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Maladie de Lyme : toujours difficile à débusquer


Les tiques, selon leur stade d’évolution, peuvent être très petites et difficilement détectables. (photo Adobe stock)

Le rafraîchissement des températures est propice aux tiques vectrices de la borréliose. Le Dr Georges Jacobs prône la prévention et s’agace du manque d’informations de ses confrères.

La tique, elle nous a relativement laissé tranquille en ce début de printemps trop sec et trop chaud pour elle. C’est pourtant habituellement à cette saison que sa petite silhouette de quelques millimètres de long, facilement reconnaissable, nous donne des sueurs froides. Avec le léger rafraîchissement des températures, elle pourrait bien rattraper le temps perdu.

«En ce moment je reçois deux ou trois personnes par jour pour des piqûres de tiques ou des pathologies liées», explique le Dr Georges Jacobs, médecin généraliste à Colmar-Berg. «Il faut dire que je suis assez spécialisé dans le domaine donc j’en reçois forcément plus que la moyenne», temporise-t-il. «Jusque-là, la saison a été normale. On trouve le plus de tiques en avril-mai et en septembre-octobre. Elle a besoin d’humidité pour monter le long des herbes. Elle aime les températures entre 15 et environ 25 °C avec une pluie tous les deux ou trois jours. Quand en août il fait trop chaud et sec, on ne la voit plus.»

Autant dire que ces derniers jours, elle se régale. «Ce matin (NDLR : lundi matin), j’en ai trouvé trois sur mon chien», poursuit le généraliste qui a mené plusieurs travaux scientifiques sur la borréliose (ou maladie de Lyme) et l’intérêt de la prophylaxie post-expositionelle (prévention après exposition au risque) depuis 2005. Il intervient aussi lors de conférences publiques sur la borréliose depuis 2002.

Les retirer dès que possible

C’est toujours la même histoire, les tiques se cachent «dans les arbustes, les herbes hautes, sur un espace où l’herbe est coupée à ras, tel un terrain de golf, il n’y a pas de risque», précise le spécialiste qui ne veut en aucun cas susciter les craintes. «Si l’on empêche les enfants de jouer dans ces endroits, ils vont se méfier et la peur empêche d’être heureux. Mieux vaut, au retour d’une randonnée en forêt ou de jeux dans la nature, retirer tous les vêtements, prendre un bain avec une lavette et quelques heures plus tard explorer tout le corps, en particulier les plis de la peau, comme sous les bras ou sous les seins pour les femmes. Si l’on retire tout de suite la tique, le risque est quasiment nul.» Au contraire, plus les heures passent, plus le risque de contamination augmente.

Un traitement préventif

Pour cela, il faut utiliser un tire-tique ou une carte à tique que l’on peut retrouver en pharmacie ou en animalerie. «La bêtise à ne pas faire, c’est d’utiliser une pince. Celle-ci comprime le corps de la tique et par ce geste l’insecte peut régurgiter le contenu de son intestin ou de ses glandes salivaires. Le risque de contracter alors la borréliose de Lyme est multiplié par dix. Avec une carte, c’est un peu comme si on retirait le corps de l’animal par les épaules.» Si la tête de la tique reste coincée dans la peau «ce n’est pas si grave», rassure-t-il. «Il faut bien désinfecter et généralement elle tombe toute seule.»

Avec cette maladie si compliquée à diagnostiquer et qui gâche des vies, la meilleure des réactions à adopter, c’est la prévention, martèle le médecin qui a vu nombre de patients arriver dans son cabinet après un parcours de souffrance. «C’est un peu comme pour la pilule du lendemain que tout le monde connaît, quand la tique est trouvée après 24 heures ou qu’il y a un risque qu’elle ait injecté un pathogène, il faut prendre dans les 52 heures après la piqûre de la doxycycline, une dose, un jour.» Selon lui, cet antibiotique ne représente aucun risque pour la santé et au contraire permet «d’éviter à 100 % la borréliose. Cela fonctionne très bien. Il faut juste éviter d’aller au soleil le jour de la prise du médicament».

