Maxime Chanot sort du silence. Pour confirmer tout ce qu’il a raconté dans ses communiqués sur Luc Holtz l’entraîneur, mais dire qu’il «estime» Luc Holtz l’homme.
La nuit est déjà tombée sur Los Angeles quand, à l’autre bout de la planète, au Luxembourg, à 7 h du matin, s’engage une longue interview avec Maxime Chanot. Le défenseur est au centre de toutes les attentions depuis deux communiqués coup sur coup qui l’ont mis à l’écart de la sélection nationale après qu’il eut taxé le sélectionneur d’amateurisme dans sa gestion des Rout Léiwen.
Ce dernier, joint par nos soins et averti que son désormais ex-défenseur central tenait à mettre définitivement les points sur les i et qu’il était bien évidemment nommément évoqué dans l’interview, a préféré décliner son droit de réponse : «Merci, mais ce n’est pas important. Je connais la vérité et j’ai la conscience tranquille. Pas besoin d’en dire plus.» Chanot, lui, en dit plus.
Pourquoi vouloir parler alors que l’essentiel semble avoir été dit dans vos communiqués?
Maxime Chanot : Je vais être honnête, j’ai assez d’expérience pour savoir que cela n’améliorera pas ni ne fera avancer la situation. Et ce n’est absolument pas un règlement de comptes. Mais après la conférence de presse que le sélectionneur a donnée (NDLR : jeudi dernier, pour l’annonce de la liste) dans laquelle ma parole a été mise en doute, je ne peux pas me taire.
J’ai travaillé dur pour en arriver là et ma personne est remise en cause. Je ne peux pas accepter son scénario, celui qu’il vous a donné. J’ai de l’estime pour Luc Holtz, mais il a toujours essayé de créer quelque chose d’opaque autour de cette sélection et, à un moment, il fallait bien que cela finisse par sortir.
Parce que cette équipe appartient au pays et que les gens ont le droit de savoir. Il n’est pas normal qu’il y ait autant d’histoires autour de ce groupe. Je crois que des vérités doivent être dites. Et je devais me justifier par rapport à la raison pour laquelle j’ai qualifié sa gestion d’amateure.
Ce que j’ai, c’est une blessure qui, en général, nécessite une opération
Quelle est votre version de l’affaire bulgare, puisque le sélectionneur parle de désertion?
Est-ce que j’ai rêvé ou est-ce que j’ai entendu Luc Holtz, en conférence de presse – en tout cas je l’ai lu –, avant le match contre le Bélarus, dire que j’étais blessé au genou? À partir du moment où il donne une information à la presse, mais qu’il revient sur sa parole un mois plus tard, je me sens fondé à vous dire que dans le monde professionnel, ce serait inacceptable.
Il vous a dit, grosso modo : « j’ai menti ». Mais c’est de l’amateurisme pur et simple, non? C’est la première fois que je vois un coach mentir et le dire. Pour moi, il y a faute professionnelle et dans des clubs pros, une telle attitude provoquerait une enquête interne.
Comment les médias peuvent-ils suivre un entraîneur qui change de version de la sorte, en fonction de ses humeurs? J’avoue, dans le groupe, quand on voit certaines choses qu’il a pu dire, ça nous fait rire, mais en vrai, ça n’est pas drôle : où est la crédibilité qu’on demande dans le monde professionnel? Tu n’as pas le droit de faire ça, dans notre milieu!
Alors voilà ma version, la vraie : dimanche 6 octobre, je me blesse au genou contre Kansas City. D’ailleurs je sors à l’heure de jeu. Le ménisque est touché. J’obtiens le droit auprès du sélectionneur de me soigner un peu avant de venir, sachant que c’est une blessure qui nécessite en règle générale une opération. Je viens quand même à Plovdiv, en pensant que cinq jours peuvent permettre de me remettre d’aplomb. Je fais 18 heures d’avion, je montre les examens au staff médical, qui confirme le problème.
C’est là que les versions divergent.
Oui, on a dit que je ne voulais pas être remplaçant. N’importe quoi. Cela fait vingt ans que je fréquente ce niveau et j’étais tout à fait prêt à le faire. C’est normal. Quel joueur exige d’être sur le terrain en arrivant la veille d’un match international après un tel voyage et en étant blessé? J’avais accepté la décision.
Mais je sais que trois jours plus tard, contre le Bélarus, je ne serai toujours pas en mesure de jouer, alors je décide de rentrer. Il faut bien comprendre qu’à Los Angeles, il y a cinq défenseurs internationaux. Moi, je m’y suis fait ma place de titulaire et je ne peux pas risquer de la perdre pour rester cinq jours en Europe en sachant très bien que je ne jouerai pas! Le sélectionneur l’a mal pris et il a pensé à lui et à son ego avant de penser à son joueur.
