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[LuxFilmFest] «Reflet dans un diamant mort» : espion, rêve-toi


Le couple de réalisateurs a été «frappé par la ressemblance» entre Fabio Testi, icône du cinéma italien des années 1970, et Sean Connery.

Hélène Cattet et Bruno Forzani repensent les fondamentaux du film d’espionnage avec Reflet dans un diamant mort, une expérience pop et kaléidoscopique coproduite et tournée au Luxembourg.

Son nom est D. John D. Physique élancé, épaules larges, visage anguleux aux traits virils parfaitement dessinés et une intrépidité à toute épreuve, l’homme fut, à une autre époque, la quintessence de l’agent secret en perpétuelle mission pour sauver le monde.

Aujourd’hui, le vieux John coule des jours paisibles dans sa chambre d’hôtel de la Côte d’Azur en enchaînant les verres de vermouth – mais lorsque sa voisine de chambre disparaît mystérieusement, les aventures passées de l’espion se rappellent à lui. Avec Reflet dans un diamant mort, «on veut questionner l’image du héros d’antan qui était censé sauver le monde», expliquent Hélène Cattet et Bruno Forzani, les réalisateurs de ce quatrième long métrage mirifique et obsédant, en marge de sa présentation au LuxFilmFest, où il est en compétition officielle, trois semaines après sa première mondiale, déjà en compétition, à la Berlinale.

Après avoir rendu hommage au «giallo», le thriller horrifique italien des années 1970, avec Amer (2009) et L’Étrange Couleur des larmes de ton corps (2013), puis au western urbain avec Laissez bronzer les cadavres (2017), le couple de cinéastes offre une nouvelle «expérience sensorielle» en jouant avec les codes de l’âge d’or du film d’espionnage, inspirés des premières aventures de James Bond et de ses nombreux dérivés et pastiches produits en Italie au cours des années 1960, réunis sous l’appellation «Eurospy».

Un nouveau défi de taille dont la réussite prouve qu’avec le temps, le cinéma de Cattet et Forzani se fait plus ambitieux à tous points de vue. Au regard de leurs précédentes expériences, ils pensaient «faire un truc hyper-simple», sourit Bruno Forzani :

«À la base, ce projet n’avait rien d’un challenge pour nous, mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi compliqué.» Car qui dit film d’action dit cascades, courses poursuites et bastons – ce que le tandem avait jusqu’à présent tenu à l’écart de son cinéma, plutôt focalisé sur une réinterprétation onirique et postmoderne du langage populaire du cinéma de série B.

Mais par-delà son look vintage, le film amène des réflexions très actuelles sur la beauté et l’état du monde, la masculinité, la violence et les «fausses images que nous renvoie le passé».

Le coréalisateur réfléchit : «Notre fille pense, comme nous quand on était petits, que plus tard elle sauvera le monde. Je crois qu’elle y arrivera. Mais ce film reflète et questionne l’impuissance de notre génération, avec ce personnage qui est acteur de son aventure et qui, d’un coup, devient spectateur de lui-même.»

«En empruntant les sentiers de l’Eurospy, poursuit Hélène Cattet, on a pu mettre en contraste l’image véhiculée par ces films d’un monde d’abondance, où tout était à portée de main et promis à un futur merveilleux, et la réalité du monde actuel, avec des mers qui sont de grandes poubelles et un genre humain complètement épuisé.»

«Écriture stéréoscopique»

Entre présent et passé, entre réalité désolée et gloires chimériques, Reflet dans un diamant mort avance comme une cartographie de la mémoire chancelante du héros, à l’instar du portrait du personnage d’Anthony Hopkins dans The Father (Florian Zeller, 2020) – un film qui, s’il n’a rien en commun avec l’univers de Cattet et Forzani, a eu un effet déclencheur pour les cinéastes.

Le concept, lui, remonte à 2010, quand le couple voit le dernier film du réalisateur américain Monte Hellman, Road to Nowhere : l’acteur Fabio Testi, icône du cinéma italien des années 1960 et 1970, vu aussi bien chez des auteurs respectés (Vittorio De Sica, Andrzej Zulawski) que dans nombre de films de genre, y fait une apparition, vêtu d’un complet blanc et coiffé d’un panama.

«On a été frappé par sa ressemblance avec Sean Connery, ça a éveillé en nous l’idée de mélanger Morte a Venezia (Luchino Visconti, 1971) et les itérations italiennes de James Bond», résume Bruno Forzani. D’autres inspirations suivront, de la Tosca de Puccini mise en scène par Christophe Honoré à des expositions consacrées à l’«op art» ou à la peintre Fabienne Verdier, qui ont été autant de «portes d’entrée» à cette réappropriation du «mythe de James Bond».

