Un jeune Équatorien a mis des années avant de dénoncer des agressions sexuelles subies dans son adolescence. Face à son cousin qu’il accuse, il a brisé le silence ce mercredi.
Pendant deux ans, d’août 2004 à août 2006, Alberto, 42 ans aujourd’hui, est suspecté d’avoir violé Michael, son cousin mineur à l’époque des faits. Son avocat, Me Pim Knaff, a annoncé en début d’audience qu’il allait plaider la prescription des faits. Le prévenu, en détention provisoire depuis plus d’un an, nie catégoriquement les faits.
En juin 2018, une assistante sociale du Service central d’assistance sociale (SCAS) alerte le service de protection de la jeunesse et des infractions à caractère sexuel de la police judiciaire que Michael, 29 ans aujourd’hui, veut signaler une série de viols. Son agresseur présumé vient de revenir au Luxembourg après des années passées en Équateur – pays dont les protagonistes de l’affaire sont originaires – et en Espagne. Une enquêtrice de la police judiciaire estime le nombre de viols par pénétration anale subis par la victime présumée à une dizaine au moins entre ses 13 et ses 15 ans. «Michael était très précis dans son récit des différents faits», précise l’enquêtrice à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ce mercredi.
Les larmes coulent sur les pommettes hautes de Michael. Le jeune homme a gardé le silence pendant des années. Il aurait brièvement évoqué les faits avec sa maman à l’âge de 19 ans et avec Marcella, une cousine, qui prétend avoir également été victime d’abus de la part du prévenu, explique l’enquêtrice. Les proches de Michael avaient remarqué sa tristesse, des traces de sang dans la cuvette des toilettes du domicile familial et qu’il lui arrivait de boiter, relate la policière. Ce qui en dit long sur la violence des faits.
L’ambiance est pesante dans la salle d’audience. Alberto ne comprend pas pourquoi son cousin l’accuse de tels faits. «Je lui ai cité les faits les uns après les autres, en détail», précise un autre enquêteur du service de protection de la jeunesse et des infractions à caractère sexuel qui a entendu l’auteur présumé. Le prévenu a avancé au policier une histoire remontant à 2011 pour expliquer ce qu’il imagine être une vengeance à son encontre. Michael aurait menacé la maman du prévenu alors qu’il vivait sous son toit. Alberto lui aurait dit : «Attention, un de ces jours, je peux revenir au Luxembourg!»
«J’ai arrêté de compter»
«Ma mère ne sait pas tout», avance Michael. À la barre, aidé de notes, il raconte comment il a appris le retour de son cousin alors qu’il était chez le coiffeur et comment, pris de panique à l’idée de le revoir, il s’est réfugié au SCAS. «S’il n’était pas revenu, est-ce que vous auriez porté plainte contre lui?», interroge la présidente de la chambre criminelle, qui cherche à comprendre pourquoi Michael a autant tardé à dénoncer les faits. «Je ne savais pas que je pouvais le faire même s’il n’était pas au Luxembourg», répond Michael. Le jeune homme, arrivé au Luxembourg en 2001, relate son adolescence au sein d’une famille en situation illégale, le poids des traditions et des croyances qui ont fait naître en lui un sentiment de honte d’avoir été sodomisé.
«Alberto savait que je ne le voulais pas, que j’avais très mal», poursuit-il. «Plus le temps passait, plus j’arrêtais de compter. Je me sentais sali et j’essayais de ne pas me souvenir…» Sa voix se brise en sanglots. Les faits ont eu lieu à Esch-sur-Alzette et à Differdange. «Il m’attrapait dès que j’arrivais, c’est comme si j’étais son objet.» Son témoignage est accablant pour le prévenu. «Tout au début, j’ai demandé à ma grand-mère de ne pas me laisser seul avec lui parce qu’il me touchait les fesses.» Une réunion de famille est organisée, mais avant d’avoir pu commencer à parler, «Alberto m’a mis une énorme gifle» qui a clos les débats.
La victime présumée accuse la famille du prévenu d’avoir entretenu le silence. «Je pensais que ma tante allait en parler à ma mère», explique Michael. «Ce n’était plus un secret. Pourquoi ne pas en avoir parlé avec votre mère? C’était le moyen d’arrêter les agissements de votre cousin», interroge la magistrate. La situation a perduré. Le jeune homme évoque des humiliations, des provocations, des tensions familiales entre ses tantes et des mensonges le concernant.
«Je l’ai vu pour la dernière fois le jour de mes quinze ans. On a appris plus tard qu’il était rentré en Équateur», se souvient Michael. Son long témoignage a créé un malaise. Le procès se poursuit cet après-midi avec les témoignages des membres de sa famille et du prévenu qui pourront donner leur version des faits et peut-être expliquer le silence qui les a entourés.
Que les equatoriens aillent au tribunal chez eux ! Pas ici.