La réduction du temps de travail n’est pas la solution miracle pour augmenter l’attractivité du pays et réduire la pénurie de main-d’œuvre. Une étude a été présentée hier.
Le mot «ambigu» est tombé à de maintes reprises lors de la présentation de la très attendue étude sur les enjeux et risques de la réduction du temps de travail (RTT), commandée par le ministère du Travail et réalisée par le Liser et l’université du Luxembourg.
Si ce travail comparatif entre les modèles appliqués dans d’autres pays ne tranche pas la question, des premiers enseignements peuvent en être tirés. Le ministre Georges Engel souligne toutefois que «l’objectif de cette étude est de rendre plus rationnel un débat très émotionnel. Aucune décision n’est prise sur ce qui sera fait.»
Un excès d’heures supplémentaires ?
L’enjeu central aux yeux du ministre est de «garder le marché du travail luxembourgeois attractif». Georges Engel rappelle que 73 % des salariés travaillant au Grand-Duché n’ont pas la nationalité luxembourgeoise et que 44 % sont des frontaliers. «À l’avenir, les frontaliers vont plus souvent se demander s’ils acceptent encore de faire le trajet jusqu’au Luxembourg alors que dans leur pays d’origine les salaires se rapprochent progressivement des nôtres», développe le ministre.
Un des éléments qui permettraient au pays de rester attractif serait le temps de travail, sans oublier l’importance, soulignée par les chercheurs, du maintien du niveau des salaires mensuels.
Paradoxalement, la pénurie de main-d’œuvre que connaît le Luxembourg risque de contrarier les ambitions d’une RTT. «La pénurie pourrait freiner la division des tâches de travail. Le Luxembourg doit donc tenir compte de cette situation qui touche tous les secteurs d’activité. Il existe le risque d’un recours excessif aux heures supplémentaires», avance Thuc Uyen Nguyen-Thi, une des chercheuses ayant cosigné l’étude. De plus, la pénurie pourrait inciter les entreprises à renforcer et accélérer la digitalisation, avec à la clé une diminution des embauches.
«Une réforme du temps de travail ne doit pas se faire de manière isolée. Elle doit être accompagnée de mesures de formation, pour combler les pénuries, et législatives, pour réduire le nombre d’heures supplémentaires autorisé», résume Thuc Uyen Nguyen-Thi. D’autres «conditions de réussite» seraient indispensables.
Il est suggéré d’accompagner les entreprises, sur le plan organisationnel et financier (réduction des cotisations ?), pour compenser l’impact d’une RTT. Il existerait aussi un risque de délocalisation d’activités. En outre, il est jugé nécessaire que «l’économie soit saine et les finances publiques soutenables» au moment de procéder à une telle réforme. «Il s’agit d’un facteur crucial pour la réussite de cette entreprise», souligne la chercheuse.
L’étude émet toutefois des doutes sur l’impact d’une RTT sur l’attractivité du pays. «Il est compliqué de répondre à la question, car cela dépend non seulement des avantages, mais aussi des risques qui existent à la fois pour les salariés et pour les entreprises. Il n’existe pas de faits scientifiques sur un lien entre RTT et attractivité», développe Thuc Uyen Nguyen-Thi. En théorie, une RTT peut attirer et retenir les employés. Par contre, le coût supplémentaire engendré pour le patronat peut affecter la compétitivité et brider la création d’emplois.
Une RTT généralisée s’avère «difficile»
Plus globalement, «une réduction du temps de travail peut être bénéfique pour certaines catégories de personnes, mais pas pour toutes». Le même constat vaut pour les différents secteurs. La mise en place serait plus facile pour les «grands lieux de travail bureaucratisés et routiniers», mais bien moins pour les petites entreprises employant des travailleurs hautement spécialisés, «difficilement remplaçables». Au Luxembourg, 76 % des sociétés implantées comptent moins de cinq salariés.
«Il existe des effets mitigés sur tous les aspects liés à une réduction du temps de travail», conclut Thuc Uyen Nguyen-Thi. Au Luxembourg, une flexibilisation s’imposerait, car une «RTT collective ou généralisée pourrait être difficile à mettre en place». Les chercheurs recommandent de mener des études plus approfondies.
L’étude complète est à consulter sur mteess.gouvernement.lu
Lourdement attaqué par l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), le ministre du Travail, Georges Engel, a dit «fortement regretter» le refus du camp patronal d’assister à la présentation de l’étude sur le temps de travail. «Le patronat ne peut pas se fermer à la discussion», a souligné le ministre socialiste, qui récuse le reproche d’avoir commandé une «étude politique (…) médiatisée dans un contexte électoral».
«Il n’existe aucun lien avec les élections. Les discussions ont commencé il y a un an déjà. Il s’agit d’un argument farfelu», répond Georges Engel. L’UEL lui avait aussi reproché d’avoir présenté les conclusions en priorité à son parti. «C’est faux. La primauté a été accordée au Conseil de gouvernement. Le Comité permanent du travail et de l’emploi a été, ce mardi, le deuxième à être informé», assure le ministre.
Le ministre du Travail souhaite néanmoins que chaque parti se positionne, grâce à l’étude, «en connaissance de cause» par rapport à la question d’une réduction du temps de travail. Le LSAP plaide pour une semaine de 38 heures.
Un des objectifs de la réduction du temps de travail (RTT) est de renforcer le bien-être et la santé des personnes. En théorie, le fait de prester moins d’heures de travail vise plusieurs vertus : mieux concilier vie professionnelle et vie privée, augmenter l’emploi des femmes, réduire l’écart de rémunération, réduire le stress et l’épuisement professionnel et libérer plus de moyens pour les loisirs (bénévolat) et la consommation.
Par contre, il existe le risque d’une intensification de la charge de travail, une plus forte imprévisibilité des heures de travail, une moins bonne progression de carrière et, en fin de compte, une perte de revenus (moins de travail, moins de salaire).
En France, au Portugal, en Allemagne, en Corée du Sud et au Japon, la RTT a eu des effets plutôt positifs sur le bien-être et la santé. Il n’existe cependant pas de lien systématique entre RTT et meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée.
À travers l’Europe, la France (de 39 h à 35 h en 1998), le Portugal (de 44 h à 40 h en 1996) ou l’Allemagne (1984) ont déjà procédé à une réduction du temps de travail. Si un effet plutôt positif est à constater sur le bien-être et la santé, les conclusions ne sont pas unanimes en ce qui concerne l’impact sur l’emploi et la compétitivité.
Une étude comparative des modèles appliqués en France, en Italie, en Belgique, au Portugal et en Slovénie (1997-2007) évoque un effet «nul» sur l’emploi. Sur ce point, la RTT a eu des conséquences négatives dans certains secteurs en Allemagne. Les risques d’une surcharge et d’un renforcement des heures supplémentaires sont réels, selon les auteurs des études réalisés dans les différents pays.
L’exemple e la France montre que la meilleure façon de se ruiner est de travailler moins.