CSV, ADR, déi Lénk et Pirates rejettent la rallonge de 139 millions d’euros pour le projet d’un satellite militaire, mal budgétisé. Une commission d’enquête est réclamée.
«On prend les gens pour des cons.» «Nos questions sont restées sans réponses.» «Cela reste un grand mystère.» «C’est fort de café.» Les quatre partis de l’opposition parlementaire (CSV, ADR, déi Lénk, Parti pirate) sont montés au créneau, mercredi, pour dénoncer la multitude de zones d’ombre qui continuent de planer sur l’acquisition et l’exploitation d’un satellite militaire d’observation baptisé LUXEOSys.
Ce jeudi après-midi, la Chambre est amenée à voter la rallonge budgétaire de 139 millions d’euros d’un projet mal ficelé, dont le coût initial était chiffré à 170 millions d’euros. L’enveloppe globale passe aujourd’hui à 309 millions d’euros. «Le satellite LUXEOSys s’est transformé en LUXE-OSys», martèle Diane Adehm (CSV), la présidente de la commission de Contrôle de l’exécution budgétaire.
Depuis le mois de mars et l’annonce par le ministre de la Défense, François Bausch, du surcoût substantiel du satellite, le Parlement s’efforce d’en savoir plus sur les ratages de ce projet initié par l’ancien ministre Étienne Schneider. Mercredi matin, les représentants de l’opposition se sont retrouvés dans la salle plénière de la Chambre, lieu même où, en date du 24 juillet 2018, le projet LUXEOSys a été validé par une très large majorité de députés (58 voix contre 2). CSV et ADR ont soutenu la majorité tricolore (DP, LSAP, déi gréng), en dépit du fait que l’élu chrétien-social Jean-Marie Halsdorf évoquait déjà «l’achat d’un chat dans le sac». Le Parti pirate n’était pas encore représenté à la Chambre.
Une longue liste d’acteurs du projet, y compris Étienne Schneider, qui a quitté le gouvernement en février de cette année, a été entendue par les députés. Pourquoi l’armée n’a-t-elle pas été consultée en amont du projet, alors qu’elle devait en assumer l’exploitation ? Pourquoi LuxGovSat, l’opérateur du satellite GovSat-1, s’est-il retiré du projet ? Pourquoi les frais d’exploitation n’étaient-ils pas inscrits dans le projet initial ? «Les explications fournies manquent de cohérence. Soit les interlocuteurs se sont trompés, soit ils ont fait le choix délibéré de ne pas dire toute la vérité», avance David Wagner (déi Lénk).
Budget et enquête : vers un double non
Diane Adehm soupçonne que François Bausch ait voulu «protéger» son prédécesseur. Dès l’été 2019, il aurait été clair que le budget initial n’était pas suffisant. Le nouveau ministre de la Défense a cependant attendu mars 2020 pour saisir la Chambre. «Dès le départ, il était connu que l’armée ne serait pas capable d’exploiter le satellite», fustige Fernand Kartheiser (ADR). Une large partie du projet doit en effet être externalisée (lire encadré). Sven Clement (Parti pirate) n’accepte pas l’argument selon lequel un retrait du projet coûterait 145 millions d’euros à l’État. «La fenêtre de lancement pourrait être échangée. Si on n’est pas en mesure d’exploiter le satellite, il pourrait aussi être envisagé de le revendre», avance l’élu.
Très remontée, l’opposition va non seulement voter en bloc contre la rallonge budgétaire, mais compte aussi revendiquer l’instauration d’une commission d’enquête parlementaire. Une telle commission dispose des mêmes pouvoirs qu’un juge d’instruction et les personnes qu’elle auditionne doivent prêter serment. «Les partis de la majorité estiment que les personnes déjà interrogées vont répéter leur version des faits. Or l’enjeu sera tout autre. Ils risqueront des poursuites judiciaires», fait remarquer David Wagner. Il est toutefois très peu probable qu’une commission d’enquête soit validée par les partis de la coalition gouvernementale.
David Marques
La commission d’enquête : un instrument à «revoir»
Le recours à une commission d’enquête parlementaire est très rare. La dernière en date est celle qui a enquêté en 2012 et 2013 sur les dysfonctionnements au Service de renseignement de l’État (SREL) qui ont conduit en juillet 2013 à la chute du gouvernement CSV-LSAP présidé par Jean-Claude Juncker. «À l’étranger, les commissions d’enquête sont beaucoup plus fréquentes. Il faudrait revoir le règlement pour permettre par exemple à un tiers des députés de lancer une telle commission, qui ne doit pas forcément concerner des affaires d’État», fait remarquer David Wagner.
Le projet de réforme global de la Constitution, remis en question aujourd’hui, prévoit le passage revendiqué par l’élu déi Lénk : «Une commission d’enquête doit être instituée si un tiers au moins des députés le demande». Le passage s’inspire de la réglementation qui est d’application au Parlement fédéral allemand ou au Parlement européen, où une commission doit être instaurée à la demande d’un quart des députés. En Belgique, une majorité reste nécessaire, mais les commissions d’enquête sont devenues monnaie courante (attentats de Bruxelles, Panama Papers, etc.).
D. M.
La fiche technique du satellite
– LUXEOSys est l’acronyme de «Luxembourg Earth Observation System». Il s’agit d’un système gouvernemental d’observation par satellite répondant aux besoins des organisations nationales (gouvernement, LIST, Cartographie, etc.) et internationales (UE, OTAN, ONU, etc.) en imagerie satellitaire.
– Le but du programme LUXEOSys est de fournir quotidiennement 100 images de la Terre à très haute résolution.
– Ce type de satellite est appelé NAOS («National Advanced Optical System»). Il sera placé à environ 450 km sur une orbite basse polaire (appelée LEO – Low Earth Orbit).
– Le satellite effectuera des rotations autour de la Terre (15 révolutions par jour), ce qui permettra de prendre des images de l’ensemble de la planète. La vitesse du satellite est de 8 km par seconde.
– L’architecture segment sol comprendra la construction de deux antennes, qui seront installées à Redu (Belgique) et la location d’une antenne polaire, basée à Svalbard (Norvège) et permettant le transfert des 100 images du satellite vers la Terre.
– Les composantes principales du segment sol vont être basées au Luxembourg. Il s’agit notamment du Centre de traitement des images, de deux centres de données et du Centre en charge du contrôle et du pilotage du satellite.
– Le Centre de planification du plan d’imagerie sera, lui, basé au Quartier général de la Défense belge, à Evere.
D. M.