Le Luxembourg n’est pas épargné par ce fléau que constitue la traite suivent actuellement une quinzaine de dossiers sur le territoire.
Recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir une personne en ayant recours à la force, à la contrainte, à la tromperie ou à d’autres moyens, en vue de l’exploiter» : c’est ainsi que l’ONU définit la traite des êtres humains. Travail ou mendicité forcés, exploitation sexuelle, esclavage domestique, prélèvement d’organes… La traite des êtres humains peut revêtir des formes diverses et des millions de personnes, hommes, femmes et enfants, continuent d’en être victimes chaque année «dans toutes les régions et dans la plupart des pays du monde», comme le souligne le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH). Y compris au Luxembourg (lire par ailleurs un bilan ici).
Depuis 2009, le Grand-Duché s’est doté de deux services, distincts mais qui travaillent main dans la main, pour apporter assistance à ces victimes : le Service d’assistance aux victimes de la traite des êtres humains (Savteh), géré par l’ASBL Femmes en détresse, et le Coteh, géré par la Fondation Maison de la Porte ouverte. Ces deux services s’occupent actuellement d’une quinzaine de cas de traite sur le territoire luxembourgeois. Un chiffre indéniablement bien en deçà de la réalité.
«Au début, nous avions surtout des cas d’exploitation sexuelle, mais ces dernières années ce n’est presque plus le cas. Nous nous occupons actuellement essentiellement de victimes d’exploitation par le travail dans les restaurants, sur les chantiers, au sein de ménages privés. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus de cas d’exploitation sexuelle, mais ils n’arrivent pas jusqu’à nous», fait savoir Anna*, collaboratrice au sein du Coteh.
«Dans les films, on voit souvent que ces personnes sont enfermées. En réalité, il s’agit surtout d’un enfermement psychologique, d’autant que les victimes sont souvent logées chez leurs bourreaux ou dans des conditions indignes, comme sur un matelas dans le local d’un restaurant», complète Sara*, du Savteh. «Cet hébergement sert d’ailleurs souvent d’excuse pour diminuer encore leur salaire. Les victimes n’ont pas de journée de libre, pas de contrat, elles sont isolées… Nous avons aussi eu un cas où il y avait des violences physiques.»
Aussi des mineurs
Il ne semble pas y avoir de profil type parmi les victimes de la traite au Luxembourg. D’après les professionnelles, elles proviennent de tous les continents, y compris d’Europe depuis quelques années. «Avant, nous n’avions que des personnes issues de pays tiers, comme les Philippines, le Guatemala, le Maroc, le Brésil… Désormais, nous avons aussi des Polonais par exemple. La difficulté à trouver un travail actuellement peut partiellement expliquer cela.»
Si la plupart des victimes n’ont pas fait d’études et n’ont guère de qualifications, les collaboratrices ont déjà eu à venir en aide à un universitaire. Il avait été recruté, comme souvent, par le biais d’une fausse annonce de travail. «La différence, c’est que cette personne n’est restée qu’une semaine à cet endroit. Elle a eu le réflexe de chercher très rapidement de l’aide. Les autres ne se reconnaissent souvent pas comme victimes, car elles sont très dépendantes et ne connaissent pas la traite des humains, les règlements, le droit du travail.»
Un manque de ressources qui peut pénaliser des personnes déjà vulnérables dans leur pays d’origine. Car l’une des caractéristiques de la traite relevées par Sara et Anna, c’est que victimes et bourreaux «sont souvent issus de la même culture : par exemple un Pakistanais qui est exploité par un Indien; un Brésilien par un Portugais». Plusieurs explications à cela : «Les victimes font confiance à ces auteurs qui parlent la même langue qu’elles ou proviennent de la même culture. D’autant qu’ils vont leur faire croire qu’ils ont des contacts et vont pouvoir leur obtenir des papiers. Nous avons eu des cas où tous deux venaient du même village, leurs familles respectives se connaissaient. Ce qui peut d’ailleurs être aussi un motif de chantage.»
Si la majorité des victimes actuellement prises en charge par le Savteh et le Coteh ont plus de 30 ans (et jusqu’à 65 ans), Sara et Anna ont déjà dû venir en aide à des mineurs, comme cette adolescente originaire de Côte d’Ivoire. «C’est son professeur qui nous a alertées : il avait remarqué qu’elle était toujours fatiguée, elle s’endormait même parfois en classe et oubliait ses devoirs. En fait, elle était exploitée par son oncle. Cela a duré de ses 13 à 16 ans. Elle a été placée dans un foyer pour mineurs. Aujourd’hui, elle est adulte et a fait sa vie.»
