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Mamer : au fond du puits romain… un dromadaire !


Les fouilles étaient éprouvantes, mais la structure du puits était particulièrement bien conservée. (photos Franziska Dövener/cnra)

Les archéologues le savent : si on sait que l’on cherche, on ne sait jamais ce que l’on va trouver. Qui pouvait imaginer que les restes d’un dromadaire gisaient au fond d’un puits romain ?

Entre la fouille d’un site archéologique et l’étude des vestiges découverts, il se passe toujours du temps. On dit généralement qu’un jour de fouilles sur le terrain vaut une semaine de travail en laboratoire. C’est pourquoi il a fallu attendre un peu avant que la présence inattendue d’un dromadaire soit décelée.

C’est en effet en 2014 que l’archéozoologue (spécialiste des os d’animaux fossiles) Carola Oelschlägel a commencé son étude. «Lorsqu’elle a vu les os, elle s’est dit comme nous lors de leur découverte : « mais qu’est-ce que c’est que ça ! », se rappelle Franziska Dövener, l’archéologue du CNRA qui était chargée des fouilles. Et puis, deux jours plus tard seulement, elle m’a appelée pour me dire qu’elle croyait que c’était un dromadaire !»

Un camélidé à Mamer dans la deuxième moitié du IIIe siècle après Jésus-Christ, voilà qui n’est pas banal ! Avant d’avancer les hypothèses qui pourraient expliquer sa présence sous nos latitudes (lire par ailleurs), il n’est pas inutile de resituer le contexte. «À cet endroit-là, près du lycée Josy-Barthel et de l’école européenne, nous savons depuis le XVIIe siècle et les études d’Alexandre Wiltheim qu’il y avait une occupation romaine. Cette localité, dont le nom antique reste inconnu, se situait le long de la route menant de Reims à Trèves, une ville très importante», précise l’archéologue. De 1971 à 1973, Jeannot Metzler et Johnny Zimmer avaient mis au jour les thermes, juste de l’autre côté de la route.

Des fouilles difficiles

Imaginez une rangée de maisons en forme de long rectangle de chaque côté de la voie romaine, la façade étroite le long de la rue. À l’arrière se trouvaient des jardins, des ateliers ou des dépotoirs en fonction de l’usage de la demeure.

Ce sont ces arrière-cours que les archéologues ont pu étudier, malheureusement les maisons de ce côté-ci de la rue ont été soit détruites par d’autres constructions (ou la route moderne), soit effacées par le mécanisme de l’érosion. Les sols anciens sont ici très proches de l’actuel. «Nous n’avons presque pas de vestiges en élévation, souligne Franziska Dövener. Par contre, il y a beaucoup de structures en creux : des puits, des fosses, des silos…»

Et cela, c’était une excellente nouvelle puisque l’on trouve peu d’endroits aussi riches en vestiges que ceux-là. C’est bien souvent en fouillant les poubelles que l’on acquiert le plus d’éléments pour appréhender la culture matérielle d’une civilisation.

Un de ces puits a même fait office de coffre au trésor. Particulièrement profond (près de 13 mètres), le fouiller a cependant été un petit calvaire. «Nous avons stabilisé les abords avec une couronne de béton, monté une petite structure pour le protéger et installé un ascenseur sur lequel était fixé un siège dans lequel s’installait l’archéologue», explique l’archéologue. Dans la pénombre, celui-ci remplissait des seaux de terre boueuse qui étaient ensuite remontés à la surface. Leur contenu était soigneusement tamisé pour récupérer tous les artefacts humains… et ils étaient très nombreux !

Une période de crise

Au fur et à mesure de la fouille, les chercheurs se rendent compte qu’ils sont en train d’excaver une structure particulièrement riche. Ils découvrent des objets inhabituels et particulièrement intéressants comme un petit autel portant le visage de Diane-Némésis ou un coin monétaire. Et puis, il y a cette énorme quantité d’ossements : environ 19 000 fragments de différentes espèces, c’est colossal. De quoi entretenir le stress d’une analyse post-fouilles qui promet d’être chronophage !

