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Marc Wagener : «Le débat s’est rompu de manière abrupte»


«Les délégués de personnel doivent pouvoir négocier un accord d’entreprise général, qui s’inspire des conventions collectives, mais sans devoir y associer un syndicat», développe Marc Wagener. (photo Julien Garroy)

Marc Wagener, le directeur de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), relativise les lourdes accusations formulées par le camp syndical. L’intention du patronat ne serait pas de remettre en cause des acquis sociaux, mais de moderniser le droit du travail.

Pas plus tard que samedi, le LCGB, avec le plein soutien de l’OGBL, a une nouvelle fois attaqué de front le gouvernement, mais aussi le patronat. L’UEL et son directeur Marc Wagener s’attendent à ce qu’un «dialogue constructif et respectueux» soit enfin rétabli, y compris sur les conventions collectives et le temps du travail.

Le Statec a annoncé que la croissance en 2024 allait se limiter à 0,5 %. Pour 2025, un rebond à 2,5 % est mis en perspective. Au vu de ces chiffres, comment abordez-vous cette année ?

Marc Wagener : Si l’on tient compte de la récession de 1,1 % en 2023 et de la croissance limitée à 0,5 % l’an dernier, le résultat cumulé est même légèrement négatif sur deux ans. On est loin des 6 % générés en moyenne par le passé sur deux ans. Il nous manque ainsi des milliards d’euros en valeur ajoutée et des dizaines de milliers d’emplois qui n’ont pas été créés.

Il s’agit clairement d’une rupture. Nous préférons rester prudents, même si les prévisions des institutions internationales sont plus optimistes et que les indicateurs de confiance augmentent légèrement.

Comment expliquer cette évolution plus mitigée ?

La création d’emplois, qui a perdu en vitesse, a toujours été l’élément qui est venu doper le PIB. On dépend aussi fortement du libre-échange, qui est également à la traîne. Rien que l’industrie a connu une baisse d’activité également en 2024. La construction a aussi souffert.

Avec une normalisation de la situation, on assistera à une relance mécanique, mais, pour atteindre les 2,5 %, il faudra aussi un peu plus que de la chance. La mise en œuvre de certaines réformes sera aussi bénéfique.

Auxquelles songez-vous ?

Le paquet de soulagement fiscal profite déjà aux entreprises. Il s’agit d’un premier bon signal, même s’il reste encore de la marge sur l’imposition des entreprises. Une modernisation du droit du travail peut également constituer une impulsion de croissance. Sans oublier la fameuse simplification administrative. Plus globalement, la productivité doit à nouveau augmenter.

Dans ce contexte, nous saluons la boussole de l’UE pour la compétitivité, qui prévoit notamment la simplification de certaines normes et obligations en matière de durabilité et de responsabilité des entreprises.

Dans quelle mesure les droits de douane que Donald Trump menace d’imposer à l’UE risquent-ils d’impacter l’économie luxembourgeoise ?

Donald Trump reste assez imprévisible. Une taxation de 10 ou 15 % pourrait toutefois avoir des effets très néfastes, et s’ajouter aux prix de l’énergie non compétitifs notamment. Le Luxembourg risque d’ailleurs être plus lourdement impacté que d’autres pays, vu son exposition internationale.

Notre industrie est déjà en nette perte de vitesse. D’autres secteurs souffrent aussi des normes que seules les entreprises européennes doivent respecter. On compte aussi bon nombre d’entreprises américaines misant pleinement sur les exportations. Le grand volume d’échanges de services avec les États-Unis est un autre facteur majeur. Une guerre commerciale ne fera que des perdants.

À l’échelle nationale, le patronat cible de manière renforcée l’absentéisme des salariés. La ministre Martine Deprez a déjà émis une fin de non-recevoir à la revendication d’introduire un jour de carence. S’agit-il d’un revers ?

Elle a annoncé la mise en place d’un groupe de travail. On aurait bien entendu souhaité que ces discussions soient abordées de façon ouverte. Néanmoins, l’UEL ne réclame pas en priorité un jour de carence, mais souhaite mener une discussion objective. La ministre vient d’indiquer qu’entre 10 et 14 % des salariés en maladie sont aptes à travailler après leur passage au contrôle médical. Le chiffre réel pourrait être bien plus important, car la simple convocation au contrôle médical peut inciter de nombreuses personnes à retrouver leur lieu de travail.

Une enquête que nous avons menée dans un millier d’entreprises indique que les absences pour maladie sont trois fois plus nombreuses le lundi que le mardi. Il est donc d’autant plus important de renforcer le contrôle médical. L’absentéisme entraîne une désorganisation dans les entreprises qui représente un important coût. Il est dans l’intérêt de tout le monde, et notamment aussi des salariés, de mettre fin aux abus. Une participation financière des assurés pourrait y contribuer.

Le conflit social avec le camp syndical repose à la base sur une remise en question de son droit exclusif à négocier des conventions collectives. L’UEL partage le besoin d’adapter le cadre légal. Quelles sont vos propositions ?

Le problème est que les syndicats et le patronat sont actuellement obligés de trouver un accord global sur un ensemble de 15 points dans le cadre des conventions collectives de travail. Faut-il en maintenir la totalité? L’idée est de défricher ce cadre restrictif, sans remettre en question la raison d’être des syndicats ou des conventions collectives.

À quoi pourrait ressembler ce régime plus souple ?

Les syndicats sont fortement enracinés dans certains secteurs. Dans ces entreprises, le premier outil reste la convention collective. Par contre, il existe bon nombre de sociétés et de secteurs où il n’existe pas de culture syndicale. L’UEL est d’avis que les délégués de personnel doivent pouvoir négocier un accord d’entreprise général, qui s’inspire des conventions collectives, mais sans devoir y associer un syndicat.