Depuis quelques années, les collaboratrices ont aussi affaire à des hommes victimes de la traite et non plus seulement des femmes. «Nous travaillions beaucoup avec les foyers de Femmes en détresse. Mais tout à coup, à partir de 2014, sans que nous sachions pourquoi, nous avons eu plusieurs hommes victimes de la traite. Le service InfoMann a donc dans un premier temps logé les victimes masculines.» Jusqu’à l’an passé, puisque le Coteh dispose désormais de sa propre structure d’accueil des victimes : une maison pouvant accueillir cinq adultes, hommes ou femmes. «Nous collaborons également avec Caritas, qui a mis à notre disposition une maison avec neuf places», poursuit Sara. «C’est mieux ainsi, car les foyers destinés aux femmes en détresse ont besoin de leurs propres places, et cela fait sens de ne pas mélanger les différentes problématiques.»
Aide intégrale
Si la police constate un cas de traite humaine, elle doit avertir au plus vite le Savteh ou le Coteh, afin qu’ils puissent fournir une assistance à la victime. Mais il arrive que les deux services soient contactés avant les forces de l’ordre. «Souvent, les victimes ont peur parce que dans leur pays, la police n’est pas comme au Luxembourg… Et puis, ces personnes sont généralement en situation illégale sur le territoire», indiquent les collaboratrices, qui vont donc dans un premier temps expliquer aux victimes les différentes étapes et démarches à suivre pour sortir de cet embrigadement.
«Lorsqu’une personne arrive directement chez nous, nous ne pouvons lui offrir qu’une aide psychosociale, jusqu’à ce que la police ait procédé à l’identification. Ensuite seulement, nous pouvons lui fournir une aide intégrale : aide financière et matérielle, logement, inscription à la CNS. Si les victimes proviennent de pays hors UE, elles reçoivent une attestation de sursis à l’éloignement. Avec ce document, elles ne peuvent pas travailler ni quitter le territoire luxembourgeois, mais peuvent rester ici», détaille Sara.
Les victimes disposent de 90 jours de réflexion pour décider d’engager les poursuites contre leur bourreau ou non. Si la plupart souhaitent rester au Luxembourg et n’attendent pas ce délai pour faire part de leur décision, il arrive que certaines préfèrent rentrer dans leur pays. Mais lorsqu’elles sont déterminées à lancer les démarches, elles doivent obligatoirement porter plainte contre l’auteur, couper tout lien et tout contact avec celui-ci ou le milieu dans lequel elles ont été abusées.
À la justice ensuite de faire son travail et de trancher. «Une procédure dure deux à trois ans», fait savoir Sara. «Durant cette période, nous assistons les personnes. Elles peuvent toutefois faire une demande de permis de travail en parallèle, et il arrive que certaines trouvent un emploi et un logement. Elles n’ont pas l’obligation de rester dans notre structure. Par contre, si le parquet juge qu’il n’y a pas assez d’éléments pour qualifier la traite, nous clôturons notre assistance.»
Une amende et du sursis
C’est ce qui est arrivé à une Philippine. Bien que les collaboratrices et la police étaient absolument sûres que cette employée de maison était victime de traite, ce motif n’a pas été retenu, la justice estimant qu’elle avait aussi trouvé son compte dans la situation, puisqu’on la voyait sourire sur des photos postées sur Facebook et que ses patrons l’avaient emmenée en vacances avec eux. «Les employeurs ont été condamnés pour travail au noir à verser environ 1 000 euros chacun», font savoir Sara et Anna, déçues.
Si la traite est reconnue, les coupables encourent jusqu’à 15 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. En réalité, «les peines sont plutôt légères : le plus souvent, ils écopent de deux à trois ans avec sursis et d’une petite peine financière, qui dépend de leur situation personnelle», déplore Anna. «Le Luxembourg est assez tolérant lorsqu’il s’agit d’une première infraction. Mais pour moi, c’est incompréhensible qu’on ne donne pas plus! Parfois, il s’avère plus lucratif d’exploiter quelqu’un plutôt que de ne pas le faire!»
Pour tenter de parer à une partie du problème de la traite, Sara et Anna envisagent la création d’un label qui permettra de distinguer les entreprises qui respectent cette question. Car les citoyens doivent être sensibilisés quant à l’existence de ce fléau et prendre leurs responsabilités. «On vit dans une société où on veut tout avoir moins cher. Mais lorsqu’on mange un plat à cinq euros au restaurant, il faut se demander ce qu’un tel prix cache. Idem dans la construction. Mais cela reste difficile pour le citoyen de savoir si traite il y a ou non. L’ITM doit clairement procéder à plus de contrôles», estiment Sara et Anna.
Tatiana Salvan