Spécialisé dans la mode et la culture au pays, le mensuel gratuit a été déclaré en faillite. Il devait fêter ses dix ans en avril.
Décembre 2017. Le dernier numéro de Luxuriant met Claude Wiseler à la une, avec cette question, pertinente : «Est-il le nouveau Bettel?» «On a vieilli avec notre lectorat, du coup, on parle aussi de politique», sourit le rédacteur en chef de la revue «lifestyle», Sébastien Vécrin.
Mais le rire est amer, et pour cause : le magazine, créé en 2008 par quatre associés, juste avant le marasme de la crise financière, a annoncé sa faillite pure et simple, alors qu’il devait fêter sa décennie en avril.
Un coup dur pour l’habituel enjoué journaliste, qui a consacré beaucoup de temps et d’énergie à un «bébé» qu’il portait seul – «j’étais le rédacteur en chef de moi-même» – en compagnie d’un responsable commercial, sans oublier toute une ribambelle «d’intervenants, de free-lances, de collaborateurs et de copains».
Une réunion hétéroclite à l’image de la revue : décontractée, singulière et dans l’air du temps. «On a apporté notre vision propre de la culture au Luxembourg, ce qui s’y passait d’un point de vue local et international», soutient-il, revendiquant un «ton décalé» qui lui a valu plusieurs mises en garde : «On m’a coupé l’herbe sous le pied.»
«Ce métier, on le fait avec le cœur»
Mais il a tenu bon, poursuivant la recette qui a fait la particularité de Luxuriant – et son succès, puisqu’il était tiré à 36 000 exemplaires : un éditorial bancal, de la musique «pour connaisseurs», de jolies femmes bien habillées, des interviews au long cours et des articles en plusieurs langues, dans lesquels on a pu notamment voir s’exprimer le photographe David LaChapelle en «slip-chaussettes» et encore le styliste anglais Paul Smith, en exclusivité.
«On l’a eu à l’usure, se rappelle-t-il. On était en bouclage et il nous a dit O. K. pour le lendemain à Londres. On s’est démenés pour faire cet entretien! C’était six mois avant que tout le monde au pays ne réagisse.»
Parmi les pages garnissant le magazine, n’oublions pas les très nombreuses publicités. Et c’est bien de là qu’est venu le problème, pour un titre qui devait «assurer 100 % de ses revenus» – un mensuel gratuit ne bénéficie ni de subvention ni d’aide à la presse.
«On n’est pas parvenu à séduire, encore, les annonceurs. Pour la presse papier gratuite, la part du gâteau est de plus en plus maigre», explique-t-il, reconnaissant n’avoir pas «anticipé le virage numérique».
«L’époque où les bons de commande sortaient du fax sans qu’on n’ait rien à faire est révolue depuis un moment, lâche-t-il. C’est d’autant plus rageant qu’en termes de lectorat, c’était de mieux en mieux.»
Mais il n’est pas amer… «J’ai passé dix années extraordinaires, précise-t-il, même si on a vite su que ça allait être compliqué.»
Il poursuit : «Durant des années, c’était très chaud de se maintenir la tête en dehors de l’eau, mais on y trouvait une grande part de satisfaction. De toute façon, ce métier, on le fait avec le cœur. On se contente de salaires au ras des pâquerettes, alors, oui, il faut aimer ce que l’on fait, et y croire toujours. Heureusement que je ne suis pas capitaliste dans l’âme…»
Devant «toutes ces portes qui se ferment», et l’augmentation du nombre de revues, à la durée de vie relative, Sébastien Vécrin se veut surtout lucide.
Quid d’éventuels futurs repreneurs? «Non, ils ont d’autres produits à faire survivre…» Et l’avenir de la presse, au Luxembourg comme ailleurs?
«Ce qui marche et qui arrive au pays, ce sont des vidéos de moins d’une minute du style Konbini… C’est désespérant! Le monde de l’information est devenu fou, bizarre. Oui, je suis inquiet pour l’avenir.»
Celui de son magazine semble entendu, après 69 numéros.
Gregory Cimatti