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[Semi-marathon] Marco Jäger : «Pour Julien Wanders, ce record d’Europe n’est qu’une étape…»


« Julien réalise le 38e meilleur chrono sur semi de tous les temps. S'il gagne encore 20 secondes, il sera dans le top 20, il entrera dans le gotha mondial au milieu de tous ces Africains », se réjouit son coach Marco Jäger. (Photo © Track and Life)

Vendredi, 18 h. Le téléphone sonne. « Bonsoir, mon cher Monsieur! C’est Marco Jäger, excusez-moi de vous rappeler seulement maintenant. Mais comme vous pouvez l’imaginer, j’ai eu pas mal de sollicitations…» Au bout du fil, la voix du coach est enjouée. Normal, son poulain, le coureur suisse Julien Wanders (22 ans), a pulvérisé dans la matinée le record d’Europe de Mo Farah de 19 secondes, en terminant 4e du semi-marathon de Ras al-Khaimah (Émirats arabes unis) en 59’13’’.

Quelles sont vos premières impressions ?
Marco Jäger (coach de Julien Wanders) : (Il souffle) Écoutez, c’est la satisfaction qui prévaut. Je suis hyper content, c’est que du bonheur ce qui nous arrive ! J’ai eu Julien au téléphone assez vite après la course et on s’est félicités mutuellement ! Ben surtout, c’est moi qui l’ai félicité. Car c’est LUI qui court, et l’exploit, c’est LUI qu’il l’a réalisé ! D’autant que je dois vous l’avouer, je suis quand même un peu bluffé par la course de Julien, car c’était pas évident.

Que voulez-vous dire par là?
Les jours précédents, Julien n’était pas bien, a eu un petit problème de digestion, donc il a dû vomir mercredi soir et le lendemain ça continuait, il a eu des diarrhées. Mais heureusement, ça s’est arrêté à temps. En tout cas, moi, avant la course, je n’étais pas très confiant – apparemment, lui, très. J’avais peur que les 10 premiers kilomètres partent beaucoup, beaucoup trop vite… Heureusement que les pacemakers (NDLR : lièvres) étaient un peu engourdis, je crois que ça l’a servi, même si Julien l’a regretté après coup.

Et qu’est-ce que vous vous êtes dit au téléphone ?
On s’est congratulés, mais vous savez rapidement, avec Julien, on a fait l’analyse de la course, on a confronté son vécu (comment il a ressenti ça, comment ça s’est passé sur la fin…) avec mes impressions. Bref, assez vite, on est entré dans le vif du sujet. On a le sentiment que ce semi-marathon à RAK, c’était extrêmement bien, mais que la prochaine fois, ça peut aller encore plus vite ! En gros, c’est toujours cette vision tournée vers l’avenir…

Et cette course, alors ?
Comme je vous l’ai dit auparavant, j’avais la crainte des premiers 10 (kilomètres). Parce que si vous partez un peu trop vite, que vous vous trompez de registre, vous le payez cash à ce niveau-là. Mais franchement, quand j’ai vu que Julien était vraiment là, qu’il était relâché, j’ai été rassuré. Il était derrière, devant, il faisait un peu ce qu’il voulait. Il a aussi ‘poussé’ pour ça s’accélère. À partir du 10e kilomètre, le tempo a brutalement changé (13’45’’ sur le 5 km entre le 10 et le 15e kilomètre). C’était un peu un fartlek (NDLR : jeu de vitesses)… Ils partaient sur un kilomètre vite, un kilomètre lent, m’a dit Julien. Y avait des kilomètres en 2’37’’-2’38’’ et puis ça revenait sur du 2’48’’. Donc il y avait cette espèce de yo-yo. Et, au téléphone, Julien regrettait qu’au kilomètre 13, dans un virage, il n’ait pas pu suivre les deux gars devant (NDLR : Hadis et Kiprop). Mais, faut l’avouer, pour Julien, ce semi-marathon de RAK, c’était une course assez optimale, quasi parfaite.

Quelle importance accorder à ce nouveau record d’Europe ?
Pour nous, ce record c’est comme lorsque qu’il a réalisé 27′ au 10 kilomètres, on se dit qu’on y est. Mais on est conscient que ce n’est qu’une étape… Mo Farah a déjà couru dans une autre course en 59’22’’ (NDLR : en octobre 2015, mais le record n’a pas été homologué en raison d’un dénivelé négatif trop important). Objectivement parlant, Mo Farah vaut 58′ ‘haut’, il est certainement plus rapide que ça, mais ça n’a jamais été un coureur qui cherchait le temps, mais la gagne. Aujourd’hui, avec 59 ‘bas’, Julien réalise le 38e meilleur chrono sur semi de tous les temps. S’il gagne encore 20 secondes, il sera dans le top 20, il entrera dans le gotha mondial au milieu de tous ces Africains. Rendez-vous compte ce que ça représente pour un Européen ! Et je suis convaincu, ça ne va pas s’arrêter là…

Quelle est le programme de Julien ces prochaines semaines ?
Là, Julien rentre en Suisse, précisément à Genève, pour se ressourcer en famille. Voir son père André, Bénédicte, sa maman, et ses amis du Stade Genève. Bref, pour récupérer un peu et en profiter pour faire quelques soins. La semaine prochaine, il court à Monaco le 5 km Herculis. C’est une épreuve sympa, c’est peut-être une nouvelle voie qu’ouvre la Principauté car elle permet potentiellement aux fondeurs et aux demi-fondeurs de s’affronter.

On parle aussi de tentative de record du monde sur le Rocher ?
Vous savez, la course à pied, ça ne se résume pas qu’à des records ! Moi, je veux que Julien aille à Monaco avant tout pour se faire plaisir. Certes, il y aura une concurrence de taille là-bas, mais le but c’est qu’il travaille et prenne un bain de foule après ces mois de ‘galère’ à Iten.

Les Mondiaux sur piste de Doha (29 septembre-6 octobre) représentent-ils un vrai objectif?
Oui, les Mondiaux constituent un vrai objectif pour Julien. Mais on va déjà discuter ces prochaines semaines pour voir s’il refait une course sur route ou s’il se concentre désormais sur sa saison sur piste.  Mais une chose est sûre, les Mondiaux, il ne veut pas y aller pour faire de la figuration. Faire un top 6-top 8, sur 5 000 et 10 000 m, ça serait le minimum ! Après, la piste c’est différent de la route, surtout lors des championnats, où on assiste davantage à des courses tactiques qu’au train. Et Julien le sait, il doit accomplir des progrès de ce côté-là.

Et si ça ne marche pas, comme en août dernier aux championnats d’Europe de Berlin ?
Honnêtement, on verra. Mais, pour l’instant, on n’y pense pas. Julien veut prouver qu’il est capable de grandes choses également sur piste. Après, ce que je remarque, c’est que plus la distance est longue, plus il est proche des meilleurs… Donc son avenir semble tout tracé !

Recueilli par Ismaël Bouchafra-Hennequin