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Médecins légistes : «Nous ne sommes ni détectives, ni policiers»


Une autopsie peut durer jusqu’à une journée de travail au maximum.

Depuis 2014, un service de médecine légale est présent dans les locaux du Laboratoire national de santé de Dudelange. Immersion dans le quotidien de ces spécialistes à la profession si particulière.

À première vue, on pourrait se croire dans une série télévisée criminelle un peu désuète des années 2000. Car tout y est : la table d’autopsie, les instruments chirurgicaux, les ordinateurs d’analyse, la morgue.

Et pourtant, le quotidien des médecins légistes luxembourgeois est bien éloigné de celui des personnages de fiction. Au Laboratoire national de santé (LNS), quatre médecins spécialisés dans la médecine légale travaillent pour le compte du service médico-judiciaire. Un secteur dont les missions principales sont la réalisation d’autopsies.

Suspicion d’un homicide, suicide, accident routier… Les examens médicolégaux sont ordonnés par un tribunal judiciaire. Au Grand-Duché, il s’agit des tribunaux d’arrondissement de Luxembourg et de Diekirch. Mais, alors, comment les autopsies se déroulent-elles? En lien étroit avec la police, le médecin légiste a pour mission d’effectuer un examen approfondi du corps dans le but de trouver la cause du décès.

Il commence tout d’abord par analyser la partie extérieure du corps. «Nous devons décrire tout ce que nous voyons comme les blessures, mais aussi de choses moins spectaculaires», explique Thorsten Schwark, responsable du département de médecine légale au LNS. Puis, vient ensuite l’étape interne. Le médecin légiste doit là examiner les trois cavités du corps, la tête, la poitrine et l’abdomen.

«Nous inspectons également tous les organes. Puis, nous recousons le tout. Les traces de l’autopsie peuvent être dissimulées avec des vêtements et les cheveux de façon qu’un recueillement auprès du corps soit toujours possible», explique le médecin légiste.

Un travail en binôme

Pendant toute l’autopsie qui dure de deux heures à une journée de travail au maximum, deux médecins légistes se consacrent à l’examen et à la dissection du corps. Une image bien différente de celle montrée dans les séries ou les films où le médecin légiste travaille souvent seul.

«Entre médecins, nous discutons de nos expertises, de nos interprétations. Nous avons aussi un assistant qui nous prépare le corps, les instruments. Il y a aussi un représentant de la police. En Allemagne, c’est une obligation légale d’avoir deux médecins pendant une autopsie. En revanche, aux États-Unis, un seul médecin fait parfois tout», précise le Dr Thorsten Schwark.

Après cet examen, les spécialistes vont rédiger le fameux rapport d’expertise qui permettra d’expliciter les causes du décès de l’individu autopsié. «La question que nous nous posons est de savoir si la mort a été naturelle ou non, s’il s’agit d’un accident, d’un suicide ou encore si un tiers est intervenu», indique le médecin légiste.

Alors, si dans certains cas, les réponses sont évidentes, parfois l’examen du corps seul ne suffit pas. Ainsi, dans le cadre d’une enquête, d’autres procédures peuvent être enclenchées par les instances judiciaires. Cela peut être des analyses en toxicologie, en chimie et même une identification génétique.

«On peut retrouver une personne méconnaissable ou non identifiée. Là, nous allons faire une expertise ADN. Cela reste assez rare puisque sur les cinq dernières années, nous avons eu seulement trois ou quatre cas qui sont restés non identifiés malgré tous nos efforts», indique Thorsten Schwark. Ce rapport d’expertise des médecins légistes peut être présenté, dans certains cas, devant un tribunal. Et ce n’est pas forcément dans le contexte d’une affaire d’homicide.

«Cela peut être dans le cadre d’un accident de la route dans lequel la responsabilité d’une personne est engagée. (…) Notre rapport est parfois décisif, car selon les éléments, il peut clôturer ou faire avancer une enquête», souligne Martine Schaul, responsable du service médico-judiciaire au LNS.

Examen d’un corps sur les scènes de crime

Au cours de certaines affaires, les médecins légistes doivent parfois se déplacer hors du laboratoire. Par exemple, pour se rendre sur le lieu d’une scène de crime. «C’est quelque chose de plutôt rare, contrairement à ce que l’on voit dans les films ou séries. Quand cela se produit, c’est pour comprendre l’environnement dans lequel s’est passé l’homicide, les détails sur place et aussi déterminer l’heure du décès que nous arrivons à obtenir grâce à la température et à l’état global du corps. Mais nous ne sommes ni des détectives ni des policiers, nous apportons simplement une expertise en restant neutre», rappelle le Dr Thorsten Schwark.

