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Manuel Correia (Strassen) : le sacerdoce d’un entraîneur amateur


«Je préfère être un vrai amateur, avec des joueurs amateurs. On sait tous, le soir, que l'on est fatigué de notre journée de boulot et on fait ce qu'il y a à faire...» (photo Luis Mangorrinha)

Qu’est-ce que c’est, aujourd’hui, être entraîneur amateur dans une BGL Ligue qui se pique de plus en plus d’encadrement professionnel? Un sacerdoce que nous a expliqué l’entraîneur de Strassen, aujourd’hui en mesure d’aller titiller les cadors pour une place européenne. Surtout s’il bat Pétange ce week-end.

Il y a un an et demi, vous refusiez de quitter votre job pour ne faire qu’entraîner à Pétange. Vous voilà aujourd’hui à la tête d’un Strassen qui ne perd plus (onze matches consécutifs sans défaite), devant le Titus au classement et qui postule pour l’Europe. Une petite revanche personnelle, pour vous qui revendiquez si souvent ce statut amateur?

Manuel Correia : Comment vous dire? Je comprends que plein de personnes disent aujourd’hui qu’il faille professionnaliser le métier. Mais le sérieux avec lequel les coaches amateurs font les choses, au Luxembourg, fait qu’on est autant, voire plus pros que les vrais pros. Alors ce qui me dérange plus, finalement, ce sont tous ces clubs qui veulent tout, tout de suite, ne réfléchissant qu’à très court terme. Et, au final, c’est toujours sur les coaches que l’on tape.

Aujourd’hui, vous dirigez un Strassen qui vole littéralement. À quel prix pour votre vie privée?

Honnêtement, je suis très, très fatigué. Mon travail d’électricien au Centre hospitalier Émile-Mayrisch est très prenant. La semaine dernière, avec le match de Coupe le mercredi soir, c’était une course contre la montre perpétuelle parce que j’étais d’astreinte. Je me suis arrangé avec mes collègues pour avoir quatre heures de coupure, je suis monté à Ettelbruck avant de repartir directement en voiture à l’issue de la séance de tirs au but, pour finir ma journée de travail à deux heures du matin. Et je devais me relever à 6h… et être le soir à l’entraînement.

C’est quoi, une journée type du coach amateur que vous êtes?

Se lever à 6h, embaucher à 7h, trente minutes à une heure de pause à la cafétéria. Finir à 16h. Aller chercher ma petite fille de 8 ans à Soleuvre. La ramener à la maison. Puis aller chercher la grande de 15 ans à la gare de Schifflange à 17h et l’amener à son entraînement de foot au Fola. Puis retourner à la maison pour attendre que la maman puisse prendre la relève et filer à mon entraînement. Se coucher à minuit. Et toujours, la veille, trouver le temps de préparer la séance d’entraînement.

Vous avez déjà échangé avec d’autres coaches sur ce rythme effréné?

Non, jamais. La plupart, si ce n’est tous, ne travaillent pas dans le même genre de milieu que moi. Le milieu hospitalier, c’est assez spécifique. La plupart des autres entraîneurs non pros de DN peuvent couper assez tôt. Et, une fois que c’est fini, n’ont plus de responsabilité. Moi, si je suis d’astreinte, je ne peux pas me séparer de mon téléphone, me permettre de l’oublier ou de ne pas répondre. Quelle que soit l’heure. Et si je ne peux pas dépanner à distance, je dois y aller. Les patients et leurs appareillages ne dépendent pas directement de moi, mais les téléphones, les télévisions, les ascenseurs, l’éclairage, si…

Vous avez parfois du temps pour vous? Et vous en faites quoi?

Pour en trouver, c’est toute une organisation. Oui, je suis très organisé. Il faut des horaires très précis. Pour tout. Et quand je peux, je vois mes deux filles. Ou des amis. Et je vais voir des matches de basket. Ceux du T71. Je connais le président, Marcel Wagener. Lui vient me soutenir à Strassen avec son épouse, moi je vais au basket. J’aime bien l’ambiance, la tactique, le positionnement, le mouvement, les blocs… Il y a beaucoup de subtilités.

Ne nous dites pas que cela nourrit votre réflexion d’entraîneur!

Tu peux mettre énormément de choses en rapport avec le foot. En fait, c’est un plaisir d’imaginer des passerelles entre les deux sports. Pas une corvée.

On peut durer longtemps à ce rythme, dans le job d’entraîneur?

Les victoires, en ce moment, ça aide. Cela donne une énergie positive. C’est plus difficile quand il y a de la négativité autour de soi. Mais ce n’est pas possible pendant des années sans coupure. Enfin, tant que le corps et l’esprit tiennent…

Et tant que certains clubs continuent de vouloir privilégier des coaches amateurs. Vous n’avez pas peur qu’à force d’avoir du succès, l’UNA…

Luc Hilger adore ce qu’il est en train de faire et il ne se voit pas professionnaliser. Mais d’ici quelques années, est-ce qu’on ne finira pas par dire : « Faisons comme les autres »? Moi, en tout cas, je ne peux pas assumer le professionnalisme. J’ai un boulot que j’aime, avec une bonne ambiance. L’astreinte, c’est une fois par mois. Une fois par semaine pendant les congés. Mais on vient de recruter un nouvel électricien et un autre va peut-être suivre. Donc ça va aller mieux.

La professionnalisation, en DN, est-ce inéluctable?

Il faudra peut-être y arriver un jour chez nous, oui, mais il faudrait déjà que les mentalités luxembourgeoises changent. Que des ministres se mouillent. Que la FLF, qui se refuse à y aller – allez savoir pourquoi– ait enfin envie, que l’on revoie le sponsoring, que RTL nous paie au moins un petit peu pour avoir le droit de diffuser les images de nos matches… Et puis, je vais vous dire, on a beau dire que l’on a des coaches professionnels, pour moi, un coach pro doit avoir des joueurs pros. Les avoir tout le temps sous la main pour travailler ce qu’il veut quand il le veut. Alors, en ce moment, qui est vraiment pro au pays? Toppmöller l’a été deux mois, pendant la phase de groupes de l’Europa League. Le reste du temps, il a encore des gars qui bossent le matin et ça reste du bricolage. Dans ce cas, je préfère être un vrai amateur, avec des joueurs amateurs. On sait tous, le soir, que l’on est fatigué de notre journée de boulot et on fait ce qu’il y a à faire…

Recueilli par Julien Mollereau/LQ