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[LuxFilmFest] Expériences de la barbarie


L’artiste Shirin Neshat livre sa vision cauchemardesque de l’exploitation sexuelle des prisonnières politiques en Iran avec l’éprouvant The Fury.

Au Pavillon réalité virtuelle de Neimënster, on réfléchit à la barbarie dans le monde, avec des œuvres-chocs et des expériences délirantes.

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Le LuxFilmFest poursuit sa mue

Comme à son habitude, le Pavillon réalité virtuelle (VR), incontournable rendez-vous parallèle du Luxembourg City Film Festival, a établi ses quartiers dans les salles voûtées de Neimënster, en préambule au premier rendez-vous cinématographique du pays, inauguré hier soir.

Organisée par le Film Fund en coopération avec le Centre PHI de Montréal – la cheffe du service «nouveaux médias» de l’institut québécois, Myriam Achard, assurant à nouveau la curation du Pavillon VR dans le Grund –, cette septième édition cherche à refléter la grande variété de projets audacieux et innovants réalisés à travers le monde dans les formes cinématographiques encore nouvelles des réalités virtuelle et augmentée.

Au-delà de la découverte immersive d’autres mondes, réels ou imaginaires, et d’autres époques, le Pavillon VR a toujours eu à cœur de diffuser des œuvres engagées – et, bien sûr, engageantes.

Creusant un peu plus loin certaines thématiques au cœur des expériences VR présentées lors de la précédente édition, où l’accent était mis sur les dures réalités du monde actuel – les migrations, la précarité, l’esclavage moderne –, une grande partie des dix œuvres en compétition pour cette édition 2024 entend explorer différentes itérations de la barbarie dans le monde, à travers les points de vue d’auteurs confirmés.

L’une des plus impressionnantes est aussi l’une des plus courtes : The Fury, de l’artiste iranienne Shirin Neshat, se réapproprie la question des prisonnières politiques en Iran, dans une expérience en deux temps.

Prisons, autobus et Shoah

On commence comme dans une installation vidéo. Deux écrans se font face : sur l’un, la femme, libre, qui reste hantée par les immondes souvenirs de sa détention; sur l’autre, le bourreau, vision cauchemardesque qui ne saurait être plus précise.

Puis vient l’expérience VR à proprement parler, pour le moins inconfortable, qui nous amène au centre d’un hangar délabré, où des officiers regardent la prisonnière, presque nue, le corps couvert de bleus, dansant lascivement pour ses geôliers. Le corps féminin, objet de désir et sujet de violences, s’échappe – littéralement – de sa place de protagoniste, pour que le spectateur en hérite à son tour, pour un final glaçant.

Plus poétique, sans pour autant adoucir la réalité de l’histoire, Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, de Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud, fait revivre la vie de cette habitante de l’Alabama et son combat pionnier, et oublié, contre la ségrégation.

Autre affaire de mémoire, autre expérience bouleversante : Letters from Drancy amène le récit de Marion Deichmann, survivante de la Shoah, en réalité virtuelle. La dame de 91 ans – présente ce week-end d’ouverture au LuxFilmFest et qui discutera lundi soir avec l’historien Denis Scuto, toujours à Neimënster – retrace son enfance.

La gorge serrée, on accompagne Marion Deichmann sur des lieux qu’elle n’a plus revus depuis 80 ans, de l’appartement parisien où sa mère a été arrêtée par la milice française au village normand où elle trouvera le salut… jusqu’à sa destruction par les Alliés. En moins de trente minutes, Letters from Drancy offre un immense travail de mémoire.

Mandico méta à souhait

Au Pavillon VR, la barbarie est islamiste, nazie ou relève du racisme décomplexé. C’était compter sans Bertrand Mandico, dont on a déjà chanté les louanges du film Conann, coproduit au Luxembourg par Les Films Fauves et qui a pour sujet… la barbarie! Le réalisateur français persiste et signe avec une œuvre qui prolonge son dernier film.

Intitulé Nous, les barbares!, ce film fou, projeté dans un espace virtuel de quatre écrans diffusant simultanément un point de vue, est une ode amoureuse aux actrices, une mise en abyme où celles-ci jouent des actrices qui jouent Conann… et nous amènent dans leur enfer. C’est méta à souhait, sanglant, bref, délirant. Une expérience performative barbare et parfois sibylline, mais qui vaut assurément le détour.

Qui dit festival de cinéma dit compétition. Au Pavillon VR aussi, on décerne un prix, et ces dix œuvres venues du monde entier – y compris du Grand-Duché – seront ainsi évaluées par un jury d’experts, qui remettra son prix de la meilleure œuvre XR, doté de 4 000 euros : Delphine Munro, responsable du programme Arts et Culture à la Banque européenne d’investissement à Luxembourg, la productrice canadienne de films immersifs Emily Paige et Ulrich Schrauth, le directeur artistique du festival VRHAM!, dédié à la réalité virtuelle, à Hambourg. Le vainqueur sera dévoilé le 9 mars, lors du palmarès du festival.

Jusqu’au 17 mars. Neimënster – Luxembourg.