«Tirez-moi de là!» Le 23 février 2021, Susanna voit son salut dans les uniformes des policiers. Elle dit avoir été forcée à la prostitution par Asen, un Bulgare comme elle.
Asen et Susanna se sont rencontrés dans leur pays natal, la Bulgarie, et il lui a promis la lune à condition qu’elle le suive au Luxembourg ou dans les environs. En guise de lune, la jeune femme à peine majeure doit se prostituer sous les coups et les menaces, a-t-elle raconté aux policiers.
Une employée d’une station-service de Mertert sonne l’alarme le soir du 23 février 2021 après 23 h : un homme et deux femmes se trouvent dans une voiture et les deux femmes proposent leurs charmes aux routiers arrêtés à la station-service.
Le trio avait déjà été repéré la veille, de même que deux autres voitures immatriculées en Bulgarie, prévient le témoin. Asen, 34 ans, et Todarka, 27 ans, sont arrêtés.
Combien y a-t-il eu de clients ? Quel est le parcours du trio ? Les policiers ne savent pas vraiment. Les indices sont maigres, se justifie un enquêteur, et les résultats des interrogatoires confus. Des doutes sont apparus dans les esprits des policiers.
Il y a bien eu prostitution, confirme l’un d’eux à la barre de la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg hier. Les policiers ne parviennent pas à remonter le parcours du trio, ni depuis quand il est arrivé au Luxembourg.
Le rôle de Todarka, la deuxième jeune femme, n’est pas clair non plus. Asen l’avait présentée à Susanna comme sa sœur, mais il s’est avéré qu’elle est sa compagne. Selon la victime présumée, la petite brune a joué les entremetteuses auprès de clients.
Pour l’enquêteur de la police judiciaire, il n’est pas impossible qu’elle se soit, elle aussi, prostituée pour le compte d’Asen et qu’elle essaie de le préserver de représailles judiciaires en prétendant être à son compte.
Les deux coprévenus entretiennent une forme de flou artistique relevant par moments de l’acrobatie. Asen explique que Susanna voulait trouver un travail «normal» au Luxembourg et avait fini par se prostituer. «Un jour après son arrivée !», s’étonne le président de la chambre correctionnelle, qui n’est pas au bout de ses surprises.
«Que faites-vous au Luxembourg ?» «On m’avait retiré mon permis de conduire allemand», note le prévenu sans se douter que cette phrase allait virer au running gag. «Êtes-vous patron d’une entreprise d’intérim ? Avez-vous fait venir des filles pour qu’elles se prostituent ?» «C’était le cas en Allemagne», finit par répondre Asen après des circonvolutions pour éviter de s’exposer.
C’est compter sans la ténacité du président. «De quoi vivez-vous ici ?, s’impatiente le magistrat. Vous regardiez la beauté des paysages naturels d’une station-service ? Ou bien vous vous y trouviez pour respirer l’air pur ?»
«Je n’avais pas 5 euros en poche»
Le prévenu finit par craquer sous la pression des questions qui s’abattent sur lui. Susanna était avec le couple depuis deux ou trois jours au moment des faits. Il ne l’a jamais maltraitée ou menacée, ajoute-t-il. «Je n’ai jamais pris l’argent des passes. Les filles payaient tout. Je n’avais pas 5 euros en poche et il m’arrivait de dormir dans ma voiture.»
«Vous êtes le proxénète le plus pauvre du monde. Un proxénète sans domicile fixe», ironise le président, qui a réussi à obtenir des aveux partiels du prévenu quant à ses activités de proxénète.
Todarka explique à son tour que Susanna est venue au Luxembourg de son plein gré. «Elle se prostituait déjà en Bulgarie et elle m’a demandé de l’aide pour travailler en Allemagne et se mettre à son compte, indique-t-elle. Je n’ai jamais pris son argent et je ne l’ai pas contrainte à venir.» Les violences et les menaces ont été inventées par dépit amoureux par Susanna.
Le couple ne comprend pas le mauvais tour que lui joue la victime présumée. Victime dont les avocats de la défense ont regretté l’absence. «Son audition ne tient pas», regrette l’un qui aurait souhaité pouvoir l’interroger. «Le dossier repose sur ses déclarations peu crédibles», enchaîne sa consœur.
Pour le procureur, tout est clair. Asen et Todarka se sont livrés à des actes de proxénétisme, de traite des êtres humains, de coups et blessures volontaires ainsi qu’à des menaces. Ils ont, explique la représentante du parquet, aidé et assisté à la prostitution et Asen a profité de l’argent de la prostitution.
«La prostitution n’est pas interdite au Luxembourg, le proxénétisme si, a-t-elle rappelé. Que Susanna soit venue au Luxembourg dans l’optique ou non de se prostituer n’a pas d’incidence sur les infractions.» Elle a requis une peine de 4 ans de prison et une amende contre le couple qu’elle a désigné comme coauteurs.
«Une peine exagérée», selon l’avocate de Todarka, pour qui sa cliente «joue un rôle secondaire et peut aussi être considérée comme une victime». Elle n’aurait jamais frappé, ni menacé, ni profité de l’argent.
L’avocate demande l’acquittement ou subsidiairement une peine plus basse et assortie du sursis intégral. L’avocat d’Asen a plaidé en faveur d’une peine plus douce assortie du sursis partiel.
Le prononcé est fixé au 31 mars.