Un économiste de la Fondation Idea s’inquiète du manque d’initiatives pour sortir les seniors du chômage au Grand-Duché.
Depuis plusieurs années, l’Europe s’est évertuée à mettre la jeunesse au cœur de l’emploi avec la mise en œuvre de ce que l’on appelle «la garantie pour la jeunesse». En raison de la crise sanitaire, l’Union européenne a accéléré dans ce domaine en profitant de son plan de relance inédit pour mettre la jeunesse au centre des préoccupations.
En parcourant le site de l’Union européenne, on peut facilement entendre Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, louer l’importance du sujet. «Les jeunes Européens méritent des opportunités, mais leur recherche d’emploi est jalonnée de nombreux problèmes et d’incertitudes auxquels s’ajoute la crise du coronavirus. Ils ont besoin de notre aide pour jouer un rôle actif dans notre économie et notre société. Le plan de relance que nous avons proposé, Next Generation EU, place les jeunes au centre de ces priorités. Il vise non seulement à rendre l’Europe plus forte, plus verte et plus numérique, mais nous attendons aussi des gouvernements nationaux qu’ils investissent au moins 22 milliards d’euros pour soutenir l’emploi des jeunes», souligne Ursula von der Leyen dans une vidéo. Plus concrètement, «la garantie pour la jeunesse» doit pouvoir faciliter l’accession à un emploi rapidement aux personnes de moins de 25 ans. L’initiative doit aussi servir à moderniser l’enseignement et la formation professionnelle, à faciliter la transition entre l’école et le travail, sans oublier de promouvoir l’apprentissage afin de répondre aux besoins des entreprises.
L’objectif déclaré de la Commission est de voir «d’ici cinq ans quatre diplômés sur cinq issus de l’enseignement et de la formation professionnelle occuper un emploi» pour reprendre les mots de la patronne du Vieux Continent, soutenue par un commissaire que l’on connaît bien au Luxembourg, Nicolas Schmit. Ce dernier assure aux côtés de la présidente de la Commission européenne faire «de l’aide à l’emploi des jeunes une priorité afin de soutenir les jeunes en ces temps de crise».
Le nombre de seniors sans emploi augmente
Le Luxembourg s’est très vite inscrit dans cette tendance, notamment en apportant via la tripartie de juillet dernier un soutien à l’apprentissage et en offrant jusqu’en décembre 2021 la possibilité de participer à des stages de professionnalisation pour les moins de 30 ans.
Impossible de ne pas se réjouir d’un tel élan en cette période économiquement difficile. Mais c’est un peu oublier les «seniors». Mercredi matin, Michel-Edouard Ruben, économiste au sein de la fondation Idea, a soulevé la question des seniors. Pour rappel, les plus de 55 ans représentaient en fin d’année dernière 13 % de la population active contre 8 % en 2009. De plus, on peut voir que les seniors sont en sous-activité, toujours au Luxembourg, lorsqu’il s’agit de formation. Le mois dernier, l’Adem dénombrait 7 971 demandeurs d’emploi de plus de 45 ans, un contingent en hausse de 16 % en un an.
Au fur et à mesure des crises, Michel-Edouard Ruben constate que le nombre de chômeurs de plus de 55 ans ne fait qu’augmenter. Lors de la crise des subprimes en 2008, 11 % des chômeurs étaient des seniors contre 15 % de jeunes de moins de 25 ans. En juillet 2014, un peu après la crise de l’euro, les seniors passaient à 13 % et les jeunes à 11 %. En janvier dernier, 16,40 % des chômeurs étaient des seniors alors que 10 % d’entre eux étaient des jeunes de moins de 25 ans. «Je ne suis pas en train de confronter les seniors et les plus jeunes. Je suis d’avis que toute initiative visant à réduire le chômage est par définition une bonne chose quel que soit l’âge des demandeurs d’emploi», insiste l’économiste. «Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’Adem a progressé de près de 30 % depuis le début de l’année, de telle sorte que le taux de chômage a frôlé le pic atteint en mai 2014. Dans ce contexte, grand cas est fait à raison de la situation des jeunes qui connaissent au Luxembourg un des taux de chômage (26 %) les plus élevés de l’UE. Il est cependant regrettable qu’aucune attention particulière ne soit portée aux actifs seniors (55+) alors que la crise actuelle pourrait avoir des effets durables et sévères sur leurs perspectives d’emploi», tempère Michel-Edouard Ruben. Et d’appuyer : «Force est de constater que lorsque l’on est un senior et que l’on se retrouve au chômage, il est plus difficile d’en sortir.»
Chiffres à l’appui, l’économiste explique que «le Grand-Duché est confronté à une forte incidence du chômage de longue durée parmi les travailleurs âgés. Près de 70 % des plus de 55 ans au chômage l’étaient depuis au moins un an, contre « seulement » 40 % pour les moins de 55 ans. Un défi de taille dans un contexte de vieillissement de la population d’âge actif (17 % des 15-64 ans avaient plus de 55 ans en 2019 contre 15 % en 2010) et de double transition écologique et numérique plutôt défavorable aux métiers traditionnellement occupés par les seniors».
La pandémie de Covid-19 n’arrange rien puisqu’elle véhicule un lien étroit avec la notion de l’âge en étant plus dommageable pour les personnes âgées. Les entreprises pourraient dès lors être méfiantes lorsqu’il s’agit de recruter des seniors. Ces derniers sont aussi, malheureusement et sans doute souvent injustement, considérés comme étant moins aptes à pouvoir s’adapter aux nouvelles formes d’emploi et d’organisation du travail. «Dans un souci de restaurer leur profitabilité mise à rude épreuve, des entreprises pourraient chercher à réduire fortement leurs coûts en précipitant leur transformation. Dans le cadre d’une telle hypothèse, « se séparer » des salariés les plus âgés (« réputés » réfractaires aux changements) peut apparaître « tentant », d’autant plus qu’au Luxembourg la rémunération est fortement liée à l’ancienneté», s’inquiète Michel-Edouard Ruben.
Une garantie pour les seniors
Au bout de cette réflexion, l’économiste de la Fondation Idea met sur la table l’idée de créer une «garantie pour les seniors» sur le modèle de la «garantie pour la jeunesse». « Concrètement, il s’agirait d’un « pacte productif de l’âge » qui s’attaquerait au trilemme – taux d’activité faible, ancrage dans le chômage de longue durée, dépréciation des compétences – qui se pose aux seniors et soutiendrait l’entrée ou la réinsertion dans la formation et/ou l’emploi des seniors qui voient le chômage et l’inactivité jouer pour eux le rôle de transition entre l’emploi et la retraite, permettrait aux travailleurs âgés de concilier vie privée et vie professionnelle, renforcerait les compétences numériques des « analogic natives », s’attaquerait aux discriminations âgistes, renforcerait les emplois de qualité pour les seniors via la promotion de la santé et de la sécurité au travail, et établirait une culture qui valorise le recrutement des travailleurs âgés et le fait de rester en emploi jusqu’à l’âge légal de la retraite.»
L’économiste va même plus loin en proposant au Luxembourg de servir de modèle au reste de l’Union européenne en créant au niveau national – et donc sans attendre une impulsion venant de Bruxelles – une «garantie pour les seniors» afin de lutter contre le chômage de longue durée de cette frange de la population.
Jérémy Zabatta