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[LuxFilmFest] Tim Roth, une icône «à contre-courant»


Tim Roth s'est prêté à l'exercice de la master class mercredi après-midi. (Photo : julien garroy)

De Londres à Hollywood, en passant par le Luxembourg (où il a tourné son nouveau film, Poison), la carrière de Tim Roth est guidée par sa curiosité. Portrait d’un acteur unique.

De ses rôles iconiques chez Quentin Tarantino (Reservoir Dogs, 1992; Pulp Fiction, 1994…) aux personnages ambigus que lui a écrits Michel Franco (Chronic, 2015; Sundown, 2021), en passant par ses collaborations uniques et non moins mémorables avec Woody Allen (Everyone Says I Love You, 1996), Michael Haneke (Funny Games U. S., 2008), David Lynch (Twin Peaks : The Return, 2017), Werner Herzog (Invincible, 2001) ou encore Francis Ford Coppola (Youth Without Youth, 2007), Tim Roth, du haut de sa grosse centaine de films à son actif, est assurément une icône du cinéma mondial.

C’est en tant que tel qu’il a été accueilli au LuxFilmFest, en se livrant notamment à l’exercice de la master class, mercredi après-midi, dans une Cinémathèque pleine à craquer. Mais c’est aussi pour y parler de son nouveau film, Poison, tourné intégralement à Vianden début 2022, qui marque les débuts derrière la caméra de l’actrice luxembourgeoise Désirée Nosbusch (sortie le 19 mars). Un huis clos lourd de silences et d’émotion, au «sujet compliqué» – un couple divorcé se retrouve dans un cimetière, des années après la mort tragique de leur fils, pour une discussion hésitante mais nécessaire, entre deuil et confrontation. «C’était très difficile, et en même temps très simple à faire», a expliqué l’acteur britannique au Quotidien quant à ce nouveau «défi» partagé, face caméra, avec la Danoise Trine Dyrholm, également présente au LuxFilmFest en tant que membre du jury longs métrages.

Un acteur qui avance «à contre-courant»

Né en 1961 dans le sud de Londres, Tim Roth crève l’écran dès son premier rôle, obtenu à l’âge de 20 ans, celui d’un skinhead ultraviolent, une croix gammée tatouée sur le front, dans le téléfilm choc d’Alan Clarke Made in Britain (1982). Dans le Royaume-Uni de Margaret Thatcher, le jeune acteur se sent proche de cette génération de cinéastes dont font partie Alan Clarke ou Ken Loach, qu’il définit comme des «animaux politiques de gauche au talent incroyable» : «Alors qu’on avait toujours fait des films où les pauvres étaient joués par des acteurs bourgeois, eux employaient de vraies gens issus de la classe ouvrière. Ils ont apporté quelque chose de nouveau dans ce monde, et moi, j’ai atterri au milieu de ça.» Puis enchaîne en étant dirigé respectivement, dans son deuxième et troisième film, par Mike Leigh (Meantime, 1983) et Stephen Frears (The Hit, 1984). «C’était ça, ma formation à ce métier. Dès ce moment, je savais que je voulais être un acteur – pas une star, un acteur –, et je m’y suis tenu très sérieusement», analyse-t-il.

Car, à la différence de ses collègues et compatriotes ayant éclos à la même période – Gary Oldman, Daniel Day-Lewis, Colin Firth… –, Tim Roth n’a pas mûri sa passion sur les planches des théâtres londoniens, tout comme il s’est refusé de céder à la «facilité» de «courir après les gros noms» du cinéma de l’époque. Avançant «à contre-courant», il a choisi de «rester alerte aux nouveaux auteurs et aux mouvements émergents».

Intarrissable curiosité

Et trouvera son bonheur de l’autre côté de l’Atlantique, auprès de la nouvelle vague indépendante américaine du début des années 1990, en jouant les premiers rôles chez quelques débutants qui ont fait du chemin depuis, à l’image de Quentin Tarantino ou James Gray. Trois décennies plus tard, et bien qu’on l’ait entre temps vu dans une poignée de blockbusters (le Planet of the Apes de Tim Burton, en 2001, ou plus récemment en ennemi de Hulk chez Marvel), l’acteur cultive le même désir, se disant motivé par «la fraîcheur (qu’)amènent» ces nouveaux noms : «Leurs films sont ceux que je recherche, ceux qui me posent un défi en tant qu’acteur, qui font que ce job me semble toujours aussi intéressant.»

Au-delà de cette intarissable curiosité, Tim Roth s’est encore senti guidé «par la peur de perdre (s)on emploi». «C’est un truc d’acteur, je crois, mais surtout un truc typiquement britannique : on est tous terrifié par l’idée d’être au chômage! D’un autre côté, c’est positif. Il n’y a pas de snobisme : là où il y a du boulot, on va.» Car l’«avantage» de faire ce métier au Royaume-Uni réside dans l’horizontalité des médias, tandis qu’aux États-Unis ou ailleurs en Europe, «les acteurs de cinéma ne sont pas censés faire de la télé». Quand Tim Roth, déjà une immense star, a tenu le premier rôle dans la série Lie to Me (2009-2011), «certains acteurs connus à qui on commençait à proposer ce genre de projets m’ont appelé : « C’est comment? Tu penses que je devrais accepter? » Mais bien sûr, dites oui!»

«Connexion intime»

Pour autant, accepter un rôle pour l’argent, «afin de payer les études de mes enfants sans être emmerdé par cet enfer qu’est le système scolaire américain», a pu l’amener sur des sentiers imprévus – avec parfois «des rôles amusants dans des films merdiques» et, d’autres fois, «des rôles merdiques dans des films merdiques», rigole-t-il, à l’instar de United Passions (Frédéric Auburtin, 2014), produit à l’initiative de la FIFA et sorti en plein Fifagate, dans lequel il prête ses traits à Sepp Blatter, l’ancien président ultracorrompu de la fédération de football, présenté là sous son plus beau jour.

