Les prix des hydrocarbures, qui flambent depuis la guerre en Ukraine, dopent les bénéfices des géants pétroliers et ravivent les critiques sur l’utilisation de cette manne.
Bénéfice trimestriel plus que doublé pour TotalEnergies, quintuplé pour Shell : le Français a vu ses profits s’envoler jusqu’à 5,7 milliards de dollars au deuxième trimestre, tandis que le britannique a dévoilé hier un énorme bénéfice net de 18 milliards de dollars pour la même période. «Il est inévitable qu’avec des résultats aussi solides, la façon dont l’entreprise utilise ses bénéfices sera scrutée de près», a estimé Michael Hewson, analyste chez CMC Markets. Mais l’envolée des bénéfices «pose aussi la question de savoir si Shell pourra maintenir ce niveau de rentabilité au second semestre». Le géant britannique avait déjà publié un bénéfice record au premier trimestre, à 7,1 milliards de dollars, en dépit d’une lourde charge liée au retrait progressif de ses activités de pétrole et gaz en Russie.
Face aux profits des majors pétrolières, Londres a annoncé en mai une taxe exceptionnelle sur le secteur de l’énergie, pour aider en partie à financer les aides gouvernementales aux ménages les plus modestes face à la crise du coût de la vie. La mesure était réclamée à cor et à cri par des ONG et l’opposition travailliste, mais la majorité conservatrice – alors dirigée par Boris Johnson – a longtemps freiné des quatre fers, craignant de décourager l’investissement des entreprises du secteur, avant de céder.
En France aussi, ces énormes bénéfices pétroliers ont alimenté un débat sur une taxe sur les superprofits des grandes multinationales et groupes énergétiques surnommés «les profiteurs de guerre» par leurs détracteurs, avant que l’idée ne soit rejetée de peu samedi dernier par l’Assemblée nationale malgré les protestations de la gauche et de l’extrême droite. À la place, TotalEnergies a annoncé une remise de 20 centimes d’euros par litre de carburant à la pompe entre septembre et novembre, dans toutes ses stations-services, puis de 10 centimes par litre sur le reste de l’année.
L’ONG environnementale 350.org a dénoncé hier le bénéfice «stupéfiant» du groupe français, alors que «ce géant pétrolier est responsable de certains des projets de combustibles fossiles les plus destructeurs de la planète», citant notamment un projet d’oléoduc controversé en Afrique de l’Est.
«Un rôle à jouer» dans la crise du gaz
Shell avait été chahuté lors de son assemblée générale, en mai dernier, avec l’irruption de militants écologistes et des questions d’actionnaires demandant au groupe d’aller plus loin dans sa stratégie climat – finalement validée à près de 80 %. L’organisation environnementale Greenpeace a aussi lancé mardi une action devant la justice écossaise contre un permis accordé en juin à Shell par le gouvernement britannique pour l’exploitation du champ gazier controversé de Jackdaw.
Certes, le souvenir est encore frais des pertes colossales annoncées par des géants pétroliers terrassés, autour du globe, par l’effondrement brutal de la consommation pendant la pandémie. Shell avait, par exemple, pris une charge de 16,8 milliards de dollars au deuxième trimestre 2020. Mais les cours des hydrocarbures ont rebondi et flambent depuis des mois, particulièrement après l’invasion russe de l’Ukraine. Avec à la clé «de solides résultats financiers» pour Shell, s’est félicité hier son directeur général, Ben van Beurden, lors d’une conférence de presse. En témoigne un programme de rachat d’actions de 6 milliards de dollars à exécuter sur le trimestre en cours, après un précédent rachat de 8,5 milliards de dollars achevé début juillet.
Cependant, si Shell sait soigner ses actionnaires, le groupe affirme aussi utiliser sa solidité financière au profit de l’intérêt général, «grâce à des approvisionnements énergétiques sûrs», a fait valoir Ben van Beurden. Alors que l’Europe frissonne devant les prix du gaz, qui frôlent à nouveau ces jours-ci les sommets vus après le début de la guerre en Ukraine, Shell «a un rôle à jouer» et l’entreprise fait notamment «tout ce qu’elle peut pour apporter de nouveaux approvisionnements» au Vieux Continent, assure le directeur général.