Pour la troisième fois, une ferme à ciel ouvert s’est installée tout le week-end en ville permettant aux visiteurs de nouer ou de renouer avec le monde agricole sous toutes ses coutures.
Papa, il n’y avait pas de cochon, est-ce que c’est une vraie ferme alors ?», la question piège, de Léa, 5 ans, laisse perplexe son père. On est en plein centre-ville de Luxembourg, ce dimanche 3 avril, aux abords de la place de la Constitution et une odeur inhabituelle pour la capitale chatouille notre nez, celle des animaux, du foin, mais aussi de la gastronomie.
La troisième édition du «Bauerenhaff an deer Stad» s’est tenue tout le week-end aux pieds de la Gëlle Fra. Après deux ans d’absence, les gens sont heureux de se retrouver sur un tel évènement initié par l’ASBL Landjugend a Jongbaueren (LLJ), qui plaît autant aux grands qu’aux petits, qui plus est sans masque, même si un certain nombre de visiteurs ont tout même préféré le garder. C’est la foule des grands jours, surtout entre midi et 14 h où l’on peine à se frayer un chemin.
Il faut dire que le show cooking bat son plein sous un grand chapiteau. Les marmites fument sur l’estrade, le chef cuisinier Romain Thielen retourne la viande, mélange la sauce tout en surveillant ses commis d’un jour, les politiciens du pays qui ont accepté de se prêter au jeu à tour de rôle. Sur les fourneaux, ce ne sont que des produits du terroir grand-ducal qui sont mitonnés et si l’on en croit le chef, à la dégustation, la différence est évidente.
Il a concocté plusieurs recettes traditionnelles, comme les bouchées à reine, ou de sa création pour les mettre en valeur. Des assiettes sont ensuite distribuées aux visiteurs qui se pressent pour goûter et la saveur est à la hauteur de l’attente. «Nous avons des produits extra au Luxembourg», assure l’expert qui apprécie tout particulièrement de cuisiner les viandes, comme «le porc Éisleker Gourmet» élevé dans le Nord avec des produits naturels ou l’«Angus aus dem Mëllerdall».
Patrick Goldschmidt, échevin à la Ville de Luxembourg, s’active pour tenir la cadence et saupoudre les assiettes de persil avant de les servir. S’il n’est pas un pro des fourneaux, il a tout de même une certaine habitude : «Nous avons trois enfants avec trois menus différents, alors il faut assurer.»
L’échevin se dit déjà converti aux produits du terroir pour les viandes, les fruits et légumes, mais a tout de même pas mal de produits qui viennent de plus loin, notamment les poissons. De cette journée, il retiendra quelques recettes et refera certainement les kniddelen, savoureux et finalement «assez faciles à réaliser».
Le lien entre les animaux et l’assiette
Les veaux sont sans doute les stars de cette ferme à ciel ouvert, les visiteurs et surtout les enfants se pressent pour les observer. Sous un chapiteau, les poules montrent leur plus beau plumage et la surprise d’une ponte vient égayer les visages d’adultes qui tentent de faire partager leur joie à leur progéniture. De l’autre côté, des tracteurs à pédales remportent un franc succès entre les bottes de foin, tout comme l’atelier pâtisserie. Les enfants sont choyés, car l’objectif affiché de l’évènement débuté vendredi est de rapprocher les gens du monde paysan, et ce, dès le plus jeune âge.
«Hier (samedi), 34 classes sont venues, c’était un grand succès, malgré le froid et la neige tout le monde s’est montré très intéressé», explique le Dr Christiane Vaessen. La vétérinaire, conseillère pour la Chambre de l’Agriculture, a présenté les bovins, les produits et labels aux visiteurs. Selon elle, lorsqu’on parle de la rupture qui existe entre la nouvelle génération et la connaissance du monde agricole, «on n’exagère pas !».
