, représentant du Service Jeunesse affilié à la Centrale paysanne. «Un effondrement des prix provoqué par le Mercosur risque d’avoir un effet dévastateur sur un des principaux secteurs de l’agriculture luxembourgeoise», alerte-t-il.

«Aucun accord au lieu d’un mauvais accord»

Le potentiel impact négatif de l’accord UE-Mercosur viendrait aggraver une situation déjà très tendue. «Près de la moitié des élevages de bovins produisent déjà à perte. Ces derniers mois, nous avons subi les effets de la fièvre catarrhale ovine. On est confronté à un énorme trou dans la production. Il nous manque du bétail», résume Sam Mille.

Ces facteurs s’ajoutent à un potentiel d’exportations très limité, tant pour la viande luxembourgeoise que pour d’autres produits agricoles. «Le Mercosur devrait surtout profiter aux produits haut de gamme, dotés du label « Appellation d’origine protégé ». Le Luxembourg ne dispose pas de tels produits», avance Christian Wester. L’exportation de produits laitiers serait «plutôt improbable».

Par contre, les agriculteurs européens pourraient-ils tirer profit de l’accord au niveau des importations de produits de fourrage? «L’UE est dépendante d’États tiers. L’Amérique du Sud est le premier exportateur. L’apport du Mercosur risque cependant d’être assez marginal, car les taxes douanières sur les importations de produits de fourrage sont déjà peu élevées», répond le président de la Centrale paysanne.

Le secteur agricole luxembourgeois dénonce en outre les importantes incertitudes qui tournent autour d’autres éléments de l’accord. Il s’agit notamment du fonds de sécurité visant à atténuer l’impact négatif de l’accord de libre-échange. «Il doit être doté d’un milliard d’euros, mais il est peu clair d’où proviendra cet argent», avance Christian Wester.

En fin de compte, l’agriculture se sentirait comme «victime collatérale» d’un accord qui doit en priorité relancer l’industrie européenne. «Pour nous, « aucun accord » aurait été préférable à un mauvais accord», fait remarquer le président. Sous les conditions actuelles, la disparition de nouvelles exploitations pourrait encore s’accentuer. «Au vu des charges à supporter, à un moment, il n’y aura plus d’agriculteurs. Peut-être qu’on ferait mieux d’aller travailler dans la fonction publique…», conclut avec sarcasme Christian Wester.

Tous les États membres de l’UE doivent ratifier l’accord de libre-échange avec le Mercosur avant qu’il ne puisse entrer en vigueur. Le gouvernement luxembourgeois compte attendre Pâques pour prendre une décision.

Le vin sud-américain
risque de couler à flot

Les viticulteurs évoquent aussi d’importants doutes sur l’apport réel de l’accord UE-Mercosur pour le Grand-Duché. «Il est trop simpliste de nous vendre l’accès à de nouveaux marchés», fustige André Mehlen, le directeur des Domaines Vinsmoselle. Les vins luxembourgeois ne disposeraient pas de la réputation nécessaire pour percer au Brésil ou en Argentine. L’inquiétude majeure concerne l’afflux facilité de vins sud-américains sur le marché européen, et donc luxembourgeois. «Le secteur viticole se porte déjà assez mal en raison d’une baisse des ventes. La percée de produits sud-américains va avoir un impact encore plus négatif sur le marché», redoute André Mehlen.