Fils de communistes et depuis toujours engagé à gauche, Tim Roth avait regretté cette errance, écrivant à la sortie du film : «J’ai détesté le faire. C’était un mauvais choix, mais pour de bonnes raisons.» On ne l’y reprendra plus, de la même manière qu’il a définitivement tiré un trait sur le théâtre et la réalisation de films, des activités qu’il a pourtant entreprises de façon beaucoup plus louable, avec des résultats largement meilleurs.

Au fond, dit-il, la raison qui motive la plupart de ses rôles est la suivante : «une connexion intime, d’une manière ou d’une autre, avec ce qu’on me demande». C’est la même qui l’a poussé à réaliser The War Zone (1999), sa seule expérience de metteur en scène, dans laquelle il aborde les thèmes de l’inceste et des violences sexuelles – un sujet qui a fortement résonné en lui, ayant été victime d’abus dans son enfance. «Ça a tué mes envies de réaliser, observe-t-il aujourd’hui. Émotionnellement, c’était trop pour moi.»

J’ai conscience que (ma carrière) part dans tous les sens, mais j’aime l’anarchie

C’est encore vrai de Poison, sorte de théâtre filmé écrit par la dramaturge néerlandaise Lot Vekemans d’après sa propre pièce, que Désirée Nosbusch a proposé à Tim Roth au moment où ce dernier faisait face à la maladie de son fils Cormac, disparu en 2022, quelques mois après la fin du tournage. «Je lui en ai immédiatement parlé, c’est lui qui m’a encouragé à accepter le rôle, ainsi que ma femme», se souvient-il. «D’un côté, mon personnage et sa situation me terrifiaient, mais de l’autre, aujourd’hui, je sens que cette histoire est très juste, dans sa façon d’exprimer comment, après une perte si lourde, le deuil frappe chaque être humain différemment.»

C’est avec la même lucidité que Tim Roth poursuit sa brillante carrière, sans vraiment penser à se reposer, si l’on en croit les futurs projets, confirmés ou non, qu’il énumère : un film de Michel Franco «actuellement en écriture», un film «sur l’industrie du jeu en Grande-Bretagne», une apparition dans une sitcom et deux séries télé, dont «une comédie, ce que je n’ai encore jamais fait», ou encore un long métrage que lui a proposé le producteur Jeremy Thomas, immense figure du cinéma britannique qui avait financé The Hit, «mon premier film de cinéma». «J’ai conscience que ça part dans tous les sens, résume-t-il avec un sourire, mais j’aime l’anarchie.»

Génies, violents et victimes : six rôles cultes

MADE IN BRITAIN (1982) Figure incontournable du cinéma choc britannique, Alan Clarke offre son tout premier rôle au jeune Tim Roth, celui d’un skinhead plein de haine interné dans un centre de correction. Le pendant étrangement tendre de Scum (1979), autre film coup-de-poing du même Clarke, ce téléfilm, en grande partie grâce à l’interprétation brutale de Tim Roth, pose un regard lucide sur la société comme fabrique des marginalisés et des violents.

VINCENT & THEO (1990) L’immense Robert Altman se penche sur une star de la peinture en collant au plus près de la réalité : à Paris, Vincent Van Gogh (Tim Roth), artiste miséreux et tourmenté, tente de sortir de son isolement auprès de son frère, Theo (Paul Rhys). Un film puissant sur la création artistique et ses limites, avec une performance torturée de Tim Roth, comme un ulcère incrusté dans un récit d’une beauté lumineuse.

RESERVOIR DOGS (1992) Si Tim Roth est l’un des visages emblématiques du cinéma de Quentin Tarantino, c’est en premier lieu grâce à ce film, où son Mr Orange, flic infiltré dans un gang de braqueurs, cristallise nombre des obsessions du cinéaste : doubles jeux, exploration de la virilité, références pop et mise en abyme du travail d’acteur… Le rôle est parfait, l’interprète à son meilleur. Ce que les personnages de Roth perdront ensuite en temps d’écran dans Pulp Fiction (1994) et The Hateful Eight (2015) – et même Once Upon a Time in Hollywood (2019), dans une scène coupée – gagneront largement en flamboyance.

LITTLE ODESSA (1994) Pour exécuter un contrat, le mafieux Joshua revient dans sa communauté juive ukrainienne de Brooklyn, où il attire l’attention de sa famille, sur laquelle il pensait avoir tiré un trait. Le premier film de James Gray est un indispensable du film de gangsters, froid et sans concessions. Sous son air apathique, Tim Roth est magistral dans la peau d’un psychopathe qui a oublié son cœur, mais qui va retrouver son âme.

GRIDLOCK’D (1997) Film négligé, sinon oublié, dans la filmographie de l’acteur, Gridlock’d, derrière son esthétique «nineties», reste furieusement d’actualité dans la satire qu’il fait du traitement par les autorités américaines des addicts aux drogues dures. Tim Roth, gouailleur et allumé, forme un tandem explosif, aussi tendre qu’hilarant, avec le rappeur Tupac Shakur, dans sa dernière apparition à l’écran.

BROKEN (2012) Rarement Tim Roth aura été aussi poignant que dans le premier film de Rufus Norris, en père de famille célibataire et réservé, qui sera forcé de jouer les arbitres dans son quartier à la suite d’un drame entre voisins. Une relecture terrassante du roman d’Harper Lee Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur qui colle à la réalité sociale de l’Angleterre.