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Maître nageur l’été : «C’est impossible de tout voir»


Yann Schiltz posant ici dans le bassin intérieur du centre sportif Strutzbierg. (Photos : julien garroy)

Quel est le quotidien d’un maître nageur en pleine période estivale? Suivez Yann Schiltz à Dudelange.

Silhouette athlétique, teint mat… Yann Schiltz incarne l’image que l’on se fait d’un maître nageur qui passe ses journées au bord de l’eau. Ses amis lui disent qu’il a de la chance, qu’il doit bien se la couler douce. Un cliché qui «énerve» le trentenaire pourtant tout sourire. Car pour le trouver, tranquille, assis sur une chaise, il faudra repasser. L’été, ce maître nageur-instructeur à Dudelange est plus souvent en mouvement qu’au repos : surveillance de tous les instants, interventions, rotations, gestion des apprentis, des familles et parfois… des comportements absurdes.

Des enfants sautent dans l’eau sans savoir nager

L’été, c’est la haute saison. Il délaisse le bassin du centre sportif Strutzbierg de Dudelange où il donne habituellement des cours de natation aux enfants scolarisés, d’aquagym aux adultes ou encore de perfectionnement aux futurs maîtres nageurs. Direction la piscine en plein air René-Hartman, son toboggan, ses deux plongeoirs et «des enfants qui sautent dans l’eau sans savoir nager».

Pendant un peu plus de deux mois, avec ses collègues, «de 9 h à 17 h ou de 12 h à 20 h, sept maîtres nageurs se relaient. On tourne entre le grand bassin et le petit, parce que rester huit heures d’affilée au même poste, c’est trop», explique Yann Schiltz. Trop de chaleur, de bruit, de concentration. Et parfois, trop de confiance des usagers : «Les parents pensent que puisqu’on est là, ils peuvent se relâcher. Mais c’est impossible de tout voir», confie-t-il.

Quand il fait beau, la piscine accueille en moyenne 800 visiteurs. Aux maîtres nageurs incombe la surveillance de l’eau, aux agents de sécurité celle des pelouses. Et quand le ciel se couvre, le programme ne change pas, «la piscine reste ouverte même sous la pluie. Parfois, on porte une veste et on grelotte sous un abri, pendant que deux nageurs font des longueurs», rigole-t-il.

Le calme avant la cohue.

Son pire souvenir

Ce qui a changé depuis 16 ans qu’il est maître nageur? L’affluence. Et ça, il le dit avec un grand sourire : «Il y a vraiment plus de monde qu’avant. La natation est devenue un vrai sport pour beaucoup, même en dehors des clubs.» Le matin, les nageurs se pressent au bassin, tandis que l’après-midi, ce sont surtout les familles, les maisons relais, les enfants.

Travailler au milieu des petits est l’une des raisons pour lesquelles il a décidé dès 17 ans de passer son DAP, puis plus tard une maîtrise d’instructeur. Il a même suivi des formations pour donner des cours de bébés nageurs : «On les porte dans l’eau de différentes manières, on leur verse un peu d’eau sur le visage, on fait des petits exercices. J’ai déjà emmené mes filles, obligé», rit-il. L’autre raison, c’est l’eau bien sûr. Le jeune père de famille l’a «toujours aimée», glisse-t-il, se rappelant les heures innombrables passées enfant dans la piscine d’Oberkorn «pour (s)’amuser».

Il adore aussi transmettre. Quatre apprentis sont sous sa responsabilité en ce moment. «On leur apprend à tout faire : surveiller, mais aussi gérer l’eau, le chlore et l’acide.» Ce qu’il veut qu’ils retiennent? Le sérieux. «Il faut qu’ils comprennent que tout peut arriver à tout moment. Un malaise, une crise d’épilepsie… tu dois être prêt.» Car la joie d’une journée estivale passée à la piscine peut virer au cauchemar.

Yann Schiltz n’oubliera jamais le garçonnet de 4 ans, retrouvé inanimé dans le petit bassin. «Son papa s’était endormi sur la pelouse pendant que sa mère et son frère étaient allés chercher des boissons. C’était mon expérience la plus dure. C’était allé très vite. Mais je l’ai ranimé. Le lendemain, sa maman est venue me remercier.»

«C’est la règle, mais certains discutent»

Reconnaître une noyade, cela s’apprend : «Les gens pensent qu’une personne en train de se noyer crie ou gesticule, mais non, en réalité, une noyade, c’est silencieux.» Yann Schiltz a développé une méthode maison pour reconnaître si la situation est dangereuse : «Quand je vois quelqu’un qui flotte sur le ventre, je compte dans ma tête jusqu’à 10. S’il ne bouge pas, j’interviens.» Un «truc» qui a sans doute évité des drames ou du moins permis de ne pas déranger un nageur en pleine flottaison zen.

Pourtant, ce n’est pas toujours l’angoisse, mais l’absurde qui débarque en maillot de bain. Des hommes qui râlent parce qu’ils doivent troquer leur short à poches contre un vrai slip de bain. «C’est la règle, mais certains discutent», s’amuse-t-il. Ou plus inattendu, «des femmes qui décident de faire un aller-retour seins nus». Yann Schiltz encaisse tout cela avec calme et humour. Ce qu’il ne supporte pas, c’est l’irrespect, «une seule personne impolie suffit à gâcher la journée», soupire-t-il.

Quand l’été s’achève, les bassins extérieurs ferment. Les cours reprennent à l’intérieur. Après avoir profité de l’été, les plus fidèles reviennent dès 6 h enchaîner les longueurs. Et lui, reste-t-il fidèle à sa vocation? «Je suis bien ici, pour l’instant, je ne me vois pas faire autre chose.» D’ailleurs, même en vacances, au bord de la mer de préférence, il garde un œil sur l’eau. Réflexe de maître nageur.