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Médecins du Monde : «Nous avons provoqué le débat»


La campagne a délié les langues, selon Sylvie Martin. «Des gens appelaient pour raconter leur histoire, dire que les fins de mois étaient extrêmement difficiles. Ils avaient besoin de parler de leur détresse.» (Photo : Didier Sylvestre)

Après sa campagne-choc «Focus Luxembourg», Médecins du monde poursuit son combat pour que les soins de santé soient vraiment accessibles à tous.

Mercredi, Médecins du monde (MdM) présentait devant la presse luxembourgeoise le bilan de sa campagne «Focus Luxembourg». Pour Sylvie Martin, chargée de direction, et le Dr Jean Bottu, le président de MdM au Grand-Duché, il apparaît que la pauvreté existe bel et bien dans le pays. À ce titre, la branche luxembourgeoise de l’ONG plaide pour un système de soins de santé plus inclusif.

Médecins du monde, c’est certes soigner les gens, mais c’est aussi témoigner que tout le monde, même au Luxembourg, n’a pas accès aux soins.» Pour Sylvie Martin, chargée de direction de l’ONG Médecins du monde (MdM), le bilan de la campagne «Focus Luxembourg» qui a été menée du 25 juillet au 7 août est révélateur.

Non, au Luxembourg, «il n’y a pas que des riches». Oui, «des gens vivent dans la précarité». Jusqu’à ne pas pouvoir se soigner. Car «bien qu’il soit le deuxième pays le plus riche au monde, bien que le revenu moyen brut soit de 5 370 euros, bien qu’il soit le deuxième centre pour les fonds d’investissement au monde (NDLR : les trois symboles utilisés pendant la campagne), il y a encore des personnes sur le sol luxembourgeois qui refusent d’aller chez le médecin pour ne pas avoir à avancer les frais. Une affiliation à la CNS coûte mensuellement 107,58 euros. Ce n’est malheureusement pas à la portée de tout le monde.»

La richesse n’est donc pas partagée avec tous. La pauvreté, elle, peut être connue des services sociaux ou cachée. Un sujet tabou dans le pays. Et Sylvie Martin n’en démord pas. «Les Luxembourgeois sont particulièrement sensibles face à ce type de problème. La campagne a parfois choqué, ça a fait polémique et ce n’était pas notre but, mais cela a eu de bonnes conséquences. Nous avons provoqué le débat, gagné de nouveaux donateurs.»

La campagne a délié les langues également. «J’ai été moi-même confrontée à des appels qui m’ont bouleversée. Des gens appelaient pour raconter leur histoire, dire que les fins de mois étaient extrêmement difficiles. Ils avaient besoin de parler de leur détresse», ajoute-t-elle.

Des recommandations claires

Pour venir à bout de la précarité au Luxembourg et garantir des soins à tous, MdM a fait une liste de recommandations très claires. Sont souhaités : la mise en place d’un système de protection sociale inclusif permettant un accès complet aux soins de santé primaires pour toute personne vivant au Luxembourg, sans tenir compte de sa domiciliation, l’accès complet aux soins de santé pour les enfants de migrants en situation irrégulière, et notamment à l’accès à la vaccination de base, l’amélioration de l’accès au tiers-payant social dans les offices sociaux des communes, la généralisation du tiers-payant pour les personnes affiliées à la CNS. Pour le Dr Jean Bottu, «il est également impératif d’encourager les professionnels de la santé à donner des soins à tous les patients, indépendamment de leur statut administratif».

Mais pour Sylvie Martin comme pour Jean Bottu, «l’heure est à l’optimisme». Des discussions informelles seraient en cours avec les acteurs concernés et «la CNS et MdM partagent les mêmes valeurs, la même volonté de soigner tout le monde».

Car le problème ne réside pas dans les capacités de financement des soins pour tous : «La CNS a annoncé en janvier dernier un excédent de 181,7 millions d’euros en 2016, et 338 millions d’euros cumulés», explique Sylvie Martin, qui ajoute : «La société a les moyens de prendre en charge toutes les personnes qui vivent au Luxembourg.» Si ce n’est pas le cas, c’est en raison d’«un problème administratif».

Soumis à la barrière administrative, à la marginalisation ou à la honte (et souvent les trois à la fois), ceux qui ne se soignent pas au Luxembourg sont nombreux. Sylvie Martin et Jean Bottu l’affirment : «Les salles d’attente de MdM à Esch-sur-Alzette et Bonnevoie ne désemplissent pas.» Triste constat. Pour eux, la véritable solution consisterait en une couverture universelle. En attendant que des discussions plus formelles soient menées, il faut, selon Sylvie Martin, «communiquer davantage sur cette cause juste, et éthique».
Une nouvelle campagne de sensibilisation de MdM est attendue pour la fin de l’année.

Sarah Melis