Après la Belgique, Holtz m’a dit qu’il voulait arrêter et c’est moi qui ai dû le remotiver
Est-il possible que cela soit simplement une divergence de lecture qui aurait pu être… réparable?
J’ai fait beaucoup de concessions. Moi, en juin, j’ai traversé l’Atlantique pour deux matches amicaux alors que j’étais fraîchement arrivé dans mon nouveau club et que le championnat ne s’arrête pas, tandis que d’autres ont pris des vacances pour se reposer (NDLR : il fait référence à Leandro Barreiro, qui a préféré faire l’impasse sur les amicaux contre la France et la Belgique).
Mais on dirait que dans ce groupe, il y a des différences de jugement et de punition entre les joueurs. Il n’y a pas de fil rouge. Il n’y a qu’à voir les autorisations pour arriver en stage. C’est lui qui les délivre et après tu t’étonnes que le groupe se plaigne. Certains arrivent le lundi, d’autres le mardi, d’autres encore le mercredi… Pourquoi? On ne sait pas et c’est un système en inadéquation avec le monde pro. C’est aussi en cela que je parle de gestion amateure. Tu peux gérer un groupe de U16 comme ça, parce qu’ils n’ont pas d’ego. Mais pas une sélection nationale.
Toutes les histoires de ces derniers mois, les frères Thill, Gerson Rodrigues, moi… c’est la même chose. Tiens, c’est comme le jour où il vient me demander de l’aider à gérer un joueur parce qu’il n’y arrive pas. Mais je suis joueur de foot, moi, pas son adjoint! Prenons l’exemple Gerson Rodrigues. C’est un gars super, toujours le sourire, toujours bienveillant. Tout le monde l’aime.
C’est le meilleur joueur de ton équipe, tu sais que tu as besoin de lui et tu le gères comme ça? Une fois titulaire, une fois sur le banc, une fois appelé, l’autre pas? Holtz a de la chance qu’il soit très attaché à la sélection : je connais beaucoup de garçons qui auraient claqué la porte. Et la vérité, c’est que sans lui, tu ne fais jamais 17 points lors de la dernière campagne. Si tout ça sort maintenant, si cela pète depuis six mois, c’est parce que les résultats ne suivent plus et qu’on se retrouve à deux matches de retourner jouer contre le Liechtenstein et Saint-Marin.
Après, je vous le dis direct : on ne va pas descendre! Quand tu vois le groupe talentueux dont on dispose et quand tu regardes les effectifs en face, ça devrait le faire. En tout cas, c’est ce que je souhaite à tout ce groupe pour qui j’ai une profonde estime.
Vous défendez un point de vue qu’aucun autre joueur n’a encore exprimé à haute voix. Êtes-vous sûr que certains de vos coéquipiers vous suivraient dans votre appréciation? Laurent Jans a battu votre défense en brèche dans une interview parue la semaine dernière.
Ce que je vous dis, c’est important que cela soit dit, parce qu’au Luxembourg, les gens qui connaissent les joueurs de la sélection vous le répètent souvent que c’est le bordel à l’intérieur. Alors évidemment, moi, avec mes plus de 500 matches professionnels, bien entendu que je peux parler plus facilement. Laurent, qui est quelqu’un que j’apprécie énormément, avec tout le respect que je lui dois, évolue aujourd’hui dans un championnat qui le voit affronter les espoirs des grands clubs belges.
Bien entendu qu’il va défendre la position du sélectionneur : c’est sa seule chance en ce moment de disputer des matches de ce niveau! Mais le rôle d’un capitaine, que j’ai souvent tenu, c’est d’être le relais entre le coach et ses coéquipiers. Pas de donner une interview avant même de m’appeler. Comment on peut faire ce travail quand on n’a pas le point de vue du joueur? Il n’a pas trouvé mon numéro de téléphone pour m’appeler, durant le mois qui s’est écoulé?
Il l’avait quand il m’a demandé si je ne pouvais pas l’aider à démarcher des clubs aux États-Unis! J’ai appelé des clubs pour lui. J’ai passé beaucoup de coups de fil à mes contacts, mais cela n’a rien donné : la D3 allemande n’est pas vraiment prise au sérieux aux États-Unis. En tout cas, d’autres joueurs, eux, m’ont appelé.
Non, la sélection, je ne dis pas que c’est fini pour moi
Et Paul Philipp? L’avez-vous eu en ligne, alors qu’on a pu se demander, à un moment, si la fédération était aussi incriminée dans votre premier communiqué?
