Accueil | A la Une | Mendicité dans la capitale : «Tel est le prix de la vie en société»

Mendicité dans la capitale : «Tel est le prix de la vie en société»


Pour Taina Bofferding, personne ne peut empêcher les mendiants de faire appel à la solidarité d’autrui. Pour Lydie Polfer, il s’agit de bandes organisées.

Manque de motivation, non-conformité au droit national et international. La ministre de l’Intérieur a mis son veto. Lydie Polfer annonce un recours.

Des zones entières leur avaient été interdites dans la capitale «dans l’intérêt de la sécurité et de la salubrité publiques». Les mendiants étaient priés d’aller quémander l’obole ailleurs ou de tendre le gobelet entre 22 h et 7 h, en pleine nuit, même Grand-Rue s’ils le souhaitaient, alors que l’hypercentre leur était barré, dans le texte. En journée, une longue liste de rues, parcs, aires de jeux et parkings publics leur était interdite.

Le règlement de police de la Ville de Luxembourg avait été ainsi modifié le 27 mars, non sans provoquer de vives réactions de l’opposition.

Le très altruiste Paul Galles (CSV), conseiller de la majorité, estimait qu’il s’agissait «d’un instrument pour pouvoir, en harmonie avec la police et la justice, contrôler et freiner» la mendicité organisée qui encourage la traite des êtres humains. Pour les autres marginaux, personne n’a besoin d’appeler à la solidarité de la population, la Ville s’en occupe à travers ses services sociaux, comme souligné lors des débats plutôt houleux que le sujet avait suscités.

Cette interdiction faisait suite à l’entrée en vigueur, le 1er janvier dernier, de la loi relative aux sanctions administratives communales et à l’élargissement des compétences des agents municipaux. Depuis cette date, également, les règlements de police générale des communes sont soumis à l’approbation du ministre de l’Intérieur, donc cette modification concernant la mendicité devait être analyser.

Ce contrôle de légalité n’a pas abouti favorablement pour la majorité, qui doit accepter les mendiants dans les rues tant qu’ils ne présentent aucune menace pour la sécurité. Selon le juge Georges Ravarani, «dès qu’elle est active, agressive ou insistante, la mendicité peut être encadrée, limitée ou interdite. Mais le seul fait qu’elle serait considérée comme inconvenante par certains ne saurait en faire une activité illicite. Tel est le prix de la vie en société», écrit-il dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les élus communaux doivent justifier les mesures de répression prises s’ils les jugent «nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public, à savoir de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publiques sur le territoire de la commune». Sans se baser sur des «motifs réels» justifiant cette nécessité, cet article du règlement communal n’est pas régulier.

La majorité DP/CSV ne s’est pas encombrée d’exemples concrets, elle s’est contentée de justifier sa décision en avançant des raisons de sécurité et de salubrité publiques. C’est loin d’être suffisant. Selon l’avis juridique du ministère de l’Intérieur, le conseil communal ne démontre pas davantage «que la mendicité aurait des conséquences négatives sur la sécurité ou la tranquillité publiques, pas plus qu’il ne fait état de sollicitations, de harcèlements ou d’insistance de la part de mendiants, susceptibles de gêner ou de déranger les passants ou le public ou de créer dans leur chef des sentiments d’insécurité».

Les textes existent déjà

Même si le conseil communal est habilité à prendre des mesures pénales par voie réglementaire, le ministère de l’Intérieur préconise une autre forme d’intervention «moins contraignante». En ce qui concerne cette interdiction de mendicité, elle n’est tout simplement pas conforme aux dispositions du code pénal. Or, dans le droit luxembourgeois, certaines formes de mendicité «aggravées, intrusives ou agressives» sont interdites par la loi (article 342 du code pénal), qui les qualifie de «délits contre la sécurité publique».

Quant à la mendicité sous la forme de la traite des êtres humains, elle constitue déjà une infraction grave réprimée par le code pénal. Celle-ci constitue «une base légale suffisante sans qu’il y ait besoin, pour le pouvoir communal, d’intervenir dans ce domaine».

La mendicité simple n’est pas concernée. Du moins, elle ne l’est plus. Elle était considérée comme une contravention de quatrième classe jusqu’à ce que le législateur procède à son abrogation en 2008, ce que conteste aussi Lydie Polfer. «Non seulement la mendicité simple n’a jamais été considérée comme une menace à l’ordre public, mais elle a également été dépénalisée», insiste la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding. Les mineurs ne paraissent pas exclus de cette mesure, ce qui est contraire aux dispositions relatives à la protection de la jeunesse qui établit la majorité pénale à 18 ans.

Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle conclut, dans un arrêt de 2021, que l’interdiction pure et simple de la mendicité est à considérer «comme étant une ingérence dans les droits des concernés dans une société démocratique alors qu’ils sont protégés par l’article 8 de la Convention».

Sinon, il faut une justification solide, et tel n’est pas le cas en ce qui concerne la Ville de Luxembourg. La présence des mendiants gêne dans le paysage ? Tant pis. Mais pour la ministre de l’Intérieur, qui se base sur l’analyse juridique de cette interdiction, «nous ne pouvons pas empêcher les plus vulnérables de faire appel à la solidarité d’autrui».