«Cela montre l’importance d’un tel évènement. Pour mettre en contact les enfants avec l’agriculture et des moutons, des lapins, des vaches… des animaux qu’ils ont peu l’occasion de côtoyer. Cela leur permet de faire le lien entre les animaux et la nourriture qu’ils ont dans leur assiette.» Et le fait de les manger ne semble pas les choquer «même si selon l’âge, certains enfants trouvent cela « dommage« , généralement ils aiment manger de la viande».
Si la viande est très représentée sur les étales de cette ferme provisoire, sous forme de charcuterie, cuisinée ou en morceaux, on trouve aussi de la bière, du vin ou encore des pâtes 100 % fabriquées au Luxembourg et bios. La ferme Bio-Haff an Dudel s’est lancée dans ce domaine en 2013 sous le nom Dudel-magie.
«Je crois que désormais nous sommes le seul producteur de pâtes du pays, explique Marc Emering. Habituellement, les pâtes sont surtout fabriquées avec des blés durs produits essentiellement en Italie car il leur faut quatre à cinq semaines de soleil avant la récolte. Les nôtres sont uniquement faites à base à base d’épeautre qui est une céréale présente depuis très longtemps au Luxembourg, qui a été laissée un peu de côté après la Seconde Guerre mondiale. C’est tant mieux, car du coup elle a été peu transformée et est très digeste. Même les personnes intolérantes (et non allergiques) au gluten peuvent les manger. Nous travaillons avec un producteur d’œufs bios. Avant, tous les œufs qui n’avaient pas le bon calibre, une à deux tonnes, partaient en Allemagne, c’était un gâchis énorme.»
Autre atout pour l’agriculteur de Sprinkange, les pâtes gonflent énormément à la cuisson, ce qui leur permet d’être davantage rassasiantes en mangeant moins. Dégustations à l’appui, les visiteurs ont pu découvrir des mets produits tout près de chez eux pour remplir leurs placards à l’occasion de cet évènement, mais aussi tout le reste de l’année.
La recherche pour une transition biologique se heurte au marché
Parmi les nombreux stands, entre les veaux et le panorama sur la citadelle Vauban, quelques rangées de pommes de terre interpellent. C’est l’œuvre de l’ASBL IBLA (Institut fir Biologësh Landwirtschaft an Agrarkultur Luxembourg) qui teste 18 variétés de pommes de terre : «On vérifie la productivité à la récolte, leurs capacités et leurs goûts, explique Kerstin Thielen qui s’occupe de l’administration de l’ASBL.
Des données qui serviront ensuite aux agriculteurs. «Nous aidons les exploitants qui veulent passer au bio, ceux qui le sont déjà et ceux qui désirent utiliser moins de chimie dans leurs cultures», explique l’employée de l’institut de recherche pour l’agriculture biologique. Une trentaine de projets sont actuellement menés par l’IBLA, notamment sur les légumineuses.
Cette année, une problématique toute particulière occupe l’esprit des agriculteurs et surtout des éleveurs : «Nous recevons énormément d’appels pour savoir quelles solutions existent pour faire face à la montée des prix de plusieurs denrées à la suite des évènements (spécialement la guerre en Ukraine qui fait grimper le cours de certaines céréales et légumineuses). Au Luxembourg, les agriculteurs ont beaucoup de place et ils sont censés avoir assez d’espace pour produire eux-mêmes par exemple le soja nécessaire à leurs animaux.»
Si l’IBLA aide les agriculteurs à se convertir, comme le souhaite le gouvernement, de nombreux obstacles pèsent sur cette transition, comme bien sûr le prix. «Le bio coûte forcément plus cher à la production, il faut donc pouvoir écouler son
produit plus cher. Or par exemple pour le lait, la demande des consommateurs est trop faible. Luxlait, la seule coopérative laitière à récolter le lait bio au Luxembourg, refuse de payer plus cher pour le lait bio, car derrière ils n’ont pas la clientèle pour cela. Du coup, certains agriculteurs que nous aidons, qui sont déjà passés au bio dans leurs autres domaines, ne font pas cette transition pour le lait.» Preuve, une fois de plus, que le pouvoir se trouve également dans les mains des consommateurs.