Avec ce nouveau long métrage, le tandem a renoué avec l’«écriture stéréoscopique», une méthode ouvrant à plusieurs niveaux de lecture, héritée du mangaka et réalisateur japonais Satoshi Kon et déjà expérimentée avec L’Étrange Couleur des larmes de ton corps.

«On aime beaucoup cette manière d’écrire, qu’on avait utilisée précédemment d’une façon plus intuitive, sur le modèle de l’écriture automatique des surréalistes, explique Hélène Cattet. Cette fois, c’était plus technique.»

Le scénario a été conçu selon des «codes couleur» afin de discerner les différentes temporalités et les différents niveaux de réalité qui s’enchevêtrent dans cette expérience pop et kaléidoscopique, qui vise à proposer au spectateur une nouvelle interprétation du film à chaque visionnage.

Un éclatement des réalités symbolisé par le diamant du titre, objet central à l’histoire et allégorie de la beauté qui devient, dans la main du héros, un instrument de «torture». «Le titre de travail était Les Diamants ne sont pas éternels, ce qui résumait bien l’idée selon nous d’un James Bond qui détruit tout», indique Bruno Forzani.

Plus que jamais auparavant, le duo précise ses intentions – soit reprendre à son compte le cinéma de série B, qui n’est autre qu’un pan alternatif et plus libre du cinéma de «série A», dans l’objectif de raconter une histoire alternative du monde ancrée dans le présent, car, «avec Trump et Musk, on a des méchants de James Bond qui ont accaparé le pouvoir dans le monde réel».

Pour le reste, la formule Cattet-Forzani reste inchangée : en bref, «retourner à ce cinéma qui était plus simple, pauvre, artisanal». Avec un tournage en pellicule – l’argument qui a, selon les auteurs, fini de convaincre Fabio Testi, «surpris que des gens fassent encore des films comme ça» –, des références totémiques brillamment réinventées – de l’emblématique robe à sequins de Paco Rabanne, qui se transforme ici en arme, aux bandes originales signées Stelvio Cipriani ou Luis Bacalov qui viennent rythmer l’action, en passant par le langage visuel des «fumetti», les BD populaires italiennes – et des effets visuels, sonores et pratiques ébouriffants, dont une combinaison de cuir dans laquelle le héros se retrouve emprisonné comme par magie, une scène réalisée «à l’ancienne, avec des fils transparents et très peu de temps», dit Hélène Cattet.

Peluches,et marionnettes

La mise en scène et le montage reposant pour beaucoup sur des effets d’optique et une envie d’amener le spectateur à l’«orgasme cinématographique», ce film, comme leurs précédents, a demandé un énorme travail de préparation. Pour une raison simple : «On ne peut pas improviser un film comme celui-ci», résume Hélène Cattet.

Alors le couple a une façon bien à lui de s’y préparer, en tournant un «brouillon» à la maison, avec peluches et marionnettes qui remplacent les acteurs. «Manu Dacosse (NDLR : le directeur de la photographie belge qui les suit depuis toujours, également collaborateur régulier de Fabrice Du Welz et François Ozon) est le premier à se foutre de notre gueule quand on montre ces vidéos», rigole Bruno Forzani.

Mais l’étape est «essentielle» pour «faciliter la communication avec les équipes» qui réaliseront les décors, les effets spéciaux et autres aspects pratiques sur le plateau de tournage. Surtout quand le film contient une course poursuite en voiture et une séquence de bagarre dans un bar qui voit la destruction totale du décor.

Hélène Cattet : «C’était la première fois qu’on faisait ce genre de scène, la première fois qu’on travaillait avec un coordinateur de cascade. Donc, c’était hyper-important de pouvoir se référer à ces vidéos qui montraient nos intentions de découpage et de lumière.»

Cette fameuse scène de bar, de même que toutes les scènes d’intérieur de cette coproduction des Films Fauves – soit «la moitié» des 39 jours de tournage –, a été filmée en studio au Luxembourg. Pour les extérieurs, l’équipe a pris la direction de la Côte d’Azur et de l’Italie, en tournant à Nice, Menton, Gênes, Sanremo et Santa Margherita Ligure, une façon de communier avec ces lieux où les films qui les inspirent furent tournés à l’époque, et renouer avec «une autre manière de travailler, qui a été perdue dans le temps».

Reflet dans un diamant mort, qui offre aussi de superbes rôles aux actrices luxembourgeoises Céline Camara et Sylvia Camarda, sans parler de Maria de Medeiros, actrice «intemporelle» dont l’apparition pleine de mystère cristallise «la confrontation du vrai et du faux, du passé et du présent», est attendu en salle en juillet.

Reflet dans un diamant mort, d’Hélène Cattet et Bruno Forzani.