La fédération, je pense l’avoir dédouanée dans mon second communiqué. Je trouve qu’elle fait un travail admirable, surtout quand on voit la vitesse à laquelle nous, les joueurs, on a évolué. Même pour nous, c’était surprenant. Alors pour la FLF… Des joueurs, vous en avez désormais au Benfica, au Spartak Moscou, à Sankt Pauli, à Los Angeles… ou des joueurs qui jouent l’Europe tous les ans comme Moris à l’Union ou Martins à Vienne.
Quand je vois l’organisation – que Holtz qualifie pourtant souvent d’amateure –, c’est très performant et la cellule médicale est au top au vu des moyens. Paul Philipp, j’ai un immense respect pour lui. Et ce n’est pas son rôle de m’appeler. Mais peut-être qu’à un moment, il devrait se dire que quelque chose cloche.
Avez-vous l’impression que le sort en est jeté? Que le sélectionneur et vous êtes irréconciliables?
Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Ce que je constate, c’est que j’ai passé quinze ans avec différents entraîneurs comme Bryan Robson, Patrick Vieira, Domènec Torrent… à travailler sur les détails. Et là, chez nous, chacun fait un peu ce qu’il veut.
Si tu compares tactiquement, arriver en sélection et ne pas avoir de consignes précises, c’est parfois surprenant, même si on a appris à s’adapter. Vous avez vu une différence tactique entre le moment où on joue le Liechtenstein et celui où on affronte le Portugal à l’extérieur? Non. Tu joues de la même manière. Nos meilleurs résultats doivent surtout aux coups d’éclat de Danel Sinani ou Gerson Rodrigues devant et aux arrêts de Moris derrière.
Alors, si en plus, maintenant que ça ne va pas, c’est pour faire la même chose, mais à cinq derrière, mettre le bus, en contradiction complète avec ce qui a été prôné depuis dix ans, je dis « bravo Luc, mais non merci ». Dans ce cas, il y a de très bons défenseurs en BGL Ligue qui peuvent très bien faire le travail et je ne suis pas sûr d’être encore utile. J’aurais l’impression de régresser.
Je me mets à la place de son adjoint, Mario Mutsch, qui fait des résultats fantastiques chez les jeunes, met en place des principes de jeu, qui a une vraie vision du foot moderne et qui, une fois chez les A, doit subir la façon dont on prépare les matches. Cela ne doit pas être facile.
Et puis, il n’y a pas que ça. C’est quand même hallucinant, mais j’ai de l’estime pour Holtz à un tel point qu’après la Belgique, en juin, alors qu’il vient de prolonger son contrat, je prends encore le temps de l’écouter et de le remotiver quand il vient me voir – comme il l’a fait avec deux ou trois autres joueurs – pour m’annoncer qu’il veut arrêter, qu’il va quitter son poste parce que l’équipe n’a pas assez de qualité et qu’elle ne peut plus évoluer.
Ce jour-là, il a fallu que je sois à son écoute, que je le rassure, que je lui dise qu’on allait repartir sur un nouveau cycle. Mais ce n’est pas mon rôle! Je pense aussi lui avoir rendu quelques services. C’est moi qui lui ai ouvert les portes à Courtrai (NDLR : où il a joué de 2013 à 2016) quand il manquait de contacts pour passer son diplôme UEFA. À une époque, cela l’a bien aidé. Tout ça pour entendre ce qu’il dit de moi dans sa conférence de presse. Alors que je n’ai pas hésité à l’aider quand il en avait besoin. Je garde de l’estime pour lui et je ne suis pas énervé après lui.
Mais cette interview équivaut-elle à une annonce de retraite internationale? Ou si jamais la FLF venait à changer de sélectionneur…?
C’est à Luc Holtz qu’il faudrait poser la question. J’ai 35 ans et je suis titulaire et compétitif dans un club de haut niveau. Même si c’est une charge physique et mentale importante qu’il faut prendre en compte. J’ai toujours été très fier de jouer pour l’équipe nationale et c’est encore le cas. Je ne dis pas que c’est fini. Et d’ailleurs, je n’arrête pas.
Mais en attendant, je remercie la sélection pour ces onze belles années. Je leur souhaite plein de belles choses et à Holtz le premier. Il s’est réfugié derrière le fait que j’ai attaqué son staff – que je trouve d’ailleurs performant et que je n’ai jamais critiqué– et que cela constituait une ligne rouge.
C’est lui qui dit que je l’ai franchie alors que je ne l’ai jamais fait. C’est ironique. Mais je n’ai attaqué personne d’autre que lui et sa gestion personnelle de mon cas et du groupe en général depuis quelques années déjà. Je ne suis absolument pas fâché avec lui. Je peux faire la différence entre l’homme et l’entraîneur.