Une partie du puzzle qui permettra d’élucider en partie une affaire, mais d’autres éléments sont aussi déterminants. «Par exemple, pour un homicide, les autres expertises, comme la balistique, le travail des policiers pendant les interrogatoires, les vidéosurveillances, sont aussi cruciaux», ajoute le Dr Martine Schaul.

Les «outils» du médecin légiste.

De plus, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les médecins légistes peuvent être également sollicités pour réaliser des examens dans des centres hospitaliers. «Cela peut être dans des cas d’agressions, de viols par exemple. Parfois, le magistrat demande qu’une personne soit examinée par nous. Cela peut être utile dans une enquête. Car un clinicien va plutôt se focaliser sur ce qu’il doit traiter et va peut-être négliger de petites blessures qui peuvent donner des indications cruciales sur ce qui s’est passé», explique la médecin légiste luxembourgeoise.

L’année dernière, le service médico-judiciaire du LNS a réalisé 141 autopsies. Un chiffre en légère augmentation depuis 2023. «Sur les dernières années, nous avons pu constater une tendance à la hausse en ce qui concerne les autopsies, avec une exception pour 2020 où les chiffres étaient plus bas. L’une des explications de cette tendance est l’augmentation de la population du Luxembourg», conclut le Dr Thorsten Schwark.

Les dix ans de la médecine légale

Cette année, le Laboratoire national de santé a célébré les dix ans de l’existence de son département de médecine légale au Luxembourg. Si le LNS assurait déjà des tâches de médecine légale dès sa création en 1897, un service dédié à cette pratique fut créé en 2014.

Avant cette date, les autopsies étaient réalisées par des médecins venant de l’étranger. «Évidemment, ce sont eux qui se déplaçaient et non les corps», précise le Dr Martine Schaul.

Un métier passionnant et parfois éprouvant

Thorsten Schwark et Martine Schaul, tous deux médecins légistes, ont été touchés par certaines histoires depuis le début de leur carrière.

Thorsten Schwark et Martine Schaul sont tous deux médecins légistes au Laboratoire national de santé. (Photo : Alain Rischard)

Les deux médecins légistes sont arrivés la même année au Luxembourg, en 2017, au LNS. Et tous deux ont été également formés en Allemagne. Thorsten Schwark, originaire du nord de l’Allemagne, a réalisé toute sa spécialisation dans la ville de Kiel. Un parcours de plus de dix ans, qui, après les années d’études en médecine, l’a amené ensuite à se spécialiser dans la médecine légale. Alors pourquoi a-t-il fait le choix de cette profession si particulière ? «Au départ, je voulais devenir chirurgien. Après avoir été en contact avec la médecine légale durant mes années de médecine, j’ai tout de suite voulu m’y mettre (…). C’est un métier à la fois excitant et un peu effrayant», confie-t-il.

Martine Schaul, originaire du Luxembourg, a découvert, quant à elle, la médecine légale à «la télévision et dans les livres». Elle aussi a été fascinée très vite par ce métier interdisciplinaire. «On travaille avec d’autres acteurs, des spécialistes comme les radiologues ou les pédiatres. On peut faire de la recherche, donner des cours, c’est très varié», explique-t-elle.

«Des morts injustes»

Derrière ce métier passionnant, les deux médecins légistes peuvent parfois se confronter à des histoires assez difficiles. Ce fut le cas pour Martine Schaul. «Je me souviens d’une histoire qui concernait une agression très violente à l’encontre de deux jeunes filles. Elles étaient un peu plus âgées que moi, mais à l’époque je m’étais identifiée à elles. Je devais me rendre à l’hôpital pour faire une expertise. Elles étaient dans un état très sérieux. Je me suis dit qu’à cause de cette agression, leur vie ne serait plus jamais la même. C’était de la violence gratuite et je trouvais cela choquant. Dans notre travail, malheureusement, nous voyons très souvent des morts injustes», confie la médecin légiste.

Pour Thorsten Schwark, l’autopsie d’un enfant est toujours quelque chose d’éprouvant à réaliser. «J’ai deux enfants et quand ils étaient petits, c’était plus compliqué pour moi de faire des autopsies d’enfants. Même si parfois certaines situations peuvent être éprouvantes, nous essayons toujours d’avoir une certaine distance.»