Et justement, l’analyse de Carola Oelschlägel va donner une nouvelle dimension à cet ensemble archéologique. Parmi ces os, 173 fragments (soit près de 20 kg en tout) proviennent d’un… dromadaire. Carola Oelschlägel n’a eu besoin que de deux jours pour déterminer une espèce qu’elle n’avait encore jamais eue sous les mains.

En l’étudiant plus en détail, elle s’est aperçue que les os ne portaient pas de traces de découpes, ce qui signifie que la bête a vraisemblablement été jetée alors qu’elle était dans un état de décomposition avancé et que les différentes parties du corps se détachaient facilement. Il était évidemment impossible de jeter ce dromadaire entier dans un puits dont la largeur n’excède pas 1,10 m. L’animal est mort autour de 6 ou 7 ans, ce qui en fait un tout jeune adulte. L’espérance de vie des camélidés peut atteindre la quarantaine d’années. L’analyse des isotopes récupérés sur les dents, réalisée à l’université de Tübingen, indique que les origines génétiques du dromadaire se trouveraient en Égypte.

Bien sûr, lorsque l’on jette une carcasse dans un puits, celui-ci devient inutilisable. Dans quelles circonstances a-t-on corrompu la structure ? La question reste sans réponse, mais on peut dater précisément le moment où cela s’est passé : l’étude des cernes de croissance d’un morceau de bois (la dendrochronologie) trouvé juste à côté indiquait la date de 257 après Jésus-Christ. Une période particulièrement troublée pendant laquelle les barbares n’hésitent pas à franchir le Rhin pour contester l’hégémonie romaine à l’intérieur même de l’empire. Le dromadaire aurait-il vécu ces crises ?

Erwan Nonet

Que pouvait-il bien faire là ?

Il y a 1 700 ans de cela, les habitants d’alors ont dû être particulièrement surpris de voir débouler un dromadaire au coin de la rue ! Au moins tout autant que l’ont été les archéologues qui en ont découvert les restes…

Franziska Dövener a deux hypothèses sur la raison de sa présence. Peut-être pouvait-il appartenir à un marchand, «les dromadaires sont de bons animaux de bât», avance-t-elle. La seconde proposition n’évoque pas le commerce, mais les affaires militaires. «Nous savons grâce à une inscription découverte à Dalheim en 2008 qu’une partie de la VIIIe légion est passée dans les environs, explique-t-elle.

Une vue du site en cours de fouilles. La structure blanche, à gauche, protégeait l'accès au puits.

Une vue du site en cours de fouilles. La structure blanche, à gauche, protégeait l’accès au puits.

Or ces militaires revenaient d’opérations à la frontière orientale de l’Empire romain, l’équivalent de la Syrie et de la Jordanie actuelles. Il n’est pas impossible que ce dromadaire ait été ramené par les soldats pour porter une partie de leur équipement.» Il est vrai qu’à pied la route depuis le Proche-Orient est longue !

Cette deuxième explication semble tenir la route. Franziska Dövener a répertorié tous les restes de dromadaires et de chameaux découverts lors de fouilles de sites antiques. Elle en a trouvé une soixantaine et il se trouve que de nombreux ossements ont été mis au jour le long du limes, particulièrement sur les rives du Danube, d’ailleurs. Or dans notre aire géographique, cette frontière qui séparait le monde romain des peuples barbares est tombée entre 250 et 260 après Jésus-Christ. Cette frontière était évidemment gardée par les légions romaines, qui voyageaient beaucoup.

Toutefois, l’archéologue reste prudente : «Les restes de camélidés que j’ai cartographiés sont ceux qui ont été déterminés. Et comme ce sont des vestiges inhabituels sous nos contrées, il est vraisemblable que des os de dromadaires et de chameaux dorment encore dans des réserves archéologiques.» La faible répartition de ces vestiges en Italie, et plus particulièrement à Rome, pose question. Où sont, par exemple, les restes de tous ces animaux exotiques qui ont été tués en très grande quantité dans le Colisée ? Il n’en est jamais question…