Des médecins «mal informés»

Un geste qui paraît très simple pour éviter une maladie grave, pourtant d’après son expérience, un certain nombre de médecins au Grand-Duché ne proposent pas cet antibiotique aux patients qui viennent les consulter ou refusent de leur prescrire. Un refus qui le met hors de lui. Alors comment expliquer une telle disparité de prise en charge au sein même du pays ? On le sait, la reconnaissance de la maladie de Lyme fait débat, que ce soit sur sa présence ou son ampleur. La raison à cela est claire dans l’esprit du spécialiste : «Beaucoup de mes confrères sont très mal informés», tempête-t-il. «Heureusement, un grand nombre d’entre eux envoient leurs patients chez des médecins plus spécialisés.»

Des médecins spécialisés dans la borréliose, il y en aurait une douzaine au Luxembourg, dont le Dr Guy Muller à Esch-sur-Alzette.

Une prise de sang pas fiable

L’autre raison de la disparité de la prise en charge, c’est la complexité à poser un diagnostic. «On accorde beaucoup d’importance à la prise de sang, mais elle est presque inutile pour détecter la borréliose. Peu de gens s’en rendent compte lorsqu’ils sont mordus. L’érythème migrant apparaît seulement une à trois semaines après. Lorsqu’on fait une prise de sang à ces gens, le résultat est presque toujours négatif. Ils ne vont pas être traités et déclencher plus tard une encéphalite ou encore une méningite. Alors si vous avez un érythème migrant et que votre médecin avant de vous prescrire un médicament vous donne une ordonnance pour une prise de sang, courez aussi vite que possible. Cela veut dire que votre qu’il n’y connaît rien», sourit jaune le Dr Georges Jacobs.

Des faux positifs sèment le trouble

Si la maladie est d’un côté sous-diagnostiquée, de l’autre elle est, d’après le médecin, paradoxalement sur-estimée chez des dizaines de milliers de patients sains. «Dans la prise de sang, on cherche un anticorps, l’IgM, mais sa présence ne veut rien dire. Ce qui est sûr, c’est que le traitement n’apporte rien à ceux qui sont traités sur cette base en n’ayant aucun symptôme. La seule chose qui compte, c’est la capacité à interpréter la symptomatologie, mais c’est compliqué.»

Et les symptômes peuvent être assez nombreux. «On parle souvent de maladie articulaire, pourtant en Europe la borréliose touche avant tout le système nerveux central, cela peut entraîner une paralysie faciale, une méningoradiculite (NDLR : douleur nerveuse intense irradiant de la colonne vertébrale).» Elle peut aussi prendre une forme cutanée avec acrodermatite chronique atrophiante (changement anormal de la texture d’une partie de la peau). «J’ai eu un tel cas au Luxembourg, mais aucun médecin n’a voulu confirmer mon diagnostic», regrette le généraliste. «Je ne demande pas à mes confrères de me faire confiance. Je sais que je peux les énerver et s’ils ne veulent rien entendre de moi, ils peuvent se rendre dans des conférences sur la maladie de Lyme.» Il conseille aussi à tous ceux qui veulent s’informer sur le sujet le livre Klinik der Lyme-Borreliose de Norbert Satz.

«Une pseudo-démence»

«Dans l’exercice de ma profession, j’ai pu voir 1 000 érythèmes migrants et j’en ai photographié 300. Pourtant, il existe encore des médecins qui expliquent que la maladie de Lyme n’existe pas parce qu’il ne l’ont jamais vue. C’est sûr que quand on ne connaît pas quelque chose, on ne peut pas le voir.» Le spécialiste a pour le moins la dent dure envers les réfractaires, peut-être à force de voir des patients en errance thérapeutique : «On leur diagnostique de la fatigue chronique, de fibromyalgie, de la dépression nerveuse ou même de la démence. J’ai eu trois des personnes à qui on avait diagnostiqué une pseudo-démence à cause d’une borréliose passée inaperçue.»

Seule l’avancée de la recherche pourra permettre de mettre tout le monde d’accord et d’éviter aux patients de souffrir sans savoir de quoi il s’agit.

Une collaboration entre citoyens et chercheurs

De l’autre côté de la frontière, en France, le programme CiTique de recherche participative entre citoyens et chercheurs a permis de mieux comprendre l’écologie des tiques et les maladies qu’elles transmettent. En 2021, en Moselle et Meurthe-et-Moselle notamment, le nombres de tiques porteuses d’un agent potentiellement dangereux pour l’homme était de 35 %. Les piqûres de tiques sont particulièrement nombreuses dans la région Grand Est. Le programme a aussi permis de mettre en évidence l’importance du nombre de piqûres dans les jardins privés, environ 17 %.