Nos propositions ne constituent pas une attaque frontale contre quelqu’un. Il ne peut pas être question d’apartheid social. Il n’existe pas de conspiration entre le patronat et le gouvernement. Les trois instruments que sont le droit du travail, les conventions collectives et les accords d’entreprise doivent permettre à chacun de trouver le cadre de gestion approprié.

La libéralisation des heures d’ouverture va, dans les faits, changer très peu de choses

Les syndicats estiment que ces délégués neutres ne disposent ni de l’indépendance ni de l’expertise nécessaires pour négocier des accords.

Il existe 9 500 délégués non syndiqués. On ne peut pas affirmer qu’ils soient tous opprimés par leur patron. Le principal défi pour 60 % de nos entreprises n’est pas d’abord le coût du travail ou l’index, mais d’attirer une main-d’œuvre qualifiée. Le rapport de force s’est complètement inversé. Les entreprises font tout pour fidéliser leurs employés. Un patron qui pense imposer sa loi comme dans les années 80 aura de grandes difficultés à trouver la main-d’œuvre dont il a besoin.

Le deuxième point de discorde majeur est la libéralisation partielle des heures d’ouverture dans le commerce. S’agit-il d’une demande réelle de la part des patrons concernés ?

Il ne s’agit pas d’une revendication majeure. Les commerces peuvent actuellement être ouverts de 6 h à 20 h, et une fois par semaine jusqu’à 21 h. À l’avenir, on passera de 5 h à 22 h. Mais quel commerce garde déjà ouvert ses portes jusqu’à 21 h ?

En semaine, le nouveau cadre légal va probablement changer très peu de choses, même s’il n’est pas à exclure que les grandes surfaces décident de rester ouvertes jusqu’à 22 h, par exemple autour des fêtes de fin d’année.

Qu’en est-il du travail dominical ?

Le dimanche, il est déjà possible d’ouvrir de 6 h à 13 h, mais la plupart des supermarchés se limitent à ouvrir de 9 h à 13 h, vu la limitation du travail à quatre heures, mais aussi, peut-être, en raison d’un manque de demande. Les clients ne vont pas faire leurs courses à 6 h, voire à 5 h si le nouveau régime est adopté.

Nous pensons vraiment que la libéralisation va, dans les faits, changer très peu de choses. De plus, 80 % de la surface commerciale du pays dispose déjà de dérogations pour ouvrir le dimanche, sans nécessairement y recourir. La nouvelle loi remplacera un puzzle de dérogations par une solution globale. Il est donc faux de parler d’une énorme libéralisation.

Le compromis proposé par le gouvernement est que cette libéralisation doit être ancrée dans des conventions collectives. Une frange du camp patronal fustige cette obligation. Pourquoi ?

Les conventions collectives ne sont pas le bon instrument pour s’accorder sur les heures d’ouverture. On recourt à un élément du droit du travail alors que cette disposition est réglée par la loi.

En outre, le programme de gouvernement s’engage à ce que « les horaires de travail puissent être négociés entre salariés et employeurs au sein des entreprises ou dans le cadre d’une convention collective« . Un des deux instruments serait désormais écarté.

Que vous inspire la table ronde sociale mise en perspective par le Premier ministre ?

Cette annonce nous a un peu surpris, car nous estimons qu’il existe suffisamment de plateformes où le dialogue social peut avoir lieu. Or, si cette table ronde peut servir à se regarder dans les yeux et renouer avec un dialogue constructif et respectueux, elle pourrait apporter quelque chose de positif. Je rappelle que notre intention n’a jamais été de marginaliser les syndicats.

Par contre, cette table ronde ne doit pas être un organe de décision. Je redoute toutefois que les syndicats s’attendent à des engagements formels du gouvernement, après avoir imposé leurs « lignes rouges«  et « vertes« . Ce n’est pas notre conception des choses. Il ne s’agit pas d’une tripartite.

La volonté de trouver des compromis est-elle présente ?

Il n’a pas encore été possible de mener un véritable dialogue sur nos positions. Le débat s’est rompu de manière abrupte en automne. Ces dernières semaines, on est resté en retrait afin de ne pas mettre encore de l’huile sur le feu. On s’attend désormais à la reprise des discussions, peut-être dans un format bipartite, où le gouvernement pourrait déceler les points où une négociation est possible et sur lesquels il devra trancher seul. Il est aussi à rappeler que les idées qui se trouvent sur la table n’émanent pas uniquement de l’UEL. Certains principes généraux sont inscrits dans le programme gouvernemental.

Quel serait l’impact de droits de douane imposés par Donald Trump? «Le Luxembourg risque être plus lourdement impacté que d’autres pays, vu son exposition internationale», répond Marc Wagener. Photo : julien garroy
Repères

État civil. Marc Wagener est né le 12 avril 1978. 

Formation. Il est titulaire d’un master en intégration et développement européens obtenu à la VUB (Bruxelles) et d’une licence en sciences commerciales et financières décrochée à HEC Liège.

Carrière. Marc Wagener débute en août 2003 sa carrière professionnelle dans le secteur pétrolier. Il occupe des postes à responsabilité auprès de trois sociétés.

Chambre de commerce. En juin 2009, Marc Wagener intègre la Chambre de commerce. Il gravit les échelons avant de prendre, en 2019, la fonction de COO (directeur des opérations) et économiste en chef.

UEL. En juin dernier, il devient directeur de l’Union des entreprises luxembourgeoises, en succession de Jean-Paul Olinger, nommé directeur de l’administration des Contributions directes.